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dimanche 29 mars 2020

Eux sur la photo d'Hélène Gestern



Éditions Arléa
★★★★★ (j'ai adoré ♥♥♥)


C'est un livre merveilleux. Un de ces romans dont on se dit : mais pourquoi ne l'ai-je pas lu plus tôt, pourquoi m'a-t-il fallu ce terrible confinement pour prendre le temps de l'ouvrir, alors qu'il était là, sur mes étagères, depuis plus de six mois ? Oui, c'est un livre merveilleux et d'une très grande beauté. Hélène Gestern écrit comme on n'écrit plus et se laisser porter par ses phrases procure un plaisir infini. Tout est délicatesse, douceur, pudeur aussi. Ce texte bouleversant est beau à en pleurer, ce dont je ne me suis évidemment pas privée.
Eux, sur la photo, ce sont deux jeunes gens : elle s'appelle Natalia Zabvine et lui Pierre Crüsten. Ils sont beaux, légers, insouciants et ils s'aiment. C'est une évidence. Ils vont (ou viennent de) jouer au tennis. La photo est ancienne. On voit cela aux tenues un peu démodées et au grain épais du tirage. Observer une photo, tenter de deviner l'identité des gens, les sentiments qui les lient est une entreprise délicate. On peut se tromper… Pourquoi cet homme se penche-t-il sur cette femme ? Veut-il lui dire quelque chose ? Pourquoi affiche-t-elle un sourire empreint de gravité ? Est-elle inquiète ? Pense-t-elle que le bonheur qu'elle semble goûter n'est qu'un moment fugace qui va lui échapper ?
Il y a un troisième homme sur cette photo. Lui se tient en retrait. Qui est-il ? Un mystère de plus...
La personne qui examine cette photo s'appelle Hélène Hivert, elle a bientôt quarante ans, vit seule avec son chat. Elle a passé une petite annonce dans Libé car elle aimerait bien savoir qui est le jeune homme aux bras protecteurs qui se tient près de sa mère sur cette photo. Cette mère, elle ne l'a pas connue. Elle est morte lorsqu'elle avait trois ans dans des circonstances assez mystérieuses. Si son père et sa belle-mère l'ont élevée en lui manifestant beaucoup d'amour et d'attention, ils ont fait en sorte qu'il ne soit jamais question de sa mère. Pourquoi ? Qui était Natalia Zabvine ? Pourquoi a-t-on toujours refusé à sa fille d'en savoir plus sur elle ? Quel terrible secret était le leur ?
Comme il est impossible de se construire sur du vide, des silences, des non-dits, sa fille, Hélène, va mener l'enquête. Un homme va répondre à son annonce : il s'appelle Stéphane et est le fils de Pierre Crüsten. Lui aussi se heurte à des questions concernant son père, peu loquace et irascible. Ils vont entreprendre un échange épistolaire pour tenter de comprendre qui étaient Natalia et Pierre, la nature de leur relation… Mais n'est-ce pas dangereux de remuer les choses du passé ? Où cette enquête va-t-elle les mener ?
Ce roman n'est pas seulement une histoire fascinante qui va vous tenir éveillé tard dans la nuit, il invite aussi à une réflexion sur la photographie, à la découverte d'un passé fixé à tout jamais sur un morceau de papier, pour le meilleur lorsqu'il renvoie à des moments heureux mais aussi pour le pire quand on sait que ces moments ne seront plus. Il y a une dimension modianesque dans ce roman à travers l'évocation du temps qui passe et la volonté de reconstituer ce qui n'est plus, comme un puzzle dont on assemblerait avec peine toutes les pièces. On a l'impression que ce passé, qu'il nous soit connu ou inconnu, dicte notre histoire présente, fait de nous ce que nous sommes devenus. Nous héritons, consciemment ou inconsciemment, d'une histoire et c'est avec elle que nous traçons notre chemin et qu'il nous faut avancer…
Par ailleurs, la lecture de ce roman nous amène aussi à nous interroger sur ce que fut une époque, avant mai 68 : les tabous, les interdits, les conventions sociales, la morale… On a presque oublié tout ce que les jeunes de cette époque ont dû subir comme contraintes et comme absence de libertés...
Enfin, ce qui, à mon avis, rend ce texte particulièrement délectable, c'est la relation pleine de retenue et de douceur qui se tisse progressivement entre les deux correspondants. On assiste à l'éclosion de leurs sentiments, à la progression de leur attachement et vraiment, l'écriture élégante et délicate d'Hélène Gestern nous plonge dans un pur ravissement !
Vous aimerez ce roman, plus que vous ne l'imaginez en lisant ces lignes… Croyez-moi !

vendredi 27 mars 2020

Une ville de papier d'Olivier Hodasava


 Éditions Inculte
 ★★★★★ (fascinant...)


