J’ai vu hier au cinéma « L’Étranger », de François Ozon, film adapté de l’oeuvre de Camus. Il apparaît très clairement que le parti pris de l’auteur a été de respecter l’oeuvre à la lettre, sauf lorsqu’il est question de l’Arabe, mais le wokisme et le roman de Daoud étant passés par là, il lui a sans doute semblé difficile de faire autrement, ce qui est bien dommage d’ailleurs, car là n’est pas le sujet du roman, mais passons.
S’il n’y a rien à dire sur l’aspect esthétique du film absolument remarquable et les personnages secondaires tout à fait exceptionnels, je suis ressortie de la salle un peu perplexe par rapport au traitement du personnage de Meursault joué par Benjamin Voisin. En effet, je n’avais pas gardé le souvenir d’un être quasiment muet, froid, un peu figé et très beau. Mon Meursault à moi était, dans mes souvenirs, un être ordinaire, banal, extrêmement sensible au monde, à la nature, incapable de mentir, heureux de petites choses et sans être un grand bavard, apte à échanger avec ses proches, un être assez inadapté aux convenances, doutant régulièrement de la façon dont il devait se conduire. A vrai dire, j’ai toujours eu l’impression que Meursault souffrait de troubles autistiques. Bref, un être beaucoup plus humain et sympathique que le Meursault d’Ozon. J’ai donc relu le texte et je crois que mon impression tient à une chose essentielle : « L’Étranger » est un roman écrit à la première personne. Meursault est donc un personnage que l’on perçoit de l’intérieur. On connaît ses hésitations, ses doutes. Le roman est en totalité la parole de Meursault. Et donc, quand on lit ce texte, on éprouve de la sympathie pour ce personnage un peu enfant qui a toujours chaud, qui veut dormir, manger ou aller se baigner. Or, chez Ozon, nous le percevons de l’extérieur : aucune voix off (ou quasiment) ne vient exprimer les pensées du personnage. Et finalement, ce bel homme reste un peu énigmatique, suscite peu d’émotion ou d’attachement. Et il ne dit que ce que dit Meursault dans le roman au discours direct : c’est-à-dire pas grand-chose. On a l’impression qu’il ne parle que pour illustrer la philosophie de« l’absurde ». Et franchement, cela sonne faux.
Je me disais d’ailleurs que Swan Arlaud (qui joue le prêtre) aurait peut-être été un meilleur Meursault, plus humain, moins hiératique, plus simple.
Si Ozon a réussi un film esthétiquement irréprochable, il me semble que l’on a perdu l’humanité de Meursault, son côté « enfant » étranger à des règles qui lui échappent, hypersensible à la beauté du monde. Un personnage très fort et extrêmement touchant.
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