Édition Gallimard du monde entier
traduit de l'anglais par E.et P. Aronson
Quel
titre bien trouvé pour ce roman qui pétille, ce feu d'artifice de
personnages, de lieux, de situations, de thèmes aussi !
Certains s'en plaindront à coup sûr. Je m'en suis au contraire
régalée. Parce que dans toute cette profusion, ce foisonnement,
l'émotion domine, les coeurs battent à tout rompre, la danse folle
et endiablée de la vie entraîne
chacun des protagonistes là où ils n'imaginaient même pas aller.
Et parfois sans possibilité de retour.
Si
vous êtes prêts à vous lancer dans ce tourbillon, lâchez tout,
oubliez le reste du monde et lancez-vous dans la danse !
Nous
sommes dans une cité des quartiers nord-ouest de Londres en 1982.
Deux gamines métisses se rencontrent au cours de danse de Mlle
Isabel : Tracey et la narratrice. (Zadie Smith est elle-même
née à Londres en 1975 d'un père anglais et d'une mère
jamaïcaine.) Elles se passionnent toutes deux pour les comédies
musicales mettant en scène Fred Astaire, Ginger Rogers (le titre du
roman renvoie d'ailleurs à un film de George Stevens de 1936 dans
lequel leur duo est complètement mythique !), Gene Kelly, Bill
Robinson, Jeni Le Gon dont elles imitent les moindres jeux de pieds,
sauts de cabris et pas glissés. Les gamines regardent en boucle ces
comédies musicales hollywoodiennes sur le magnétoscope de Tracey en
se gavant de sucreries.
L'enfance,
le bonheur...
L'une,
Tracey, est gâtée-pourrie par une mère qui joue à la poupée
avec sa fille, la couvre de bijoux de pacotille et de paillettes,
déverse la hotte du Père Noël dans sa chambre, lui achète un
magnifique tutu, l'encourage à poursuivre ses études de danse.
Tracey est douée et elle compte bien en tirer profit !
Au
contraire, la narratrice manque de talent et ses pieds plats y sont
pour quelque chose. Mais cela n'inquiète pas sa mère, bien au
contraire : en effet, cette mère-intello-autodidacte a repris
ses études, passe tout son temps le nez dans les livres, milite pour
de nombreuses causes. « La plupart des samedis…
j'accompagnais ma mère à telle ou telle manifestation, contre
l'Afrique du Sud, contre le gouvernement, contre l'arme nucléaire,
contre le racisme, contre les coupures budgétaires, contre la
dérégulation financière, pour soutenir les syndicats enseignants,
le Conseil du Grand Londres ou l'IRA » se plaint la
narratrice. La mère s'engage à gauche, lutte contre les inégalités,
se met au service de la collectivité en bonne marxiste qu'elle est.
Bref, c'est une femme qui en veut et qui refuse de prendre la place
que la société lui impose. Elle ne passera pas son temps aux
fourneaux ni à s'occuper du linge. Quand elle travaille, la
narratrice et son père sont priés de quitter l'appartement pour
aller prendre l'air.
C'est
pourquoi, elle souhaite que sa fille quitte cette cité dont, selon
elle, elle ne tirera rien de bon. Pas question de l'habiller en
poupée ni de la voir se passionner pour des cours de danse qu'elle
trouve ridicules. Inutile de préciser qu'elle voit d'un très
mauvais œil la relation amicale qu'elle entretient avec Tracey.
Quant au père, il n'a pas son mot à dire : il subit, se tait,
fier au fond d'être le mari d'une telle femme !
Comme
vous vous en doutez, le destin séparera les inséparables :
l'une poursuivra son école de danse, s'évertuant par la suite à
trouver quelques rôles pour survivre, et l'autre achevant une
scolarité plus classique et finissant par travailler pour une pop
star internationale (dont elle s'est faite l'esclave selon sa mère),
une certaine Aimee, espèce de Madonna ne sachant plus quoi faire de
son argent et décidant de se lancer dans l'humanitaire en ouvrant
une école pour filles en Afrique... Il s'agit là, je dirais, d'un
autre « versant » du roman qui va un peu nous éloigner
de la relation Tracey / la narratrice mais qui est totalement
passionnant en raison des questions qu'il pose.
Des
chapitres croisés nous feront suivre en parallèle et sur des
époques différentes le destin de chacune de ces deux gamines qui,
malgré des vies radicalement différentes, ne s'oublieront
finalement jamais.
Si
vous avez aimé les romans d'Elena Ferrante, vous ne pourrez qu'être
emportés par cette fresque romanesque aux multiples personnages si
vrais et si bien campés qu'on les croirait vivants !
Ce
roman d'apprentissage aborde une foule de sujets tels que celui de
l'amitié, de l'identité, de l'éducation, du rôle des femmes dans
la société, de la relation mère-fille, de l'engagement politique,
du racisme, du déterminisme social… Oui, la liste est longue mais
le roman jongle parfaitement avec tous ces thèmes. Bel exercice mené
par une virtuose !
Swing
Time est un texte très rythmé mettant en scène de grands
bonheurs, de beaux espoirs mais aussi d'amers constats et de
profondes désillusions que ce soit dans les relations entre les gens
ou les grands projets qu'ils entreprennent.
Telle
est la vie.
Harmonieux
pas de danse, sauts de l'ange et chutes cruelles.
Et
ce, dans un monde qui bouge tellement qu'il semble bien difficile de
se tenir en équilibre…
Une
œuvre pleine de vie et dont vous sentirez le coeur battre…
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