Fascinant, envoûtant, captivant, magnétique… Voici les adjectifs qui me viennent à l'esprit pour décrire le dernier roman d'Olivier Hodasava : « Une ville de papier », publié chez Inculte et cela tient, je crois, à trois éléments : le sujet, la construction et l'écriture.
Le sujet : alors là, accrochez-vous...
Nous sommes dans les années trente, aux États-Unis, en plein essor de l'industrie automobile. Pour inciter la population à parcourir les grands espaces américains, les géants du pétrole via les stations-services leur offrent des cartes routières…
Avril 1931 : le patron de la General Drafting, société spécialisée dans la cartographie, invite un de ses employés, un certain Desmond Crothers, à déjeuner dans un restaurant chic de New-York. Il veut en effet le remercier pour son travail sérieux et consciencieux. Pour ce faire, il va lui proposer d'ajouter un « Copyright Trap » de son choix sur la carte du Grand Est américain pour laquelle ils sont en train de travailler. Un « Copyright Trap » ? Quèsaco ? Ah ah, vous n'avez jamais entendu parler de cette bête-là ? Eh bien, figurez-vous que pour s'assurer de ne pas être copiés par des concurrents et donc pour protéger leurs droits d'auteurs, jusque dans les années 80/90, les concepteurs de cartes ajoutaient... une ville imaginaire. Ainsi, s'ils retrouvaient celle-ci sur la carte d'un concurrent, il leur était très simple de prouver que leur travail avait été copié. Et ça existe vraiment les « Copyright Trap » ? Mais OUI ! Aussi incroyable que cela puisse paraître : allez jeter un coup d'oeil sur l'article Wikipédia… Il y a eu des villes imaginaires (Agloe, dans l'Etat de New York), des rues imaginaires et, toujours pour éviter le plagiat, dans des encyclopédies, vous pouvez aussi trouver des entrées imaginaires, des noms propres imaginaires… Comme je vous le disais, c'est fascinant ! Voilà qui aurait beaucoup plu à Borges, tiens ! Donc, revenons à notre employé modèle : il va donc avoir l'honneur de placer sur la carte de l'Est américain une ville fantôme dont il choisira le nom…
Sur ce point, je n'en dis pas plus sinon qu'après avoir parcouru les premières lignes, vous êtes littéralement ferré, happé, captivé et vous allez jusqu'au bout du roman d'une traite ! Je crois que ce livre a un pouvoir magique… Si, si...
Bon, à présent la construction : en fait, ce roman est l'histoire même de cette ville inventée par l'employé Desmond Crothers et l'on voit la façon dont différentes personnes ( un commerçant, une ancienne miss, Walt Disney lui-même, des hippies, Stefen King en personne…) se sont emparés de ce lieu, que ce soit pour y bâtir une épicerie, un podium, une cité ou bien comme sujet d'écriture… En fait, l'ensemble est présenté comme une enquête menée par un homme fasciné par le sujet et qui va interroger différents témoins : l'effet de réel marche à fond, ce qui fait que l'on croit vraiment à tout ce qui nous est raconté. Il y a, dans ce roman, un jeu important entre la fiction et la réalité qui est vertigineux. On passe de l'un à l'autre continuellement, et les repères entre l'illusion et le réel finissent par s'estomper, se brouiller et s'annuler voire s'inverser, car finalement, cette ville qui n'existe pas finit par avoir plus de consistance, plus d'histoire et donc plus de réalité que tout autre lieu. Ici, la fiction plaque au sol le réel qui ne se relève pas. La fonction performative du langage s'en donne à coeur joie. Je nomme, tu existes : ils y vont.
Par ailleurs, ces différents « témoins » interrogés créent un effet bluffant de mise en abyme : on a l'impression que tel ou tel petit détail de leur récit pourrait très bien être approfondi et donnerait lieu à une autre histoire qui s'ouvrirait à son tour sur un autre récit.
Et pour finir l'écriture : elle participe largement de cet effet de réel : en effet, les descriptions ainsi que l'exposé des faits, les gestes des personnages sont très précis, très minutieux, donnant l'impression au lecteur qu'il est là, présent, qu'il assiste à la scène. C'est stupéfiant.
Il faut dire aussi que certains détails du récit confèrent parfois à cette ville imaginaire un pouvoir presque magique, fantastique… On perd très vite nos repères, on ne sait plus où l'on est (malgré la carte que l'on a sous les yeux.) Impressionnant…
Pourquoi n'ai-je pas entendu parler de ce roman plus tôt ? Tiens, ça aussi c'est incroyable. Décidément !
Allez, vous n'avez aucune excuse, foncez !
PS : L'auteur, Olivier Hodasava, a un blog « Dreamlands Virtual Tour » : depuis 10 ans, il publie tous les jours des photos prises à partir de Google Maps et Google Street View. Il invente des petites histoires, propose quelques commentaires poétiques ou esthétiques… Il est l'un des fondateurs de l'OuCarPo : l'Ouvroir de Cartographie Potentielle, sur le modèle de l'OuLiPo. Jetez-y un petit coup d'oeil !

mercredi 25 mars 2020

Giono, furioso d'Emmanuelle Lambert


 Éditions Stock
★★★★★ (j'ai beaucoup aimé)


