Éditions Autrement
★★★★★★ (Passionnant)
Par
une très belle journée de printemps, tandis qu'il se promène dans
Londres, Daniel Schreiber, journaliste et essayiste, ressent comme un
énorme coup de mou, une chape de plomb qui lui tombe dessus et
l'anéantit. Tentant d'analyser l'origine de son mal, il a
l'intuition qu'à quarante ans, ce qui lui manque, c'est un lieu où
se poser, où vivre, où être heureux. « ...c'était un
sentiment d'ancrage et de sécurité qui semblait me faire défaut.
La nostalgie qui donnait le ton à cette crise était celle d'un port
d'attache, d'un enracinement. »
Installé
à Berlin depuis quelques années et ayant vécu à New York avec un
ami puis à Londres, il reste pourtant bien persuadé qu'il
demeurera, comme beaucoup de gens à notre époque, une espèce de
citoyen du monde, sans réel port d'attache, vivant loin de son lieu
de naissance, pour lui un village du Mecklembourg en ex-RDA.
Mais
ne fait-il pas erreur ? Autrement dit, peut-on vivre sans jamais
s'installer vraiment ?
Il
lui faut donc chercher d'où viennent ce sentiment de manque et cette
nécessité absolue et quasi existentielle qu'il ressent dorénavant
de s'enraciner quelque part.
Daniel
Schreiber va donc, d'une certaine façon, mener une enquête pour
comprendre d'abord ce qui nous constitue : il constate tout
d'abord que le passé vit en nous longtemps, bien plus longtemps
qu'on ne l'imagine et cela, sans que nous en ayons vraiment
conscience.
Par
ailleurs, il nous faut porter ce qu'ont vécu nos parents,
grands-parents et arrière-grands-parents, ce dont nous avons été
témoins, ce qui nous a été dit ou tu.
Précisons
que la famille de l'auteur a vécu au XIXe siècle en Volhynie
(nord-ouest de l'Ukraine actuelle), région rattachée anciennement à
la Russie. À la fin du XIXe, plus de deux cent mille colons allemands
s'y installent. En 1921, cette région devient polonaise et en 1939,
elle passe sous contrôle soviétique…
Ainsi, la famille de Daniel Schreiber, et notamment son arrière-grand-mère qui, pour des raisons politiques, a dû fuir plusieurs fois son lieu d'attache, s'est toujours sentie « réfugiée », « exilée » là où elle se trouvait. Les sentiments de paix et de sécurité lui sont donc restés inconnus.
Ainsi, la famille de Daniel Schreiber, et notamment son arrière-grand-mère qui, pour des raisons politiques, a dû fuir plusieurs fois son lieu d'attache, s'est toujours sentie « réfugiée », « exilée » là où elle se trouvait. Les sentiments de paix et de sécurité lui sont donc restés inconnus.
L'auteur
a-t-il inconsciemment « hérité » de ce manque ?
N'est-il pas involontairement en train de revivre ce sentiment d'être
étranger au lieu où il vit comme autrefois ses aïeux ? L'histoire
familiale explique-t-elle son malaise, le génère-t-elle ?
Est-il « porteur » des traumatismes de ceux qui l'ont
précédé ? Ou bien lui faut-t-il chercher encore ailleurs,
creuser une autre piste ?
Ce
qui est certain, c'est qu'il ne se sent pas chez lui à Berlin, ville
qu'il n'a de cesse de fuir. S'il s'est cru pendant longtemps capable
de s'installer n'importe où, c'est le contraire qui s'impose soudain
comme une évidence. À Berlin, il a le sentiment que sa vraie vie
n'est pas là. Il ne vit à Berlin qu'une « existence
provisoire » : plus tard et surtout ailleurs, il sera
un autre homme, différent, nouveau, heureux.
Et
s'il se trompait, et s'il perdait son temps dans cette attente vaine,
dans ce leurre d'un bonheur à venir ? Et si la « solution »
du problème se trouvait dans des traumatismes de l'enfance que
l'auteur devra exhumer ?… Encore une autre piste à
explorer...
J'ai
trouvé cet essai de Daniel Schreiber vraiment passionnant : on
le lit quasiment comme un roman, porté par l'enquête qu'il mène
pour comprendre son malaise profond et son incapacité à s'installer
durablement et à être heureux à Berlin.
Chacun
se sentira concerné par les réflexions de l'auteur sur ce qui
constitue notre identité, la question de l'héritage, familial et
historique.
Cet essai s'intéresse aussi au rapport que l'on a au lieu où l'on vit (pays/ville/maison), à notre plus ou moins grande capacité à y trouver le bonheur (aux conditions nécessaires pour y parvenir) et à la notion de sécurité dont nous avons besoin pour vivre… pour ne citer que quelques problématiques abordées par l'auteur.
Finalement, il nous propose différentes pistes qu'il nous laisse explorer librement pour comprendre notre rapport au monde et le lien qui existe entre ce monde et notre géographie intérieure.
Cet essai s'intéresse aussi au rapport que l'on a au lieu où l'on vit (pays/ville/maison), à notre plus ou moins grande capacité à y trouver le bonheur (aux conditions nécessaires pour y parvenir) et à la notion de sécurité dont nous avons besoin pour vivre… pour ne citer que quelques problématiques abordées par l'auteur.
Finalement, il nous propose différentes pistes qu'il nous laisse explorer librement pour comprendre notre rapport au monde et le lien qui existe entre ce monde et notre géographie intérieure.
Les
citations sont nombreuses, les références aussi… Et l'auteur, en
partant de son expérience intime, nous amène à réfléchir et à
nous interroger sur des notions que l'époque actuelle tend à
banaliser alors qu'elles sont essentielles à notre bonheur.
Indispensable !
En
lisant cet essai, j'ai pensé à deux textes que j'ai lus récemment
et qui m'ont beaucoup touchée : Les Enténébrés
de Sarah Chiche, roman dans lequel l'auteure s'interroge sur la
notion d'hérédité, « la malédiction familiale », et
sur ce que l'Histoire fait de nous. Ne sommes-nous pas, dans le fond,
la somme de choses qui nous dépassent et dont on ne nous a pas nécessairement parlé ?
Dans le faisceau des vivants :
Valérie Zenatti évoque là, de façon extrêmement touchante, l'infinie
tristesse qui s'est emparée d'elle lorsqu'elle a appris la mort
d'Aharon Appelfeld, écrivain israélien qui avait dû quitter enfant
sa ville natale de Czernowitz (ville roumaine puis ukrainienne) sans
jamais pouvoir y retourner. Ses rêves furent toute sa vie peuplés
de neige et de bouleaux au tronc blanc...
Un sujet passionnant qui me fait penser à un livre que je viens de finir: Mémorial de Cécile Wajsbrot.
RépondreSupprimer