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vendredi 30 juin 2017

Juillet, on y est !


On va appuyer sur pause, quitter des yeux les aiguilles des horloges, respirer, regarder les nuages passer… et lire toute la journée si l'envie nous prend, ne posant notre livre que pour aller chercher à boire, se plonger dans la mer ou dormir…
Alors, si vous êtes à court d'idées, je vous propose une petite liste de mes p'tits chéris ♥♥♥, ceux qui me viennent à l'esprit, comme ça, sans réfléchir. Bien sûr, il y en a bien d'autres que j'adore mais bon, on ne peut pas tous les noter…
N'hésitez pas à cliquer sur les petits soleils si vous souhaitez lire la critique du livre!

Donc, pour les polars ou thrillers, je retiendrais :

- Pascal Garnier (si vous ne connaissez pas, vous allez vous régaler…) : Lune captive dans un œil mort, Trop près du bord, La théorie du panda (Points)
- Peter May : L'île des chasseurs d'oiseaux (incontournable) (Babel noir)
- Frédéric Vignier : Aveu de faiblesse (Albin Michel)
- Armel Job : Tu ne jugeras point (Robert Laffont)
-  Colin Niel : Seules les bêtes (Rouergue noir) 
- Vargas, évidemment…
- pas des polars mais avec un suspense terrible : Olivier Bordaçarre: Dernier désir (Le Livre de Poche) et Notre château d'Emmanuel Régnier (Le Tripode) 


Pour les romans, je retiendrais quelques pépites récentes :

- Dans la forêt de Jean Hegland (Gallmeister)

- Ada d'Antoine Bello (Gallimard)

- Les Garçons de l'été de Rebecca Lighieri (P.O.L)

- Le gang des rêves de Luca di Fulvio (Slatkine & Cie)

- Article 353 du code pénal de Tanguy Viel (Minuit)

- Roland est mort de Nicolas Robin (Le Livre de Poche)

- Maestro de Cécile Balavoine (Mercure de France)

- Tropique de la violence de Natacha Appanah (Gallimard)

- La succession de Paul Dubois (L'Olivier)

- Règne animal de J-B Del Amo (Gallimard)

- Marcher droit, tourner en rond d'Emmanuel Venet (Verdier)


Voilà, je crois, de quoi vous faire plaisir… Surtout, laissez-moi des petits messages (sur le blog ou sur la messagerie) pour me communiquer vos émotions (coups de coeur ou coups de gueule) !


Quant à moi :

Les voici ceux qui vont nourrir mon été et dans lesquels je vais me plonger sans tarder :


- Le Monde des hommes de Pramoedya Ananta Toer (Zulma)

- L'homme qu s'envola d'Antoine Bello (Gallimard)

- Les enfants de Venise de Luca di Fulvio (Slatkine & Cie)

- Hautes solitudes, Sur les traces des transhumants d'Anne Vallaeys (La Table Ronde)

- Le coeur sauvage de Robin Macarthur (Albin Michel)

- Méthode 15-33 de Shanon Kirk (Folio)

- Les larmes noires de la terre de Sandrine Colette (Denoël)

- La fille d'avant de J-P Delaney (Mazarine)

- Gabacho d'Aura Xilonen (Liana Levi)

- L'esclave islandaise de Steinunn Johannesdottir (livre1) (Gaïa)

- Repose-toi sur moi de Serge Joncourt (J'ai lu)

- Le mur invisible de Marlen Haushoffer (Babel)


                

Il est fort possible aussi que je me laisse tenter par quelques titres dans les librairies qui se trouveront sur le chemin de mes vacances, vers Lannion puis vers Toulouse…
Vous trouverez donc, tout au long de ces deux mois, vos petites chroniques qui tomberont régulièrement : je ne vous quitte pas... De toute façon, je ne pourrais pas, vous me manqueriez trop !
Et puis, fin août, les premiers ouvrages de la rentrée littéraire montreront le bout de leur nez : à nous de chercher parmi eux les pépites qui nous donneront des ailes et nous combleront de bonheur !

Je vous souhaite de tout coeur, à toutes et à tous, de très bonnes vacances… 


mardi 27 juin 2017

L'été des charognes de Simon Johannin


 Éditions Allia
✦✦✦✧✧ (J'ai aimé)