En 2016, nous ne sommes pas allés à New York. Pourtant, tout était réservé : billets, logement, pass. On en rêvait depuis si longtemps... Tétanisée par les attentats, j'ai eu peur, peur pour mes quatre enfants. J'ai tout annulé. Ils m'en ont voulu. Mais c'était comme ça. Il a fallu trouver une autre destination, moins loin, moins risquée. Un petit village des Alpes de Haute-Provence ferait l'affaire. La mienne en tout cas. On se rattraperait pour New York, promis.
Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que nous posions nos valises dans une région que je connaissais très bien. Je n'y avais jamais mis les pieds. Mais j'avais lu. Beaucoup lu Giono. Depuis les années de fac. Je découvre Giono en licence : au programme, les « Chroniques » : Un Roi sans divertissement et Noé. Le coup de foudre. Les personnages me fascinent (je tombe amoureuse de Langlois, évidemment), je trouve la construction du récit et les points de vue narratifs particulièrement osés et tellement modernes pour l'époque. J'exulte. À la fin de ma licence, je suis comme Giono lorsqu'il écrit Noé : incapable de passer à autre chose ni de travailler sur une autre œuvre. Qu'à cela ne tienne : mon travail portera sur les chroniques : Un Roi, Les Grands Chemins, Les Âmes Fortes. Pour moi, il ne fait aucun doute que les personnages sont vivants (je vis avec), ils ont donc un corps (je les sens près de moi) : ce sera donc : « Le corps des personnages dans trois chroniques de Jean Giono ». Le bonheur...
Bref, la région où j'entraînais mes mômes, je la connaissais bien et je savais qu'à quelques kilomètres de notre gîte, il y avait Manosque, il y avait Le Paraïs, Montée des Vraies Richesses...
Nous n'y sommes pas allés tout de suite… Je crois que je voulais garder le meilleur pour la fin.
Et quel meilleur…
J'avais téléphoné quelques semaines avant notre départ. Il fallait réserver. Je n'avais pas bien compris comment ça se passait, on verrait bien...
D'abord, nous avons flâné dans la ville et lorsqu'il s'est agi de nous diriger vers la maison de Giono, impossible de trouver la route. Imaginez ma panique (les gamins s'en souviennent encore). Nous arrivons enfin, tout en sueur, essoufflés… la pente est raide. Nous sommes accueillis par une très vieille femme qui nous installe au jardin, à l'ombre. Il fait très chaud. Il y a un couple avec nous. C'est tout. Elle nous explique qu'elle vient de se faire opérer de la hanche, qu'elle nous fera visiter le rez-de-chaussée mais qu'elle ne pourra pas monter à l'étage. Un universitaire prendra le relais. Elle ajoute qu'elle perd un peu la tête, qu'il ne faut pas lui en vouloir. Et elle commence. Elle a connu Giono et sa femme Élise, elle se souvient très bien d'eux. Elle parle. Elle nous raconte Giono. Je suis assise à l'arrière. Mes enfants sont devant moi et ne me voient pas. Je suis dans un état second. Régulièrement, elle s'arrête. Nous demande ce qu'elle était en train de dire, s'excuse, se reprend. J'ai envie de la serrer dans mes bras tellement je la trouve touchante. Je bois ses paroles. J'ai l'impression que Giono va arriver, que l'on va boire un café, entre nous. J'ai envie que le temps s'arrête. Je ne respire plus. Je ne bouge plus. Je ne veux pas perdre un mot de ce qu'elle dit.
Soudain, je tourne la tête vers l'intérieur de la maison. Derrière une large vitre, dans une pièce qui sert d'accueil, de bibliothèque et de librairie, je vois Sylvie Giono. Enfin, je vois... Giono. Elle lui ressemble tellement. Et là, mes larmes se mettent à couler, mon émotion est telle que je suis incapable de me maîtriser. Je croise les doigts pour qu'aucun de mes gamins ne se retourne et ne me voie dans cet état-là. J'ai les yeux rouges, les joues gonflées, je commence à renifler bruyamment, je tremble de partout. C'est la catastrophe. « Ça va maman? », m'interroge d'un air inquiet ma fille Hélène. C'est encore pire. Je ne contrôle plus rien. Je fais peine à voir. Un désastre. Heureusement, la petite dame ne se rend compte de rien, toute à ses souvenirs bientôt enfuis. Elle nous invite à entrer dans la maison. J'appréhende mes réactions. D'abord, la bibliothèque. La femme prend les livres, les ouvre au hasard pour nous montrer les annotations de Giono. Les yeux me sortent de la tête. L'écriture de Giono, là, petites pattes de mouche au crayon à papier. Nous attendons un peu dans l'entrée. La femme est fatiguée. L'universitaire vient prendre le relais. Soudain, je vois un musicien (un concert se prépare) entrer dans une pièce que l'on ne visite pas. Je sais que cette pièce est la cuisine. Je sais que si je ne force pas le passage, là maintenant, je ne la verrais peut-être jamais. Je le suis. J'entre. C'est incroyable comme la volonté donne des ailes. Il me dit que je n'ai pas le droit d'être là. Peut-être mais j'y suis. Je suis dans la cuisine et je ne bouge pas. Je reconnais les lieux. Je vois le tableau de Bernard Buffet. Le musicien ne me dit plus rien. Il attend que j'aie fini de voir, de regarder, de sentir. Il finit par faire ce qu'il a à faire et je finis par sortir. Je rejoins les autres, à l'étage, dans... le bureau de Giono.
Alors là mes amis, c'est le pompon. Nous entrons : je connais tous les coins et les recoins de ce lieu. J'ai vu la pièce, photographiée ici et là, et surtout j'ai vu Giono assis derrière ce bureau. Il n'est plus là mais tout est là de lui, sa veste jetée sur le divan, son chapeau, ses pipes, ses plumes… La pièce n'est pas grande, il fait très chaud. L'universitaire tient à ce que nous soyons à l'aise (il a du boulot avec moi!), invite Hélène à s'asseoir sur le fauteuil de Giono, derrière le bureau. La gamine obéit. Hélène est À LA PLACE de Giono, derrière le bureau. Je ne vois que ça. Moi-même, je m'assois sur le divan. Ma main gauche touche la veste et le chapeau de Giono. Je crois que je suis à deux doigts de m'évanouir. L'universitaire est bavard, bavard, ma fille aînée commence à tourner de l'oeil et s'allonge par terre. Mon fils cadet a pris place dans un fauteuil bas. Je crois que j'ai communiqué à toute la famille mon émotion. Mes enfants découvrent une mère qui n'est plus dans son rôle, qui ne maîtrise plus rien, qui pleure et tremble comme une gamine. Nous redescendons et passons par la grande pièce qui sert d'accueil et de librairie. Sylvie Giono est toujours là. J'aimerais lui parler mais mon état ne le permet vraiment pas. J'envoie Hélène qui, du haut de ses dix ans, commence à trouver cette journée particulièrement pénible. Elle a la mission de demander une dédicace. La gamine y va, fait la demande. Je vois Sylvie Giono qui s'avance vers moi. J'aimerais lui parler. Je pleure, je bafouille un « vous lui ressemblez tellement », elle comprend, m'embrasse. Lorsque nous redescendons vers le centre de Manosque, je marche comme si j'avais bu. Je dois avoir de la fièvre. Je suis vidée, j'ai l'impression de finir un marathon. Mes gamins sont hilares. Ils auront des trucs à raconter en rentrant.
Bref, je me rends compte que je suis la reine de la digression et que je n'ai toujours pas parlé du livre d'Emmanuelle Lambert (mai je voulais vous préciser que mon rapport à Giono et à son œuvre est un peu particulier, un brin viscéral peut-être...)
Une biographie de Giono. Bon. J'en ai déjà lu pas mal. Oui mais celle-ci, elle est vraiment bien. Ah d'accord. Allons-y. Voilà comment je suis entrée dans l'oeuvre...
Comme je me suis régalée ! Et ce, pour plusieurs raisons : un, c'est un texte vivant, personnel, sensible (et rien ne me touche plus que le lien qu'un lecteur entretient intimement avec une œuvre), puis, c'est un texte qui ne cherche pas l'exhaustivité (on s'en moque) mais plutôt, le coeur, l'essence, l'esprit de l'oeuvre et de l'auteur, un texte qui sait s'attarder sur ce qui à première vue pourrait sembler être un détail mais qui en réalité est lourd d'un sens qui n'apparaît pas au premier regard et puis, Emmanuelle Lambert, et c'est bien là l'essentiel, a compris Giono, a compris son œuvre (et en plus, on est d'accord… donc elle a raison, n'est ce pas? Oh ces mots sur Un Roi « les plus aguerris portent dans leur coeur Un roi sans divertissement, livre étincelant de blancheur, enrobé dans un désespoir calme. Le point final apposé auprès du mot « chef-d'oeuvre ») Elle évoque aussi cette maison dont je vous ai très longuement parlé (inutile de vous dire que j'ai lu ces pages avec beaucoup d'émotion et adoré que me soient données des précisions sur l'alarme, la clenche montée à l'envers…) C'est tellement vrai que cette maison tient « du mémorial et de la location de vacances »… Lors de notre visite, on nous avait dit que la maison avait été rachetée par la mairie, qu'on ne rentrerait plus comme ça dans les pièces, qu'il y avait eu des vols. Visiblement, Emmanuelle Lambert y est allée un peu après nous, au moment du grand déménagement.
Et puis, j'ai appris des choses, l'une en particulier m'a éclairée. Et j'ai mieux compris ce que je pressentais, ce que j'avais deviné… Jusque là, un morceau du puzzle n'entrait pas. Il me restait une pièce que le livre d'Emmanuelle Lambert m'a enfin permis d'emboîter. Je ne vous dirai pas laquelle. À chacun sa part de mystère… Il m'a fallu du temps pour la trouver. Vous allez, avec Giono, furioso prendre un sacré raccourci ! Veinards !

