Rechercher dans ce blog

dimanche 18 mars 2018

Maria d'Angélique Villeneuve


Éditions Grasset
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)

J'ai été très touchée par le personnage de Maria, grand-mère complètement folle de son petit-fils Marcus, nouant avec lui des liens très forts : ensemble ils jouent, se font mille câlins, observent les oiseaux, collectionnent les plumes, respirent l'odeur des plantes et admirent les couleurs des arbres et du ciel… Tout est bonheur de vivre, explosion de joie, de tendresse, d'amour.
Pourtant, une ombre vient mettre un bémol à ce tableau idyllique : Marcus arrive parfois chez ses grands-parents les cheveux un peu longs, les ongles vernis, une robe roulée dans son petit sac à dos. Maria observe sans rien dire mais William, le grand-père (compagnon de Maria depuis qu'elle est veuve) supporte mal. Il ne comprend pas pourquoi, dorénavant, Marcus a le droit de s 'appeler Pomme s'il le désire ni pourquoi Céline et Thomas, les parents de Marcus-Pomme, à la naissance de leur deuxième enfant, refusent de révéler au monde le sexe du petit frère ou de la petite sœur. Un bébé est né, point barre. Il s'appelle Noun. Les grands-parents, Maria et William, n'en sauront pas davantage.
Pourquoi me direz-vous ? Parce que Céline et Thomas refusent d'enfermer leurs enfants dans un genre, dans une « éducation fille » ou une « éducation garçon ». Mais ça va plus loin : c'est l'enfant qui décidera plus tard de son sexe, s'il se sent plutôt fille ou plutôt garçon. Il ne sera pas contraint, la société ne lui imposera aucun schéma. Il sera libre.
« On est autorisé à dire le bébé, comme au premier soir, mais à aucun moment ne seront risqués ni accord ni pronom. Le pronom ne se prononce pas, fanfaronne Thomas. Vers cinq, six ans ou plus tard encore, Noun choisira le plus adapté. Il ou elle. Celui qui lui plaira. Il sera même envisageable que Noun en change de temps en temps. Elle ou il. Marcus suivra le pas s'il le souhaite. On verra bien. L'aventure s'annonce passionnante, prévoit Céline… Un enfant, une enfant, le mot lui-même n'est pas genré, poursuit Thomas. Les gens ont tendance à l'oublier. Noun est libre et attendra le plus longtemps possible avant d'être genré(e). Genré. Maria n'arrive pas à se faire à cet adjectif.»
Pour William, le grand-père, toute cette histoire est difficile à avaler. Quant à Maria, ce qu'elle comprend tout de suite, c'est qu'elle ne gardera jamais le bébé. Le garder reviendrait à connaître la vérité, avoir la possibilité de découvrir le sexe de l'enfant. Les parents refusent. Maria devra donc s'éloigner de ses petits-enfants. A peine pensable pour elle...
J'ai beaucoup aimé la façon dont l'auteur s'empare de ce sujet d'actualité : le genre. Sujet épineux à ne pas aborder lors d'un repas de famille transgénérationnel...
Le couple évoqué dans Maria est assez radical dans ses choix puisqu'il va jusqu'à refuser de révéler le sexe de l'enfant. Le roman d'Angélique Villeneuve nous pousse à nous interroger, à nous poser des questions essentielles auxquelles il est bien difficile de répondre…
Dans tous les cas, son roman n'impose aucun point de vue mais plutôt apparaît comme une invitation à considérer l'autre quelles que soient nos convictions de départ et notre sensibilité, à tenter de comprendre sa façon de concevoir la vie, la liberté, le bonheur… On échappe ici à toute vision manichéenne qui serait très réductrice : il n'y a pas, dans cette histoire, ceux qui ont tort ou ceux qui ont raison ou alors, ceux qui ont tort sont les êtres qui se ferment comme des huîtres et se révèlent incapables de s'ouvrir à l'autre (risque encouru aussi bien par les enfants que par les parents.)
L'écriture poétique et sensuelle d'Angélique Villeneuve exprime magnifiquement la relation fascinante entre Maria et ses petits-enfants, relation qui a quelque chose d'animal. Elle les sent, les caresse, les cajole, les étreint, les couvre, les nourrit, se donne complètement à eux et cette complicité est vraiment très touchante et m'a beaucoup émue. Maria est une vraie grand-mère poule et l'on imagine aisément son désarroi lorsqu'elle se sent coupée, écartée de ses petits…
Un texte magnifique tout en délicatesse et en retenue, un superbe portrait d'une femme qui, malgré l'hostilité de son ami, la raideur de sa fille et de son gendre et les critiques de la société, poursuit coûte que coûte son chemin vers ceux qu'elle aime, quels que soient leur sexe, leur genre, leur nom et leur tenue vestimentaire, comprenant qu'au fond, tout cela est loin d'être l'essentiel...

Parce qu'au fond, ce qui compte, c'est bien l'amour, n'est-ce pas ?


4 commentaires:

  1. Quel beau billet! J'ai aussi aimé ce roman et l'écriture poétique de son auteure.

    RépondreSupprimer
  2. Merci pour votre message, je suis contente que vous partagiez mon enthousiasme sur ce livre si poétique.

    RépondreSupprimer
  3. Je ne connais pas François Constant mais il a raison. Quel beau billet! merci, Le marque-page, d'avoir si bien -et si délicatement- ressenti quel était mon propos dans ce livre. j'en suis très touchée. Merci!
    angélique Villeneuve

    RépondreSupprimer