Il n'y a aucun doute, L'été des charognes porte bien son titre ! Bon, vous ne vous apprêtez pas à passer à table ? Non ? Très bien, alors, on y va.
Allez, je dirais, dans les cinquante premières pages, vous passez… de la lapidation d'un chien à la dégustation du fromage aux asticots (gentil hein, mais attendez un peu pour voir), à la description des cadavres de quarante-six brebis qui pourrissent au soleil et dans lesquelles les gamins jouent à se pousser (eh oui, l'équarrisseur ne peut venir avant deux semaines…), un extrait pour voir ? Allez, courage : « … il y en a un en trébuchant qui est tombé sur les brebis mortes. Les bras en avant sur le tas gluant, il a fallu qu'on le tire par le col de sa chemise pour le sortir de là tellement les corps s'étaient mélangés en un amas de pourriture grasse, où il pouvait pas s'appuyer pour sortir et s'enfonçait un peu plus à chaque essai. Nous on hurlait de rire tellement c'était drôle qu'il soit recouvert de cette chose pire que de la merde, et puis quand il s'est approché les moins accrochés ont vomi. Il en avait partout presque jusque dans la bouche, plein ses bouclettes blondes du jus marron dégueulasse et des asticots collés sur les mains, même pour la pêche, on les aurait pas pris ceux-là. »
Ça va ? Vous êtes toujours là ?
Continuons !
Ensuite, on assiste à l'enterrement de Didi une femme chez qui les gamins allaient regarder la TV. Elle a laissé un cochon, qu'il faut manger et donc qu'il faut tuer… scène suivante, je vous le donne en mille : la mort du cochon (je vous en fais grâce), puis, c'est le tour des agneaux qu'il faut tuer… on passe au labo, une petite pièce de la bergerie…
Et là, on arrive à la page 50 et soudain, le rythme un peu éprouvant se calme, on souffle, je dirais presque, on respire…
L'été des charognes est un récit d'enfance puis d'adolescence : dans une campagne loin de tout, des gens très pauvres vivent plus ou moins coupés du monde. Ils élèvent des bêtes, les mangent, en vendent quelques-unes : « J'ai grandi à La Fourrière, c'est le nom du bout de goudron qui finit en patte d'oie pleine de boue dans la forêt et meurt un peu plus loin après les premiers arbres. La Fourrière, c'est nulle part. Le père, il s'est mis là parce qu'il dit qu'au moins, à part ceux qui ont quelque chose à faire ici personne ne l'emmerde en passant sous ses fenêtres. Il y a trois maisons, la mienne, celle de Jonas et sa famille et celle de la grosse conne qui a écrasé mon chat, celle à qui il était le chien qu'on a défoncé avec les pierres et qui vient que de temps en temps pour faire ses patates et pour faire chier. »
Les gamins s'amusent comme ils peuvent, c'est la misère : on boit, on se bagarre, les mômes ramènent les parents en voiture les soirs de beuverie, puis, un jour, ils quittent le pays pour aller voir ailleurs si ce n'est pas mieux.
Finalement, ils traînent partout où ils vont la mouise de leur enfance, ne trouvent pas de travail, se droguent, se battent, errent sans but et se perdent ...
J'ai aimé ce texte, la cruauté qu'il met en scène, la violence qu'il nous lance à la figure, la brutalité qui nous assomme à chaque phrase, chaque mot.
L'écriture est puissante, crue, âpre, poétique aussi. C'est sombre à souhait, terrible, désespéré et beau à la fois. Il y a du Céline et du Del Amo de Règne animal dans L'été des charognes.
Cependant, j'ai trouvé que les premières pages « en faisaient trop » : on passe sur un rythme effréné d'une scène insoutenable à l'autre et l'on entend l'auteur nous dire : attention, en voilà une autre, tenez-vous bien, encore une « grande scène » ! C'est un peu forcé, démonstratif donc artificiel et, il faut bien le dire, on sature très vite.
Attention, ces scènes, en elles-mêmes, sont fortes, puissantes : pas de doute, on y est, on les voit, on les sent (!), mais le problème, encore une fois, c'est le rythme. Trop serré. La narration perd de sa crédibilité, on décroche un peu. On a presque l'impression de lire des « morceaux choisis », une espèce d'anthologie de la cruauté. J'aurais préféré connaître davantage les personnages, leurs rapports entre eux, leur quotidien ... sans forcément qu'il y ait de l'hémoglobine.
La seconde partie qui évoque l'adolescence du narrateur à travers son errance urbaine dans les brumes de l'alcool et de la drogue est plus posée. On reprend son souffle, même si l'on reste dans un univers glauque et halluciné. L'écriture se fait plus poétique, les phrases s'allongent. Deux livres en un donc.
Simon Johannin, jeune auteur de 23 ans, promet.
Je retiens son nom et lirai à coup sûr son prochain roman.

Car il a du talent, c'est certain !

vendredi 23 juin 2017

Quand sort la recluse de Fred Vargas


Éditions Flammarion
✦✦✦✦✦ (J'ai adoré)

Il n'y a pas que la chaleur qui m'accable! Non, il y a que je viens de terminer le dernier Vargas et ça, ça veut dire qu'il va falloir que j'attende au mieux un an pour « revoir » Adamsberg, évidemment, et les autres. Car au fond, bien au-delà de l'intrigue, il faut l'avouer, ce sont surtout les personnages qu'il me presse de retrouver! Un an sans la brigade, un an sans Danglard, l'érudit, exceptionnellement un peu « con » dixit Adamsberg dans ce volume, mais bon, chacun fait comme il peut (et puis, on a tous le droit d'être un peu « con » à un moment donné de sa vie, le tout est de l'admettre et de passer à autre chose!), un an sans le café d'Estalère (c'est un don de savoir bien faire le café et certains ne l'ont pas!), sans le fidèle lieutenant Veyrenc, sans l'angoissée Froissy au placard secret rempli de pâtés de sanglier et de mousses de canard au poivre vert, un an sans l'hypersomniaque Mercadet protégé par toute la brigade, sans Voisenet le zoologue contrarié, sans Violette Retancourt et ses 110 kilos de force et de solidité, sans Mordent, sans Kernokian et Lamarre, sans La Boule, le chat qui dort sur la photocopieuse et qui ne mange qu'à l'étage dans la salle du distributeur à boissons, enfin, un an sans … Adamsberg (silence... gorge serrée ... oui oui, la mienne ... ET ALORS, J'AI LE DROIT D' ÊTRE AMOUREUSE ? NON ?)
BREF, un an voire deux, ça va être long, très long… sans eux !
Bon, reprenons-nous : oui la recluse est une araignée (Loxosceles rufescens, selon Danglard, de loxo « oblique », par extension… « qui ne marche pas droit », « vicelard » et peut-être de celer « qui se cache », ça, c'est pour mon collègue de Lettres classiques à qui je laisse le soin de s'interroger sur la pertinence de l'étymologie !)
Quant à mon collègue de SVT (il est grand temps que je parte en vacances, je ne parle plus que du boulot, ça doit être la chaleur!), il a eu la gentillesse de me montrer sur son smartphone (oui, il est mieux équipé que moi et lui, il a « l'idée », la « curiosité » d'aller voir ce genre de trucs sur Google) à quoi ressemblait une morsure de recluse : eh bien, ça n'est pas beau à voir car sachez que « son venin n'est pas neurotoxique… mais nécrotique. C'est à dire qu'il décompose les chairs autour de la morsure. » Beurk !
Et alors, qu'a-t-elle fait cette recluse ? Elle a mordu des petits vieux et… ils en sont morts. Et c'est embêtant, d'un, parce qu'ils sont morts (et que normalement, maintenant, avec nos médocs, on s'en sort!) et de deux, parce qu'Adamsberg trouve ça étrange des morts si rapprochées dans le temps ! 
En effet, comme son nom l'indique, la recluse vit… en recluse et n'attaque que pour se défendre. Aurait-elle muté ? Avec tout ce qu'on nous fait avaler maintenant, même les araignées sont un peu bizarres... Non, décidément, quelque chose ne colle pas. Mais chez Adamsberg, c'est intuitif, il sent les choses, des bulles s'agitent dans sa tête et puis des souvenirs enfouis remontent à la surface… Aurait-il été piqué lui aussi ? Et comment convaincre toute une équipe de le suivre sur un chemin bien nébuleux (depuis qu'il est rentré d'Islande, il est toujours un peu dans la brume… Mais ça lui va si bien…) ?
Avec un Danglard qui devient « con », un Voisenet devenu ichtyologue (une murène de l'Atlantique à robe marbrée en décomposition, ça vous dit ?), une Retancourt amoureuse (si,si!) et un Veyrenc qui l'est aussi … (manquait plus que ça!), des étocs dans lesquels on se prend les pieds, des blaps descendus un à un (j'en ai du vocabulaire, hein?), des merles qu'il faut nourrir de vers (de lombrics, pas d'alexandrins!) et de framboises, des proto-pensées adamsbergiennes qui s'accumulent sur un petit carnet et des tonnes de repas à La Garbure (restau qui tient son nom d'un plat des Pyrénées à base de chou et de porc) et ce, parce qu'on ne peut plus bosser correctement dans les locaux de la police, BREF, avec tout ça, pas simple de mener une enquête !
Ah, je les envie, ceux qui n'ont pas entamé ce roman !