lundi 23 mars 2020

Un automne de Flaubert d'Alexandre Postel


Éditions Gallimard
★★★★★ (coup de coeur 💜)


Ah, le voilà mon coup de coeur ! Et je ne perds pas de temps pour le dire, comme ça, même si vous ne lisez que les premières lignes de ma chronique, au moins, vous le saurez !
« Un automne de Flaubert »… déjà, ce titre, quelle merveille, j'en aime tous les mots (oui, je sais, il n'y a que deux substantifs, mais lesquels...) et ce bandeau (moi qui déteste les bandeaux) représentant un tableau d'Eugène Boudin… Impossible de résister...
Ah, ce roman… passionnant par son contenu : la cinquante-troisième année de Flaubert - sachant qu'il mourra à 57 ans, il est quasiment rendu à la fin de sa vie -, où il alla, ce qu'il fit de cette année-là, l'état d'esprit dans lequel il se trouve etc. etc ... tout cela m'a intéressée et m'a beaucoup émue aussi. J'ai été élevée au biberon flaubertien (je vous l'avais déjà dit, je crois) et j'ai lu un certain nombre de biographies sur Flaubert. Mais là, et c'est ça qui est complètement magique, Alexandre Postel nous le rend VIVANT, notre bonhomme. Oui, il est là, devant nous, inquiet à cause de problèmes financiers (ce à quoi il n'a jamais été confronté auparavant,) fatigué par la vie, fragilisé par une santé défaillante, inquiet quant à sa capacité à faire une phrase, triste, mélancolique, ne supportant plus la médiocrité ambiante et pourtant, pourtant, tellement plein de vie, insatiable bouffeur, fou de bains de mer (vous aviez déjà imaginé, vous, Flaubert nageant ? Hugo, oui, mais Flaubert?), curieux comme pas un, sensible, plein d'humour, d'idées, de liberté d'esprit... Oui, il est là, en chair et en os, débarquant en l'année 1875 à Concarneau (il veut voir la mer), où il va observer les dissections de son ami et naturaliste Georges Pouchet qui découpe au scalpel tout ce qui lui tombe sous la main en fait de turbot, homard ou lièvre de mer. Flaubert regarde la vie quitter ces pauvres bestioles et soudain, le processus de création littéraire émerge en lui, l'imagination s'active mystérieusement, l'inspiration prend forme, se nourrissant de cela même qui lui semble en tous points éloigné...
Fascinante alchimie...
Le soir, tandis que l'odeur des sardines se dissipe doucement sur la ville, coincé dans sa petite chambre d'hôtel, il commence l'écriture de « La légende de saint Julien L'Hospitalier ». Et là, Alexandre Postel nous offre le fascinant spectacle de la création littéraire et de ce goût d'écrire qui revient : l'on voit, en effet, comment s'élabore, dans l'hésitation, le tâtonnement, les errements, une phrase parfaitement rythmée dans laquelle chaque mot est pesé, soupesé, pensé, examiné, comme au scalpel, fond et forme, sens et sonorité…
Et le prodige a lieu là, sous nos yeux.
Et c'est magique !
Flaubert a vaincu, il s'est hissé encore une fois au sommet, est parvenu au sublime, terrassant la mélancolie et les premières ombres de la mort.
Et puis, encore une chose… Allez, cerise sur le gâteau… l'écriture flaubertienne d'Alexandre Postel est un délice, n'ayons pas peur des mots… On y sent une fréquentation régulière et assidue des romans du bonhomme, un goût puissant pour lesdits écrits et surtout une sympathie profonde pour celui qui signait « ta vieille nounou décrépite » lorsqu'il écrivait à sa nièce…
Un texte remarquable. Mon coup de coeur.


vendredi 20 mars 2020

Histoire d'amour de Stéphane Audeguy


Éditions du Seuil (Fiction & Cie)
★★★☆☆ (j'ai aimé mais...)


Stéphane Audeguy est un esthète : il a le goût de la beauté et du plaisir. Aussi, chacune de ses phrases revêt les beaux atours de la grâce et ses pages ressemblent à de charmants tableaux devant lesquels on s'attarderait volontiers. Pas de doute, c'est la classe. Ajoutez à cela une pensée originale, libérée, je dirais même insubordonnée, qui a su ne pas s'embourber dans la norme sociale et le carcan du conformisme, un rapport au monde à la fois poétique et extrêmement critique, enfin une érudition et une culture telles que l'on se sent bien petit quand on rédige une chronique sur un travail d'une telle pointure.
Oui, je suis impressionnée, vous l'aurez remarqué et ça me coupe un peu l'herbe sous le pied. J'admire toujours en me taisant. Mais bon, comme je suis là pour parler de son livre, alors je vais le faire ! Abordons le sujet : Vincent, (double de l'auteur?) 53 ans, critique d'art parisien, amoureux d'Alice, une artiste plasticienne, a été témoin d'un attentat qui a eu lieu près de chez lui. Depuis, il a des malaises fréquents et s'imagine (se rêve?) dans le corps d'autres personnes d'époques antérieures ou de lieux divers : il est Actéon, le chasseur, qui découvre Artémis nue se séchant délicatement au soleil. Il est aussi Philippe, jeune Juif new-yorkais qui quitte en 1942 les États-Unis pour devenir soldat et participer à la Seconde Guerre Mondiale en Italie. Il se métamorphose aussi en un peintre florentin de la Renaissance : Pierre de Côme ou en un jeune marin lisboète, Nino Caceres, qui va s'embarquer pour les côtes du Brésil au XVIe siècle… Il est aussi lui-même et revit, dans ses moments d'absence (ou de présence dans un ailleurs enfoui au plus profond de son être) son enfance dans une fade banlieue, la découverte de la sensualité, de la sexualité, ses années d'étudiant…
Concrètement, cela donne lieu à un récit dans lequel vont alterner différents personnages (qui n'en sont peut-être qu'un seul… des doubles de Vincent), différentes époques. Le fil conducteur ? Il est annoncé dans le titre : l'amour, la relation au corps de l'autre, le désir, la mort, la liberté…
Le titre étant au singulier, est-ce à dire que finalement, Vincent est multiple, indéfinissable, inclassable, qu'il tient d'Artémis et de Philippe, de Pierre et de Nino, qu'il est « homme et femme, pauvre et riche, inconnu et célèbre… » à la fois, qu'il porte en lui le désir de l'un, la féminité et la violence de l'autre ?
« Ces vies qui assaillent Vincent sont si différentes qu'un jour il saisit, en souriant de sa naïveté, cette évidence : il n'y a aucune raison valable de considérer que celle qui jusqu'à maintenant dominait son présent est la plus importante. »
Toutes les histoires d'amour n'en sont qu'une aussi peut-être, comme l'indique le titre, dans son apparente banalité… Une sous différents visages… Qui sommes-nous au fond ? Sommes-nous réduits à n'être qu'un genre, qu'un sexe, qu'une fonction, qu'une vie ? Les personnages évoqués ont en commun le fait d'être libres : ils suivent leur destin et soudain, au détour du chemin, s'offrent l' audace du pas de côté, du coup de folie. Ils font soudain une pause dans leur histoire : ils ne sont plus chasseur, marin, peintre, soldat mais amoureux, fous de sensualité et ivres de jouissance, de beauté et de lumière, prêts à entraîner l'autre (ou à se laisser entraîner) dans des espaces inconnus, interdits, comme suspendus dans le temps...
D'un personnage à l'autre, d'une situation à l'autre se forme un maillage étroit d'échos et de thèmes récurrents qui tissent les histoires entre elles, créent des correspondances entre les hommes, les époques, le réel et le mythe, la réalité et la fiction.
En tout cas, si j'ai admiré l'écriture de ce roman et dans une certaine mesure sa construction, j'ai trouvé que les parties « historiques », notamment celles concernant Philippe, par leur longueur, déséquilibrent et cassent le rythme de l'ensemble. Peut-être eût-il été nécessaire (le débat reste ouvert) d'accorder moins de pages (et donc de laisser au second plan) des personnages auxquels le lecteur ne s'attache pas vraiment. Autant les réflexions de Vincent m'ont passionnée, autant j'ai parcouru les passages historiques en traînant un léger ennui.
C'est dommage parce que ça risque de détourner d'un bel ouvrage un certain nombre de lecteurs...



