J’ai comme l’impression qu’il y
en a un qui s’est bien amusé et qui a convoqué, pour ce faire, tout un tas de
petits camarades : Diderot et ses possibilités du récit: je-vous-raconte-ça-mais-je-pourrais-tout-aussi-bien-vous-parler-d’autre-chose: « Peut-on
penser au contraire qu’arpentant le monde ils mènent ensemble une vie ardente
et tumultueuse ? On peut le penser. Ça ou autre chose.» Perec et
ses choses invasives décrites dans le détail ou non s’invite lui aussi: « Et
puis ce qu’il y a, ensuite, c’est qu’on se fatigue vite d’énumérer.» On
y sent Queneau et ses inventions délirantes: « l’élastique
s’improvise en esperluette : une pichenette et hop, l’esperluette se
transforme en arobase avant de s’immobiliser en clé de sol. » ou la
perceuse qui « n’hésite pas à entonner les premières mesures du cantique A toi la gloire, ô ressuscité ». Butor
et sa deuxième personne vous transformant en personnage de roman traîne
ici et là: «… vous n’avez même pas envie de défaire votre valise… ».
Parfois même s’annonce Ionesco dans une toute fin de chapitre 5 un brin mystérieuse que j’imaginerais bien
prononcée par la bonne de la Cantatrice
chauve…
Echenoz s’amuse et évidemment, on
suit, on court même, on est roulé dans la farine, mené en bateau, projeté
par-dessus bord, trimballé de gauche à droite et du nord au sud, aux côtés de
personnages peu probables aux noms du même acabit : Lou Tausk, Gang Un-ok
et qui se croisent sans se voir et se rencontrent sans se reconnaître.
Le romancier jongle, envoie tout
en l’air sous l’œil ahuri de son lecteur : les mots, les phrases, les
personnages, les intrigues, les lieux… et tout retombe parfaitement dans ses
mains, dans l’ordre, et que nous dit-il à la fin ? Eh bien, qu’il est prêt
à repartir. Pas vous ? Moi
si !
Et l’intrigue me
direz-vous ? Difficile de résumer ! « Que d’action, bon sang,
que d’action. » commente le narrateur. A Paris, deux hommes appartenant
certainement aux Services Secrets ont besoin d’une femme, mais une
femme : « Qui ne comprend rien à rien, qui fait ce qu’on lui dit
de faire et qui ne pose pas de questions. » Ce sera Constance qui dans un
sens est bien contente de partir quelque temps dans une ferme de la Creuse, son
quotidien n’étant pas folichon, entourée de deux gardes du corps dont l’un rêve
de vivre au fond des bois à la Thoreau, puis au sommet d’une éolienne (pas mal
la vue !) où elle s’abîme dans la lecture de l’encyclopédie Quillet. Puis,
on s’éloigne : la Corée du Nord car comme l’a dit Echenoz dans une
interview : « C’est un lieu qu’on ne peut qu’imaginer », et
pour cause… où l’on retrouve notre Constance, chargée de déstabiliser le pays, affalée devant une émission littéraire.
Un journaliste interroge Pierre Michon : « le style, je veux
dire cette manière si singulière qui est la vôtre, provoque-t-il le propos ou
en est-il la conséquence ? » Pas de chance, ça sonne, c’est Gang
Un-ok qui se jette sur notre Constance… On n’aura jamais la réponse à moins qu’
Echenoz ne réponde à sa place…
Une parodie de roman d’espionnage,
me direz-vous ? Pas du tout, selon l’écrivain, un « roman d’action »,
rythmé comme un air de jazz et dont les phrases parfois s’emballeraient toutes
seules en des digressions plutôt comiques.
Echenoz joue avec les codes du
roman, ici plus qu’ailleurs. Le roman est pour lui le grand jeu : on
s’interroge sur ses possibilités, on explore sans cesse ses limites et surtout,
on n’oublie pas de s’amuser, de rire en rappelant au lecteur qu’il peut y
croire mais que ce n’est qu’une histoire, que le marionnettiste n’est jamais
loin, que les fils sont visibles et qu’il faut faire avec, même si ça nous
gêne ! On ressort de tout ça un peu secoué mais qu’est-ce qu’on s’est bien
amusé !
Il est dans ma PAL celui-la ... aussi ! J'avais beaucoup aimé 'Je m'en vais' et adoré 'Caprice de la reine'. Un très bon auteur.
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