Allez-y, foncez ! C'est dé-li-ci-eux (avec une belle diérèse en plus…!)

                                 

mardi 20 juin 2017

L'île au rébus de Peter May


Éditions du Rouergue
traduit de l'anglais par: A. Bataille
✦✦✦✦✧ (J'ai beaucoup aimé)

Ah Peter May ! C'est vraiment ce que l'on peut appeler « une valeur sûre » : à travers chacune de ses enquêtes, on est amené à découvrir un territoire, les gens qui y vivent, leur histoire et leurs mœurs. Peter May va toujours sur les lieux où se déroulent ses romans, prend de nombreuses notes et va même jusqu'à filmer certains endroits afin de mieux en restituer l'atmosphère au moment de l'écriture !
L'intrigue est toujours bien ficelée, le suspense nous tient en haleine jusqu'au bout et un ultime rebondissement nous surprend alors que l'on pensait avoir trouvé le meurtrier ! Bref, on n'est jamais déçu !
L'île au rébus est le quatrième volume de la série « Assassins sans visages », chaque volume se lisant de façon complètement indépendante.
Roger Raffin, journaliste, a écrit un livre, un best-seller, intitulé « Assassins sans visages » dans lequel il décrit des affaires non élucidées par la police. Or, après un pari un peu fou avec ledit Raffin, Enzo Macleod, un spécialiste de la scène de crime, ancien médecin légiste de la police écossaise, en a déjà résolu trois. Il s'attaque ici à la quatrième qui va lui donner bien du fil à retordre !
En effet, il y a vingt ans, un certain Adam Killian, citoyen britannique de 68 ans, ancien professeur de génétique médicale tropicale à l'université de Londres et entomologiste à ses heures perdues, est assassiné dans son bureau. Il habite depuis quelques années sur l'île de Groix où il a pris sa retraite. Avant d'être tué, il a juste eu le temps d'appeler sa belle-fille, Jane, pour lui dire de faire rapidement venir son fils dans son bureau car lui seul serait capable de comprendre les indices qui permettraient d'arrêter le meurtrier. Pourquoi ne communique-t-il pas directement le nom de l'assassin à sa belle-fille, me direz-vous ? Eh bien il a ses raisons… que je vous laisse découvrir !
Hélas, le fils ne viendra jamais car il mourra dans un accident de voiture !
Immédiatement, un certain Thibaud Kerjean, un habitant de l'île peu apprécié par son entourage, est accusé du meurtre mais il est rapidement relâché faute de preuves. Cela dit, sur l'île de Groix, tout le monde le pense coupable.
Le bureau du chercheur est donc resté intact pendant vingt ans et le dernier espoir de Jane est l'arrivée de Macleod. Elle a déjà fait intervenir des détectives privés, des journalistes, des voyants même : mais rien à faire, personne n'a réussi à déchiffrer le ou les messages qu'Adam Killian a laissés sur place.
Et notre Enzo Macleod ne fait pas beaucoup mieux : il peine à trouver un sens à tout ce qu'il découvre, il sèche littéralement et ne comprend rien aux indices qu'il repère : de vieux Post-it avec des phrases sibyllines, un agenda ouvert, du répulsif antimoustique, une liste de courses, des milliers de bouquins etc, etc, bref un tas de choses refusant de dire quoi que ce soit...
Et, ce qui l'énerve au plus haut point, c'est que depuis sa descente du ferry, tous les habitants de l'île sont au courant de son arrivée et de son activité : impossible de passer inaperçu dans un coin aussi paumé ! A cela s'ajoutent un climat automnal humide et froid et des reins qui commencent à faiblir…
Bref, cette enquête va se révéler bien difficile d'autant que, sur l'île, on n'aime pas trop les gens qui viennent fouiller le passé et déterrer les vieilles histoires… Cela n'est pas bon pour le tourisme !
Je ne vous en dis pas plus pour ne rien dévoiler de l'intrigue !
Alors, si une petite balade entre Port-Tudy et Port-Mélite, le phare de Pen Men et le Trou de l'Enfer vous fait envie, si une petite pause au café le Triskell ou un bol de pâtes au thon bleu à l'Auberge du Pêcheur vous tentent, n'hésitez pas ! Avant les vacances et pour échapper à cette chaleur caniculaire, allez respirer l'air marin bien vif et bien frais de l'île de Groix et puis, si vous ne savez où aller cet été, en voilà une belle idée…

Dépaysement assuré ! 