                   

jeudi 19 mars 2020

Croire aux fauves de Nastassja Martin


Éditions Gallimard (Verticales)
★★★★★ (J'ai beaucoup aimé)

Le 25 août 2015, tandis que l'anthropologue Nastassja Martin, spécialiste des populations arctiques, explore les montagnes du Kamtchatka (Extrême-Orient russe), elle se fait surprendre par un ours qui lui arrache une partie de la mâchoire. Elle est immédiatement transportée en hélicoptère dans un hôpital de Petropavlovsk où elle subit plusieurs opérations avant d'être rapatriée en France. Elle sera de nouveau opérée à La Salpêtrière puis rejoindra sa maison familiale dans les Alpes pour se reposer. Mais la nécessité de repartir s'imposera rapidement à elle : elle s'envolera de nouveau vers les montagnes du Kamtchatka pour retrouver les amis qu'elle a laissés là-bas et surtout, pour tenter d'analyser, de nommer, de donner du sens à ce qu'elle a vécu.
Si l'on s'en tient aux faits, ils sont ci-dessus résumés en quelques phrases. Rencontrer des ours dans ce lieu du bout du monde n'a rien d'étonnant : on dénombre environ 15 000 ours bruns sur ce territoire de volcans. C'est la plus grande concentration mondiale. Généralement, l'ours n'est pas agressif mais il peut lui arriver d'attaquer, notamment s'il a faim ou s'il a peur. Dans cette rencontre entre la femme et l'animal, les deux ont été surpris, aussi bien elle que lui.
Vous imaginez bien que dans cette région, les légendes, les croyances autour de l'ours sont nombreuses : l'on dit par exemple qu'un ours qui regarde un homme dans les yeux croit s'y voir lui-même, comme s'il découvrait son double dans le monde des hommes. Dans ce cas, si l'ours tue l'homme, il peut revenir parmi les siens. Sinon, une partie de lui reste parmi les hommes.
Et si, dans le sens inverse, Nastassja, dont le visage a été « avalé » par l'ours, avait d'une certaine façon pénétré le monde animal, si elle était devenue elle aussi une part de l'animal, comme si les frontières entre les deux mondes avaient disparu ? C'est précisément là-dessus que s'interroge l'anthropologue : en effet, elle a l'impression que son corps est « un territoire envahi ». « Il y a eu nos corps entremêlés, il y a eu cet incompréhensible nous, ce nous dont je sens confusément qu'il vient de loin, d'un avant situé bien en deçà de nos existence limitées. » Et si son corps avait été, était encore (et pour toujours) le territoire d'un autre ? Et si elle était devenue une espèce d'être hybride, « moitié femme moitié ours » ? Cette légende qui lui est racontée lors de son second voyage explique peut-être le malaise profond qu'elle ressent après cet accident, malaise que les médecins psychologues français tentent de soulager en se focalisant uniquement sur la jeune femme (enfance, décès du père etc. etc ...) sans penser finalement que l'on est un tout, que l'on appartient à l'univers, que l'on fait un avec l'univers… Nastassja est persuadée que les médecins, en étudiant son cas et en le coupant du monde, font erreur car elle est le monde, elle « porte une part de l'ours en elle », de même que l'animal porte en lui une part d'humanité.
« Je pense à tous ces êtres qui se sont enfoncés dans les zones sombres et inconnues de l'altérité et qui en sont revenus métamorphosés, capables de faire face à « ce qui vient » de manière décalée, ils font à présent avec ce qui leur a été confié sous la mer, sous la terre, dans le ciel, sous le lac, dans le ventre, sous les dents. »
Dorénavant, elle sera l'ours, le portera en elle, de même qu'il sera la femme et la portera en lui…
J'ai vraiment trouvé cette réflexion fascinante car elle nous ouvre, nous Occidentaux très rationnels, à une réflexion sur notre rapport au monde, à la nature, aux animaux. L'accident de Nastassja, en lui faisant faire un pas de côté, lui a permis de reconsidérer le monde : « J'ai vu le monde trop alter de la bête ; le monde trop humain des hôpitaux. J'ai perdu ma place, je cherche un entre-deux. Un lieu où me reconstituer. Ce retrait-là doit aider l'âme à se relever. Parce qu'il faudra bien les construire ces ponts et portes entre les mondes... » Nastassja réalise qu'elle fait partie d'un tout et considérer ce tout est pour elle le seul moyen de la rendre à elle-même ou plus exactement de lui permettre de trouver un équilibre entre les deux éléments qui la constituent dorénavant : femme (l'humain) et bête (la nature).
Par ailleurs, et alors que je ne m'y attendais vraiment pas, le témoignage de Nastassja lorsqu'elle évoque son opération à la Salpêtrière dans le service maxillo-facial, son rapport à sa chirurgienne et aux amis qui l'entourent m'ont vraiment fait penser aux paroles de Philippe Lançon dans Le Lambeau. Le même ressenti, les mêmes sensations… J'étais très surprise de retrouver les mêmes mots dans la bouche de personnes ayant vécu des expériences si différentes.

