Éditions Rouergue noir
★★★★★☆ (Noir de chez noir!)
« CEO »,
« process codifié », « call-center »,
« open spaces », « tableaux Excel de reporting »,
« brainstorming » … Toutes ces expressions vous
parlent ? Vous n'êtes donc pas complètement étranger au monde
de l'entreprise ? Eh bien moi, je dé-cou-vre et FRANCHEMENT…
ça fait PEUR, non ?
Bon,
que je vous raconte : après de longues études en neurosciences
s'achevant sur une thèse et trois ans dans un labo public de
recherche, Chrystal s'est retrouvée au chômage et c'est comme cela
qu'elle a été amenée à postuler pour un poste de chargée
d'information médicale chez Medecines. Il s'agissait pour elle de
répondre au téléphone à des professionnels de santé ou des
patients qui s'interrogent sur tel ou tel médicament (effets
secondaires, etc, etc).
Pas
grand-chose à voir avec sa formation mais bon, faut bien gagner sa
vie...
Le
hic, c'est qu'il lui est visiblement arrivé quelque chose… Mais
quoi ?
Et
au fond, qui est responsable de tout ça ? Ceux qui ont vu et
n'ont rien dit ?
Nous
aurons différents témoignages sur cette jeune fille, notamment
celui de Cendrine qui, après une thèse de biologie sur le ribosome
du zebrafish (ah, ça ne vous dit rien?) et plusieurs mois de
chômage, est entrée le même jour que Chrystal chez Medecines,
entreprise qui venait d'obtenir le label « Great Place to
Work ».
Ah !
ça donne envie Medecines : c'est 1984 (d'Orwell)
en pire : le cauchemar, la surveillance de tous les instants, le
viol de l'intimité, l'irrespect, l'humiliation, la dévalorisation,
l'exploitation, la déshumanisation… J'arrête là mais je pourrais
continuer longtemps !
QUEL
MONDE, MAIS QUEL MONDE !!!
A la
fin du livre, l'auteure avoue que tout ce qu'elle a écrit dans ce
roman lui est venu de sa « désastreuse carrière
professionnelle » : «Face à l'adversité
managériale, je me contentais de jubiler intérieurement en pensant
« Le p… de bouquin que je vais écrire ! » Viva la
literatura! »
Pour
du noir, c'est du noir ! Dans le roman, le système est résumé
par un témoin, Jean-Christophe D., le médecin-conseil de
l'entreprise : « ...la prestation est une belle
saloperie. Les labos y ont recours pour ne pas prendre de risque et
pour diminuer leurs coûts. Ils imposent des prix et des délais
intenables, tout en passant leur temps à contrôler
leurs preneurs d'ordres… Et tout ça retombe sur les salariés du
prestataire : salaire de misère, surcharge de travail,
validation chronophage à tous les étages, audits à n'en plus
finir, stress… On leur impose une pression insupportable au nom du
maître-mot : la rentabilité. Ou tu tiens le coup et tu es
rentable ou tu te casses. En résumé, des labos brassant des
millions (sur le dos de l'assurance maladie) aux ordres
d'actionnaires pleins aux as (qui s'exilent au Portugal mais
reviennent se faire soigner en France), mettent la pression sur des
sous-traitants qui mettent la pression sur leurs
salariés sous-payés (qui cotisent pour l'assurance maladie). »
CQFD
Le
monde de l'entreprise décrit par Élisa Vix fait trembler. Mais le
pire, c'est qu'il correspond à une réalité que je devine
terrible : celle d'une machine qui broie les individus, les
brise et les achève. Le tout dans le silence de ceux qui ont peur.
Glaçant.
L'écriture
précise d'Elisa Vix ne va pas par quatre chemins pour décrire un
monde effrayant : 140 pages d'une efficacité redoutable qui
mettent à nu un système monstrueux.
Une
vraie réussite !
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