                       

samedi 17 juin 2017

Maestro de Cécile Balavoine


Éditions Mercure de France
✦✦✦✦✦ (J'ai adoré)

Certains livres sont magiques : ils nous ensorcellent, nous ravissent, nous transportent, littéralement. Je me suis trouvée sous le charme de cette magnifique histoire, de cette écriture douce, sensuelle et poétique. Je sais d'avance que c'est un livre que je n'oublierai pas et que je porterai longtemps en moi, comme l'auteur a certainement porté longtemps en elle l'histoire qu'elle raconte… Est-ce une autobiographie ? Je ne sais pas vraiment. Il est écrit « roman » sur la couverture mais d'après mes recherches, de nombreux éléments du récit appartiennent bien à la vie de l'auteur.
Voici quelques bribes d'une histoire fascinante : Cécile, la narratrice, mêle deux époques dans son récit, son enfance et l'âge adulte. De son enfance, on retiendra son amour (et le terme est à peine assez fort) pour Mozart. Dans sa chambre, pas de poster de Police ou de Téléphone, non, des posters de Mozart qu'elle écoute religieusement, qu'elle joue au piano, qu'elle chante. Mozart, Mozart, Mozart. Elle entraîne ses parents à Salzbourg où a vécu le compositeur, apprend l'allemand, passe une audition pour rejoindre un choeur d'enfants, fête l'anniversaire de sa mort et celui de sa naissance en allumant dans sa chambre d'adolescente des bougies. Elle a même le sentiment profond de ne pas vivre à la bonne époque, comme s'il y avait eu une erreur. Elle aurait dû le rencontrer, ils auraient dû s'aimer. Il faut réécrire l'histoire. Elle le sent presque charnellement présent à ses côtés, elle a l'impression qu'il lui fait signe, qu'il lui parle. Sombre-t-elle dans la folie ? Non, cela s'appelle une passion et une passion à laquelle elle s'offre totalement.
Adulte, Cécile, devenue journaliste, tombe amoureuse d'un chef d'orchestre, un maestro, qu'elle a interviewé. Quelques mots au téléphone et c'est le coup de foudre. Ils se rencontrent furtivement entre deux avions, s'aiment à la folie, se donnent l'un à l'autre puis se séparent. A chaque fois, c'est un déchirement. Pourquoi cette passion, cet amour fou pour cet homme qu'elle connaît à peine ? N'attend-elle pas de lui qu'il soit « un passeur » vers l'Autre, celui qu'elle n'a pas et n'aura jamais, celui qu'elle aime d'un amour fou : Mozart ?
 Mozart, Maestro… Presque les mêmes lettres…
Et ces deux histoires, celle de l'enfance et celle de l'âge adulte, s'entremêlent et c'est tout simplement sublime parce que Cécile se livre sans compter, s'offre à la vie et à l'amour. Ses mots disent cette folie qui la porte, cette passion qui la dévore et qui donne un sens à sa vie tout en la rendant parfois invivable. Elle dit de façon magistrale son amour pour la musique, décrit ses émotions avec tellement de nuances, de beauté et de sensibilité que l'on plonge corps et âme dans ce récit qui nous enveloppe de volupté et de bonheur.
Et l'on n'a qu'une envie : écouter Mozart !
C'est magique, envoûtant et terriblement beau.

Un ÉNORME coup de coeur !

jeudi 15 juin 2017

Tu ne jugeras point d'Armel Job


Éditions Robert Laffont
✦✦✦✦✧ (J'ai beaucoup aimé)

C'est sur les conseils d'une amie belge (Cécile, tu te reconnaîtras!) que j'ai découvert Armel Job, un auteur de romans policiers… Elle en disait tant de bien que je n'ai pas résisté ! Et j'ai bien fait !
Et moi aussi, je sens que je vais devenir une inconditionnelle de cet auteur.
Alors, quel est le sujet ?
Denise Desantis, mère de quatre enfants, se rend ce jour-là chez Madame Maldague pour acheter quelques mouchoirs. Elle laisse sur le trottoir la poussette avec son petit dernier David, treize mois, endormi et pénètre dans le magasin avec son troisième enfant, Antoine. Lorsqu'elle ressort, la poussette est toujours là mais… elle est vide ! C'est la stupeur, elle s'affole, court jusqu'au bout de la rue et demande à la vendeuse d'appeler la police.
Enlèvement ? Meurtre ? Viol ? Évidemment, le pire vient à l'esprit. ..
Le juge Conrad se charge de l'affaire, épaulé par deux inspecteurs fédéraux Harzee et Veruik. Mais très vite, certains éléments semblent très étranges : comment peut-on laisser une poussette à l'extérieur d'un magasin et prendre son temps pour faire des emplettes ? Pourquoi n'y a-t-il aucune photo du petit David dans la maison des Desantis alors que les autres enfants sont, eux, photographiés ? Pourquoi retrouve-t-on la cagoule du petit David chez le taxidermiste du coin, un certain Monsieur Gutsman ?
Enfin, le plus étonnant peut-être : quelle que soit la question qu'on lui pose, Madame Desantis a réponse à tout, comme si elle avait tout prévu, tout calculé ! Qui est, finalement, cette femme écrasée de douleur, une femme sans histoires, une mère a priori irréprochable, exemplaire, qui va souvent prier devant « le Vieux Bon Dieu », un Christ en croix médiéval ? A-t-elle pu tuer son enfant ? C'est l'intime conviction de l'inspecteur Harzee qui se moque des preuves mais encore va-t-il devoir démontrer la véracité de son point de vue !
Le juge Conrad interroge, émet des hypothèses, organise une reconstitution puis revient sur ses convictions, cherche d'autres preuves. Le doute s'introduit partout. Les témoignages se contredisent, certains même semblent faux. Qui ment, qui dit la vérité ? Cependant, il faut un coupable et vite, car l'opinion publique est unanime : il faut arrêter le MONSTRE !
Le climat est de plus en plus pesant, étouffant, dans cette petite ville belge située pas loin de Liège.
Le juge lui-même vit des moments difficiles, sa mère se meurt lentement et elle lui révèle des secrets enfouis qui remontent à la surface.
Ah que les gens sont complexes, mystérieux, impénétrables… humains, quoi ! Et comme il est difficile de savoir qui est l'Autre, celui que l'on côtoie tous les jours et que l'on croit connaître...
Tu ne jugeras point est un roman qui met en scène des gens ordinaires, des « petites gens » dans lesquels on peut s'identifier, se reconnaître et c'est précisément cela que j'ai aimé, le fait, finalement, de toucher, à travers eux, à la condition humaine.