« Croire aux fauves » est un petit livre qui nous amène à réfléchir à notre place dans le monde : nous nous pensons les maîtres, nous croyons tout dominer, nous osons ne rien respecter. Espérons que le « pas de côté » que nous vivons actuellement nous fera reconsidérer ce que nous sommes, revoir nos pratiques, accepter la porosité entre la nature et nous-même et retrouver enfin une certaine forme d'harmonie sans laquelle il n'y aura pas de paix.  


mardi 17 mars 2020

Vie de Gérard Fulmard de Jean Echenoz


Éditions de Minuit
★★★☆☆ (mouais...)


Deux mots sur l'histoire : un dénommé Gérard Fulmard, anti-héros très ordinaire, tente de créer une espèce d'agence de détective et finit par être employé par des membres d'un parti politique pour zigouiller l'un d'entre eux.
Mon ressenti sur le roman : grosso modo, ça donne ceci :
p 7 à 15 : entrée en matière in medias res (ok)… un gros fragment de satellite soviétique vient de tomber sur un supermarché situé pas loin de l'appartement du narrateur (ok)… on attend la suite…
p 16 à 22 : présentation du personnage… j'aime assez, notamment le « je ressemble à n'importe qui en moins bien », certainement la meilleure phrase du roman...
p 23 à 45 : commence ce qui m'a TERRIBLEMENT ennuyée tout au long du récit : un énorme imbroglio politicien (auquel on ne comprend pas grand-chose et qui ne débouche sur rien, je vous rassure mais ah, ah, ah, c'est très tendance -bien qu'un peu passé de mode, non ?-, très « Nouveau Roman » les leurres, les fausses pistes qui nous interrogent sur la notion d'horizon d'attente, de contrat de lecture... - j'ai tout un cours sur la crise du roman au XXe siècle si ça intéresse quelqu'un-) autour de la F.P.I (Fédération Populaire Indépendante) et des « personnages » (je mets des guillemets, c'est plus prudent) que j'ai toujours confondus (mais c'est voulu, ah, ah, ah, on n'en est plus chez Minuit à la notion de personnage, Sarraute est passée par là… quelle ringarde je fais!) à savoir (dans le désordre, de toute façon, on les mélange tous) : Franck Terrail, Nicole Tourneur (qui se fait enlever je crois, puis on la retrouve mais tout le monde s'en fout, ah, ah,ah...), Louise Tourneur (c'est elle qui se baigne dans une piscine, non ?), un certain Mozzigonaci (qui est-il ? Aucune idée, mais sait-on qui on est ? ), Cédric Ballester (lui, on en parle souvent mais je ne sais plus pourquoi), Joël Chanelle (?) … etc...etc... (ah ah ah et la critique de se pâmer sur l'originalité des noms propres chez Echenoz… mouais, mouais, mouais… passons…)
On continue.
p 46 à 54 : installation du narrateur… On sent que ça se veut vaguement drôle… allez, on sourit, pour être poli (c'est Echenoz tout de même…) Bon…
p 55 à 68 : rebelote, les histoires de la F.P.I auxquelles on ne comprend toujours rien… Long tunnel… On reste patient (Echenoz), on ne s'endort pas (Echenoz), on tente de rester concentré (Echenoz).
p 69 à 77 : le narrateur trouve un client… Bon...
p 78 à 102 : long long long tunnel F.P.I…
p 103 à 108 : où l'on parle de Mike Brant… Pourquoi ? Ne me posez pas la question… C'est original ce passage sur un homme qui a habité la même rue que le narrateur, non ? Faites pas d'effort surtout !
p 109 à peu près jusqu'à la fin (mais là, j'avoue que la coupe était déjà pleine)  : long, ultra long tunnel F.P.I… J'avais décroché et je n'avais qu'une hâte : rendre le bouquin à la bibli. Merci.
Le livre aurait-il passé le test d'une dégustation à l'aveugle ? Pas sûr !
Estampillé « Minuit » ou « Echenoz », ça change tout…
Oui, oui, d'accord, il sait manier la langue, l'ironie et n'utilise, paraît-il, jamais de point de suspension parce que, d'après le magazine LIRE, chez lui rien n'est laissé au hasard... De là à dire qu'on se régale à chaque mot… n'exagérons rien!
Oui, oui, d'accord, il joue avec la narration (changements de point de vue à l'intérieur d'une même phrase, interventions inattendues de l'auteur, multiples digressions, décalages entre ce qui est décrit et le niveau de langue employé) et c'est parfois amusant, mais franchement, on en est encore là ? Sans rire, ces procédés, vus et revus, sont éculés depuis un bon bout de temps et ce qui pouvait surprendre, amuser, déranger même il y a soixante ans ne produit plus vraiment l'effet escompté et tombe un peu à plat…
Tout ça sent le vieux et le réchauffé...
Je vous le laisse...

dimanche 15 mars 2020

La vie princière de Marc Pautrel


Éditions Folio
★★★★☆ (finalement, j'ai bien aimé)


C'est mon libraire qui m'avait mis ce livre dans les mains (j'ai l'impression de parler d'une époque reculée où l'on entrait dans les librairies choisir des livres…. J'arrête, ça va me faire chialer…)
Bref… Il m'avait prévenue : c'est une histoire d'amour mais il ne se passe rien. Pas de souci, moi qui ai été élevée au biberon flaubertien, le « rien » dans les romans, ça me va parfaitement… à condition quand même que l'écriture soit là…
Bon, alors, cette Vie princière ? 79 pages, c'est vite avalé. Le sujet : un écrivain participe à un séminaire où il est censé étudier, lire, assister à des conférences… le tout dans un cadre idyllique appelé « Le Domaine » (ça aide, les beaux paysages dans les histoires d'amour… et les longues soirées bien arrosées sur des balcons qui dominent la vallée aussi…) Un soir, notre écrivain rencontre une universitaire : belle, pas trop vieille ni trop jeune non plus… du genre (je n'ai pas dit « genre ») j'ai de l'expérience, un peu de vécu, avec un corps qui tient encore la route… Bref, tout pour plaire donc. En plus de ça, elle est italienne, dynamique, joyeuse, drôle, elle travaille sur « la figure du Christ chez les auteurs du XXe siècle » (elle fait ce qu'elle veut!), parle couramment un certain nombre de langues, elle est cultivée, spirituelle, à l'écoute et fascinée par cet auteur-narrateur ( en tout cas, c'est ce qu'il dit!)…
Lui, à vrai dire, on ne sait pas trop à quoi il ressemble ni ce sur quoi il travaille. Pas contre, il est nul en langues et donc épaté par la belle Italienne. (Je peux le comprendre.)
Donc, ils se rencontrent… Évidemment, il ne tombe pas amoureux d'elle immédiatement (j'en connais d'autres : « La première fois qu'Aurélien vit Bérénice etc, etc…), puis finalement, la trouve pas si mal (ah, le charme…) et, c'est parti, le sentiment amoureux s'empare littéralement de sa personne et… et… Là, il n'y a plus grand-chose à faire, comme vous le savez : on a des ailes, on n'a plus faim et l'absence de l'autre est une torture… CQFD…
Sauf que… Y a un souci… Madame a déjà un compagnon… C'est embêtant… Certains s'en arrangent, pas d'autres, et l'on sent que notre narrateur s'en serait bien arrangé.
Unité de temps (trois jours), de lieu (un coin de paradis dans un coin du Sud certainement - cf la végétation … qui n'a rien à voir avec celle que je vois de ma fenêtre), unité d'action (la voir, la revoir encore et encore)…
Discussions, balades, dîners (eh les gars, on s'inscrit où???), rediscussions, rebalades, redîners (pas de courses ni de cuisine à faire, c'est soit servi en salle, soit livré dans la chambre…) Mais on s'inscrit oùùùùù ??? (J'aurais dû pousser jusqu'à la thèse… mais qui paye ces séminaires au fait ? L'État ? Ou chacun paye sa part ? Bon allez, je ne vais pas faire ma râleuse, ce serait complètement déplacé dans ce genre de chronique - mais bon, je suis sûre qu'il doit y avoir des abus dans ces rencontres universitaires…) Voilà le programme… Et l'histoire...
L'écriture ? RAS. Calme plat. (J'aurais - peut-être - pu en faire autant - ben, fais-le alors, pauvre idiote, il en a vendu des bouquins lui, au moins, ça rapporte…)
Alors quoi, il m'a dit des conneries mon libraire ???
Ben non… Et vous savez pourquoi ? Parce que ce petit livre de rien du tout et cette histoire qui ne paye pas de mine, qui n'a l'air de rien, eh bien, elle me trotte dans la tête, des images me reviennent, souvent, très souvent même, des petites phrases très justes comme « Parler avec toi, être à côté de toi, me semble une expérience surhumaine, et pour ainsi dire divine. » Parce que oui, c'est exactement ça l'amour, un truc incontrôlable qui te change la vie, qui fait que tu ne te reconnais même pas toi-même, que tu te trouves con(ne) mais que t'y peux rien, que si l'autre est là, alors la vie est belle et que s'il est absent ou avec quelqu'un d'autre, alors ce que tu ressens, c'est à peu près ça (de l'ordre du traité de décomposition) : « je prends mon crâne inerte à deux mains…, je le repose sur mon cou, je l'enfonce, je le visse, j'ai une tête morte sur un corps de vivant, je dissimule mon état, je continue de sourire... » Exactement ça… Et je m'aperçois que les images de ces deux-là se baladant parmi les oliviers, discutant, riant dans une espèce de légèreté absolue, de fluidité, de bien-être complet, total, eh bien oui, Marc Pautrel l'a parfaitement exprimé. Pas de grandes phrases, pas de longs commentaires, juste quelques pages qui nous font sentir (c'est toujours le même mot qui me revient, alors je l'utilise encore une fois) ce sentiment inouï et forcément fugace de légèreté, de grâce et certainement de bonheur…
Merci mon libraire...

samedi 14 mars 2020

Vanda de Marion Brunet


Éditions Albin Michel
★★★★☆ (j'ai bien aimé)


Vanda a vue sur la Méditerranée… Plus exactement le cabanon vétuste dans lequel vit Vanda s'ouvre sur la Méditerranée dans laquelle elle plonge pour oublier un quotidien douloureux : un boulot précaire et mal payé de femme de ménage dans un hôpital psychiatrique, un logement décrépi et sans fenêtres qui ressemble à tout sauf à un vrai logement, une voiture en fin de vie qui menace à tout moment de la laisser en rade sur le bord de la route…
À cela s'ajoute le retour inattendu d'un homme qu'elle connaît bien, qu'elle a aimé, il y a sept ans, autant dire dans une autre vie, et qu'elle a perdu de vue. C'est du passé tout ça… Et le voir revenir là où elle vit, à Marseille, la rend mal à l'aise...
Il veut boire un verre avec elle. Elle n'est pas plus emballée que ça. De l'eau a coulé sous les ponts depuis ce temps-là. Elle a tourné la page et lui d'ailleurs s'est trouvé une petite Parisienne avec qui il vit. Alors à quoi bon se revoir ? Pour dire quoi ? Elle finit par accepter, pour être sympa. Elle a appris qu'il était là pour l'enterrement de sa mère. Elle est devant lui maintenant et boit son coca. Ils n'ont pas grand-chose à se dire. Elle s'en doutait. La conversation patine autour de deux trois banalités.
Et puis, tout à coup : 
« - J'imagine que tu veux voir Noé ?
- Qui ?
- Ton fils. »
Vanda est l'histoire de cette femme marginale qui a élevé seule son enfant, luttant chaque jour parce que le quotidien n'est pas réjouissant et qu'une galère en appelle forcément une autre… Ça s'appelle la loi des séries… Accumulant ici et là des petits boulots mal payés, des fins de mois impossibles, des emmerdes, des errances, elle se bat bec et ongles pour protéger son enfant et sa liberté… Une vraie tigresse qui gueule sans cesse, résiste comme elle peut, se débat dans un monde étriqué, normé, injuste, bref pas fait pour elle.
Mais Vanda, c'est aussi l'histoire de Simon, ce père qui ne savait pas qu'il était père et qui comprend, en même temps qu'il fait la connaissance de son fils, qu'au fond, sa vie parisienne n'a pas beaucoup de sens, qu'il s'est leurré et a peut-être fait fausse route. Son malaise est profond, violent, douloureux. Après avoir réglé les affaires de sa mère, il doit rentrer à Paris. Pourtant, il reste. Retourne voir Vanda. Voir son fils.
Et Vanda n'en peut plus de cet homme qui s'immisce chaque jour davantage dans sa vie, sa vie à deux, avec Noé.
Marion Brunet a incontestablement une écriture qui cogne, heurte, fait mal. La phrase est rythmée, heurtée. Elle mime un réel violent, douloureux, fait de coups et de chocs, de querelles et de malentendus. Et le lecteur est saisi, accroche, craint le pire pour cette femme prise au piège dans un monde cruel et impitoyable pour les petits, les laissés-pour-compte, ceux qui tentent de maintenir leur tête hors de l'eau parce qu'ils ne savent pas nager et refusent de couler. Vanda est de ce monde. À chaque pas de côté (et ils sont nombreux), ivre de colère, emportée par la fureur, elle frôle le ravin, le sait, mais, la peur au ventre et la rage au coeur, elle continue à longer le bord, comme pour jouer avec une vie qui ne lui fait pas de cadeau. Elle est tragique, Vanda, et l'on sent qu'à tout moment, sa vie peut définitivement basculer...
Un texte brutal, acéré, puissant qui traduit bien le côté animal et instinctif de Vanda, la sauvagerie dont elle est capable lorsque l'on s'approche de ce fils dont elle est folle d'amour…
Même si c'est son père…
La dimension sociale, engagée, du roman fait sans cesse référence à l'actualité : gilets jaunes, précarité de l'emploi, souffrances de l'hôpital public… La crise est là et Vanda en est la victime… D'aucuns diraient qu'elle l'a cherché et qu'au fond, tout est de sa faute. Peut-être un peu aussi…
Un roman intense et glacial, reflet du monde terrible qui est le nôtre...