Un bon moment de lecture !

mardi 13 juin 2017

Valet de pique de Joyce Carol Oates


Éditions Philippe Rey
traduit de l'anglais (États-Unis) par Claude Seban
✦✦✦✦✧ (J'ai beaucoup aimé)

Andrew J.Rush, 53 ans, est fier de lui : écrivain reconnu et adulé, on peut dire qu'il est heureux ! Auprès de sa femme Irina, il mène une petite vie tranquille dans sa belle maison du New Jersey où il peut écrire ses « romans à énigmes et à suspense, pimentés d'une touche de macabre qui se vendent bien » en admirant un paysage absolument magnifique. Rien de choquant dans ses romans, non, ce n'est pas son genre. « Jamais d'obscénité ni même de sexisme. » Des romans qui se terminent bien : les méchants sont punis comme il se doit. La moralité est sauve ! Il est d'ailleurs surnommé le « Stephen King du gentleman ».
Mais comme vous le savez, les êtres sont complexes et Andrew, derrière ses allures de romancier « propre sur lui », écrit d'autres textes nettement moins recommandables qu'il publie sous un pseudo « Le valet de pique » et ces textes pourraient aller jusqu'à inspirer dégoût et répulsion à certains lecteurs… Tout se passe comme si notre Andrew était un être double, une espèce de Docteur Jekyll et Mister Hyde de la littérature, qui se laisserait aller à tous ses plus bas instincts, à l'immoralité la plus totale et au Mal avec une majuscule lorsqu'il se livre à la rédaction de ses romans signés « Le valet de pique » .
D'ailleurs, ce sont des romans qu'il écrit la nuit dans un état quasi hypnotique et souvent sous l'emprise de l'alcool. Tandis qu'il peine à écrire sous son vrai nom, il remplit de façon frénétique dans un élan d'exaltation intense voire de démence fébrile un nombre incalculable de feuillets sous son pseudo diabolique. Bien sûr, aucun des membres de sa famille n'est au courant de sa double vie, de cette part de ténèbres qui s'épanouit en lui et c'est peut-être mieux car ils découvriraient un homme pas forcément recommandable, même si, se rassure Andrew, il ne lui viendrait jamais à l'idée de faire du mal à quelqu'un, non, ce n'est vraiment pas son genre ! Et pourtant, de plus en plus souvent, une petite voix (son double ? son inconscient?) lui chuchote des choses pas terribles à l'oreille notamment depuis qu'une voisine un peu folle a déposé plainte contre lui, l'accusant de vol et de plagiat ! De vol, lui ? Il ne connaît même pas cette voisine. Alors la petite voix lui dit qu'il ne faut pas se laisser embêter comme cela, qu' il faut se débarrasser des gêneurs. Il faut être tranquille pour écrire, non ? Mais, les problèmes ne s'arrêtent pas là : la propre fille d'Andrew découvre en lisant un roman signé « Le valet de pique » des références à la vie de sa propre famille ! Elle en est indignée et avertit au plus vite son père. Décidément, Andrew est de plus en plus dérangé dans son travail… Il va falloir remédier à cela, lui suggère son double qui prend, il faut bien le dire, de plus en plus de place dans la vie du romancier !
Tout de suite, deux aveux : c'est mon premier Joyce Carol Oates. Je savais que c'était un bon auteur mais voilà, la rencontre n'avait pas eu lieu ! Deuxième aveu : je n'ai jamais lu un livre de Stephen King que J. C. Oates semble beaucoup apprécier et je compte bien me rattraper dès cet été !
Alors, que dire de Valet de pique ? J'ai beaucoup aimé ce roman et l'ai lu d'une traite, happée par le suspense, inquiète pour le pauvre Andrew de plus en plus dépassé par la situation.

L'écriture est fluide et très agréable. Un bon thriller psychologique qui parle d'écrivain, de littérature, de création, de double ne pouvait que me séduire ! C'est fait !

samedi 10 juin 2017

La robe de mariée de Katherine L. Battaiellie


Editions Marguerite Waknine
✦✦✦✦✧ (J'ai beaucoup aimé)

Je viens vous parler d'un livre poétique, un livre d'art, aux feuillets non reliés que j'ai trouvé vraiment très beau et dont le titre est La robe de mariée.
Cette robe existe, elle est celle de Marguerite Sirvins née le 29 décembre 1890 à Badaroux en Lozère. A l'âge de trente-cinq ans, la jeune femme quitte sa région et s'installe à Paris pour suivre une formation de modiste. Ses premiers troubles psychiatriques apparaissent, elle sombre dans une profonde dépression et tente à plusieurs reprises de se suicider. Inquiètes, ses sœurs restées à Mendes la font revenir mais Marguerite s'enfonce encore davantage dans sa maladie.
Le 7 juillet 1931, à l'âge de 41 ans, elle est internée à l'hôpital psychiatrique de Font d'Aurelle à Montpellier puis à Saint-Alban-sur-Limagnole. Elle souffre d'hallucinations, elle est agressive, paranoïaque.
Plusieurs années passent, elle semble se calmer. On est en 1944 et elle s'est lancée dans différents travaux manuels : broderie, couture, dessin, aquarelle, peinture. En 1955, elle se passionne pour la confection d'une robe de mariée, persuadée qu'un prince charmant va bientôt venir la chercher pour l'épouser. A partir des fils tirés des vieux draps de l'hôpital, inlassablement, chaque jour, elle bâtit son œuvre, au crochet, avec des aiguilles à coudre. Elle invite ses voisines et le personnel hospitalier à son mariage imaginaire, à ses noces de rêve. Son amie, Mademoiselle Jouve, écrit dans le petit journal de l'hôpital : « Mademoiselle Sirvins nous annonce son mariage le mois de Février. Elle se fait une belle robe de dentelle blanche à notre maison neuve. On est invité à cette noce, nous nous amuserons bien ce jour-là. Elle crie nuit et jour. Je ne sais pas si son mari dormira bien. »
Marguerite mourra en 1957 sans jamais avoir embrassé celui qu'elle attendait dans ses rêves...
Lorsque Jean Dubuffet constituera sa collection d'art brut, il s'intéressera à l'oeuvre de Marguerite Sirvins et à sa robe de mariée qu'il est possible de voir aujourd'hui dans la Collection de l'art brut de Lausanne.
Revenons au petit livre dont je vous ai parlé : l'auteur, Katherine L. Bataiellie fait de Marguerite la narratrice de son récit. Elle pense ou peut-être parle à voix basse en travaillant sur sa robe. Je l'imagine concentrée, légèrement penchée vers l'avant : « Il me trouvera ayant longtemps marché comme une princesse abandonnée dans son château et j'aurai déjà revêtu ma robe de mariée sinon comment me reconnaîtrait-IL et serai prête » Elle se perd dans ses rêves puis s'enfonce dans d'autres songes encore plus profonds, plus insensés : « Il m'emmènera loin d'ici dans le lieu inconnu d'où IL sera venu et le lieu m'est égal Il me donnera les clefs de notre maison sans bruits où j'habiterai ses murs seront épais et solides la lumière entrera à nouveau par les fenêtres » Elle murmure ses craintes, ses peurs : les autres femmes lui cachent aiguilles et ciseaux, se moquent d'elle, crient parce qu'elles sont jalouses, sa mère ne lui écrit pas, elle a froid. Pour supporter tout cela, elle imagine son bonheur imminent, la cérémonie, sa première nuit auprès de lui, son voyage de noces. Elle se croit jeune, ses papiers mentent, tout le monde ment.
La prose poétique de Katherine L. Battaiellie est splendide et l'on suit le monologue intérieur de cette femme, folle de désir pour un mari qui n'existe pas, pour un mariage qui n'aura pas lieu, un enfant qu'elle n'enfantera pas, une vie inventée, imaginée, rêvée qui ne sera jamais, une quête d'un bonheur en forme de mirage qu'elle poursuit inlassablement. Et ce monologue fou, insensé, ce flot de paroles d'amour et d'espoir est poignant et terrible. Car nous savons que cette longue quête ne mènera à rien sinon à la mort.
Je me retiens de recopier ici la dernière page que j'ai lue et relue tant de fois tellement je la trouve belle, émouvante de sincérité et de confiance. Elle y croit, jusqu'au bout, elle est portée par le désir d'être, de devenir enfin et, en attendant, elle se prépare, elle brode comme une Pénélope folle d'amour. Elle sent qu'elle n'a plus qu'à tendre la main et à fermer les yeux...

Katherine L. Bataiellie a su donner une voix à Marguerite et c'est magnifique d'entendre ses mots, bouleversants de vérité et d'émotion. Un très beau texte...

                          

jeudi 8 juin 2017

L'Homme des bois de Pierric Bailly


 Editions P.O.L
✦✦✦✦✧ (J'ai beaucoup aimé)