dimanche 8 mars 2020

Miroir de nos peines de Pierre Lemaître


Éditions Albin Michel
★★★★★ (j'ai beaucoup aimé)


Alors, ce troisième volume, lecteur, tu te demandes à juste titre ce qu'il vaut et si tu peux risquer d' investir ton argent de poche dans cet épais roman de 532 pages...
Après Au revoir-là-haut et Couleurs de l'incendie, Pierre Lemaître nous propose le dernier tome de cette « trilogie de l'entre-deux-guerres » : Miroir de nos peines, dont l'intrigue se situe en 1940 entre le 6 avril et le 13 juin, autrement dit, entre la « drôle de guerre » et l'exode…
Les premières pages mettent en scène un cafetier parisien nommé M. Jules qui râle (un cafetier parisien, disais-je…) parce que la guerre ne commence pas, parce qu'une guerre, c'est pas ça et parce que, dit-il en jetant son torchon sur son épaule gauche et sans cesser de râler, le prix du charbon augmente, les quotidiens censurés y'en a marre et le couvre-feu ras-le-bol… C'est pas une vie, quoi !
Dans un recoin de son restaurant « La Petite Bohème », se tient tous les samedis depuis vingt ans un homme silencieux que tout le monde surnomme « le docteur »… Il prend son repas, sourit à Louise qui le sert et repart… Mais ce jour-là, il se penche vers la jeune femme et lui fait une demande pour le moins étrange : accepterait-elle de se dénuder devant lui ? Il ne s'approcherait pas d'elle, non, il la regarderait et c'est tout…
Qui est ce docteur ? Qu'attend-il ? Que veut-il ?
Hé, hé, lecteur, à la quatrième page, te voilà ferré… Parce que ce Pierre Lemaître a incontestablement l'art et la manière de nous saisir, de piquer notre curiosité et de ne pas nous lâcher… Si ce roman était paru en feuilleton, au XIXe, dans un quotidien quelconque, à coup sûr on n'en aurait pas loupé un numéro… Oui, il y a du « roman populaire » dans ce texte (et je ne mets rien de péjoratif dans ce terme)… Des histoires d'amour, des enfants abandonnés, des secrets de famille, des gens qui meurent et qui pleurent, des lettres passionnées, des séparations, des retrouvailles, des rebondissements à gogo… Le tout parfaitement rythmé : pas de temps mort… Un vrai page-turner… Le plaisir de lecture est là, à chaque page, et l'on ne s'en plaint pas !
Bon, le côté mélo est peut-être un peu plus prononcé que dans les deux premiers volumes… Ce n'est pas ce que j'ai préféré mais autant dire que ça marche, on veut connaître la suite, on est humain quoi…En plus, comme tout cela se lit très facilement, on traverse les pages à la vitesse d'un bolide de Formule 1 et c'est délicieux, incontestablement… Pierre Lemaître est doué, pas de discussion là-dessus…
Mais voyez-vous, ce que j'ai préféré se loge ailleurs : dans deux domaines où l'auteur excelle vraiment. 1 : les grandes scènes (qu'on n'oubliera jamais) et il y en a quelques-unes (dont une qui arrive très vite au début du roman… mais chut… - quand je pense que dans une émission de France Culture, ils ont osé la dévoiler… je leur aurais tordu le cou en direct…) Franchement, Lemaître a de l'idée pour créer des situations improbables, complètement inattendues et très cinématographiques…
Il est fort, très fort mais là où il est le meilleur, c'est dans la création de personnages qui portent à mon avis le roman : un certain Raoul Landrade et surtout, surtout et là, je pèse mes mots : un homme hors du commun, ébouriffant, fou ?, inouï, tellement rocambolesque, j'ai nommé (roulements de tambour)... Désiré Migaud…
Alors, rien que pour lui, mes amis, vous pouvez, les yeux fermés, investir 22 euros 90 dans ce roman parce qu'il en vaut la chandelle… Pourquoi ? Ah ah… C'est pareil, faut pas trop en dire… ça gâche et vous m'en voudriez... mais sachez quand même que ce personnage va vous faire hurler de rire (bon j'exagère un peu, c'est vrai, mais pas tant que ça), que vous allez le rencontrer de façon plutôt inattendue et que vraiment, là, on touche à la perfection en terme d'originalité, de mystère et d'invention…
Sacré Désiré, tiens, tu me manques déjà !
Allez à sa rencontre : il est phénoménal et, dans les dernières pages du roman… il touche, disons-le, au sublime…
On en reparlera de celui-là, vous verrez…
Foncez !