Le père du narrateur est mort : lors d'une balade en forêt de Revigny dans le Jura, il a glissé sur une vingtaine de mètres et ne s'est jamais relevé. Peut-être est-il mort sur le coup, son fils n'en aura jamais la certitude, de même qu'il ne saura jamais si c'est vraiment un accident comme tout le porte à croire.
« Il est mort là où il vivait, tout simplement. A la façon de ces paysans qui n'ont jamais quitté leur ferme et qui s'éteignent dans la chambre où ils ont vu le jour. »
Alors, le fils retourne sur les lieux à la recherche de quelque chose qui lui dise ce qui s'est passé. Il a besoin de réponse, d'être sûr, de comprendre. Choqué par cette fin de vie trop bête, il se saisit des petits bouts de fictions qu'on lui tend, les recherche, s'en nourrit : « Pour ne pas me laisser dévaster par le doute et l'émotion, je me raccrochais aux branches de la narration. Je tissais une toile romanesque pour me retenir à ses fils. Je n'avais guère à me forcer, j'avais même l'impression que la toile se tissait à mon insu. La toile, ou plutôt les multiples amorces. C'était en fait comme une myriade de petits fils fragiles qui se balançaient sous mes yeux et que je tentais d'attraper à la volée pour me stabiliser un minimum. » Ce peut être une femme qui lui dit qu'elle a rencontré un homme dérangé dans la forêt (peut-être son père ou un fou qui l'aurait poussé ?) ou la carte postale d'une amie demandant pardon à son père pour un rendez-vous manqué le jour où il est mort (la raison du suicide?)... Des pistes, des bribes de vies, des débuts de romans, mille histoires possibles pour compléter ce qui est resté en pointillés, en blanc...
Il arpente ces lieux du haut Jura qu'il connaît bien et que son père aimait . D'une certaine façon, aller vers ces paysages, c'est tenter de retrouver celui qui n'est plus. Il prend d'ailleurs la voiture de son père, la Seat Ibiza immatriculée 39, pour parcourir les lieux, ces paysages de « sapins, scieries, grumiers ».
Une famille originaire de Lons-le-Saunier et de Clairvaux-les-Lacs : un grand-père ouvrier dans des usines de bois ou de plastique qui a fabriqué pendant trente ans des queues de casseroles en bakélite. Les petits-enfants ont tous quitté la région pour aller au bout du monde.
« Mon père a commencé à travailler à dix-sept ans, il est mort à soixante et un an », si près de la retraite diront les gens qui le connaissaient. Ouvrier, il fabriquait des couvercles de poêles. Ensuite, il s'est formé pour travailler le bois et devenir ébéniste puis tourneur sur bois avant de s'inscrire à l'école d'infirmières de Lons et travailler finalement dans un centre de soins aux toxicomanes, aidant les autres chaque jour, donnant de lui, se rendant disponible aux autres, aux « types ravagés, aux éclopés de la vie, aux fous, aux paumés, aux rebuts de la société ». Un homme ordinaire qui, dans son petit appartement d'un immeuble HLM, a laissé des traces de son passé : des tonnes de « cahiers, carnets, pochettes, chemises, dessins, classeurs, prospectus, revues, articles de journaux, comptes rendus de conférences, cours par correspondance » sans compter les quantités d'objets, créations personnelles, souvenirs du passé, bricoles de récup'. Un homme très engagé dans la vie associative et politique qui s'intéressait un peu à tout  : « Trente ans de célibat, ça laisse le temps d'essayer un paquet de trucs. »
Et, c'est ce qu'il avait fait : du théâtre, de la musique, du dessin, des mandalas, de l'anglais, de l'arabe, du japonais, des romans, de la poésie, de la lecture, du yoga - qu'il enseigne plusieurs années !- (et j'en oublie les trois quarts) : il suivait des stages, il notait, recopiait, apprenait, archivait, oubliait, curieux de tout, se cherchant encore quelque passion pour devenir un jour peut-être spécialiste de ci ou de ça, peu importait . Et puis, lassé, il passait à autre chose. « Ce n'était pas un idéologue, pas un théoricien. Ce n'était pas un littéraire ni un cinéphile, même s'il aimait lire et aller au cinéma. Il n'avait pas fait d'études. Il n'avait pas le bac. Il ne s'était pas construit de cette façon-là » (N'empêche, quand on y pense, c'est fabuleux tout ce que cet homme a fait dans sa vie. Il faudra lui dire, à Pierric Bailly, que son père, je le trouve juste incroyable, comme disent les jeunes maintenant, dans ce goût qu'il avait pour les choses de la vie, papillonnant d'un sujet à l'autre sans jamais s'arrêter, butinant ici ou là, se construisant, s'échafaudant, s'inventant, s'imaginant sans cesse autrement, nouveau, différent. Les passionnés sont des gens qui vivent longtemps. C'est un peu déplacé ce que je vais dire, mais je doute fort qu'un homme comme lui ait pu penser se suicider. Je l'imagine plutôt allant chercher des champignons, juste quelques-uns pour le repas du soir, pas la peine de changer de chaussures, trois quatre champignons pas plus: un beau un peu plus bas, un peu plus loin, les belles choses sont toujours hors d'atteinte, c'est bien connu. On tend le bras, on cale son pied comme on peut, on s'agrippe à une racine. Qui craque. Et c'est le déséquilibre. Terrible déséquilibre. Car à mon avis, il avait déjà prévu, après son repas, d'aller voir un film ou de lire une nouvelle revue sur le réchauffement de la planète ou le programme du prochain festival de jazz. Peut-être y a-t-il pensé en tombant, peut-être s'est-il dit « dommage » mais c'était trop tard. Ne m'en voulez pas de réécrire l'histoire mais c'est ainsi que je vois cela.)
Un homme qui avait aimé Ferré, Brel, Reiser, « les chansonniers, l'anarchisme, la non-violence ». (Nouvelle parenthèse : quelque chose me dit que les gens de cette génération, et j'en compte plusieurs parmi mes amis, vont terriblement nous manquer quand ils disparaîtront : ils portent encore en eux les idéaux de mai 68, ne sont pas bouffés par la société de consommation, résistent aux Facebook, Twitter et compagnie, ont échappé à bien des formatages et résistent encore ; des dinosaures presque quand j'y pense! Mais quelle bouffée d'air frais ils nous apportent avec leur anticonformisme, leur refus de la course au fric, c'est impressionnant! Je ferme la parenthèse.) «  Au début je me disais que j'allais faire une ou deux découvertes, un petit trésor, quelques secrets, mais plus j'avance dans ma tâche et plus je suis frappé par la cohérence de son personnage. Tout va dans le sens de ce que je sais de lui, de l'image que j'ai de lui. Tout est en accord avec les convictions qu'il affichait. Tout lui ressemble… Le petit monde de mon père semblait avoir été envisagé précisément pour se protéger du grand monde, peut-être pas pour le combattre, disons pour s'affranchir du mieux possible des valeurs dominantes de l'époque, celle de la consommation et du capitalisme. »
L'histoire d'un homme humble, ordinaire que le narrateur ne cherche pas à transformer en héros, en surhomme, en personnage hors du commun, non, il parle de lui avec retenue, avec sobriété. Et c'est précisément cette pudeur qui m'a touchée et qui donne une telle force à son récit.
Des mots simples, des phrases brèves pour évoquer la vie d'un homme, ses amours, ses colères, ses engagements, ses occupations, ses convictions, un homme intègre qui a fait des choses à sa mesure, « à son petit niveau », qui s'en est contenté (et je ne mets rien de péjoratif derrière ce terme) et a trouvé une forme de bonheur dans ce que d'aucuns auraient peut-être jugé médiocre, insignifiant. Un homme qui appartient à une terre, à une époque, certainement un des derniers hommes de ce XXe siècle révolu.
Et puis, il y a ce fils dont la peine affleure à chaque ligne, se tisse à chaque mot, se mêle à chaque virgule et c'est aussi de son histoire qu'il s'agit, celle d'un jeune homme à la recherche d'un père parti trop tôt qu'il interroge en contemplant les paysages du Jura et en écoutant ses musiques, un père qu'il n'a pas tout à fait l'impression de connaître ( mais connaît-on les gens que l'on aime?) et à qui, peut-être, il n'a pas eu la possibilité d'en dire un peu plus parce que l'on croit toujours que l'on a le temps, que nos proches vont vivre jusqu'à cent ans et que nous-mêmes sommes éternels...
Il me vient soudain un air et quelques paroles qui me font penser à ce très beau portrait d'homme, les voici, comme elles me viennent :
Quelqu'un de bien
Le coeur à portée de main
Juste quelqu'un de bien
Sans grand destin
Un ami à qui l'on tient
Juste quelqu'un de bien

Quelqu'un de bien …

mardi 6 juin 2017

A coups de pelle de Cynan Jones


Editions Joëlle Losfeld
traduit de l'anglais (pays de Galles) par M de Pracontal
✦✦✦✦✧  (J'ai beaucoup aimé)


Est-ce parce que Cynan Jones est agriculteur et qu'il vit au nord d'Aberarth au Pays de Galles qu'il parle avec tant de justesse et de délicatesse de la terre, des bêtes, du ciel et des hommes ? Ce qu'il nous dit, il nous le fait sentir. Pas d'explications inutiles, pas d'analyses superflues. Ses mots parlent aux sens : l'odeur de la terre fraîchement retournée, des bêtes, le sang qui se mêle à l'eau et à la paille, le parfum de sa femme qui s'estompe doucement dans la maison, le métal froid du fusil, les cris des étourneaux et des sarcelles, les aboiements des chiens dans le lointain, le bêlement des brebis, la nuance rosée des champs en fin de journée et du ciel gris et froid au petit matin.
Daniel, seul personnage portant un nom dans ce roman, est rongé par la fatigue : c'est la saison de l'agnelage et même la nuit, il doit veiller pour que les mises bas se passent bien. Il a repris la ferme familiale et travaille comme autrefois, répétant les gestes de ses parents, refusant, dans la mesure du possible, la modernisation : «  Et dans le calme de cette nuit il ressent brièvement, comme si quelque chose d'invisible lui touchait le visage, l'ancienneté de la chose qu'il fait, il sent qu'il pourrait être un homme de n'importe quelle époque. »
Sa tâche lui paraît parfois insurmontable. Ils étaient deux encore récemment mais sa femme est morte, accidentellement. Il est dévasté, anéanti. Cette perte est impossible, impensable. Elle n'est plus et pourtant, il la sent encore présente partout, il la voit, l'entend. Il ne peut accepter son absence. Et comme dans un état second, dans des gestes qui le rattachent à la vie, il s'occupe des bêtes, les soigne, soulage leur douleur. Il met au monde. Il est du côté de la vie et s'occuper de la ferme lui donne un but .
Un peu plus loin, vit le grand gars, un homme fruste, brutal , sans nom, qui organise des parties de chasse aux blaireaux pour le plaisir d'une poignée d'hommes cruels qui paient car ils ont besoin de sang, de souffrance et de terreur pour se divertir. Cette activité atroce et barbare consiste à envoyer un chien dans un terrier : le blaireau effrayé se trouve donc acculé au fond de son trou et, plongé dans une terreur extrême et un stress impensable, il doit lutter parfois pendant de longues heures pour se défendre contre les morsures du chien. « Dans l'espace étroit de la galerie, les jappements constants assourdissaient le blaireau et le perturbaient comme des lumières vives à l'intérieur de son cerveau, et il ne savait plus ce qu'il pouvait faire. A partir de là c'était une impasse . Une simple question de temps. » Alors, les braconniers repèrent l'endroit où se terre l'animal et creusent jusqu'à l'atteindre. Le blaireau est ensuite sorti avec des pinces en fer. (Petite précision qui a son importance : cette activité d'une cruauté sans nom est interdite dans de nombreux pays européens où l'espèce est protégée, mais parfaitement autorisée en France pendant neuf mois et demi de l'année. Cela s'appelle « la vénerie sous terre ». Je vous laisse découvrir des images terrifiantes sur Internet...)
Dans le roman, lorsque les pauvres bêtes sont attrapées, elles servent à des combats illégaux. Elles doivent se battre contre des chiens assoiffés de sang et entraînés à tuer. C'est d'une sauvagerie insoutenable : « Les pinces avaient été forgées tout spécialement pour cet usage, et elles extirpèrent le blaireau de la fosse et le tinrent suspendu. Pendant que les paris se prenaient, ils lui arrachèrent les griffes des pattes avant. Ensuite ils lui tinrent la tête, lui ouvrirent la gueule avec une pince-monseigneur et lui défoncèrent les dents de devant. »
Deux façons de voir le monde, d'être au monde : tandis que Daniel est porté par l'amour de sa terre, de sa ferme et de ses bêtes, par l'amour de sa femme qui n'est plus, l'autre, le grand gars, est violent, mauvais, nuisible. Deux personnages antithétiques symbolisant le bien et le mal, la vie et la mort. La tension monte entre ces deux hommes qui se connaissent mais s'ignorent et dont on imagine la rencontre inéluctable et terrible.
Une vraie tragédie au coeur d'une campagne galloise perdue dans un brouillard épais, battue par les vents et la pluie, reflet de la tempête sous un crâne que vit Daniel, inconsolable dans son malheur et si seul.
J'ai aimé ce texte à la fois sensuel, poétique et frisant parfois même le lyrisme : l'évocation de la nature touche au sublime et les sentiments de Daniel pour sa femme sont extrêmement émouvants de sincérité et de pureté. C'est aussi un texte dur, âpre, puissant qui dit la difficulté du travail d'éleveur, le rapport aux bêtes, à la vie et à la mort.
Enfin, A coups de pelle est un texte engagé qui parle de la souffrance des bêtes, de ce qu'elles subissent de la part des hommes.

Pour combien de temps encore ?

                        

dimanche 4 juin 2017

Le dimanche des mères de Graham Swift


Éditions Gallimard
traduit de l'anglais par M.O Fortier-Masek
✦✦✦✧✧  (J'ai aimé)

Je vais, sans le vouloir, me livrer à une petite expérience intéressante : en effet, habituellement, j'écris mes chroniques tout de suite après ma lecture. J'essaie même, dans la mesure du possible, de ne pas commencer un autre roman afin de restituer au mieux l'atmosphère de celui que je viens d'achever. Or, j'ai lu ce livre il y a un mois environ et en ai découvert bien d'autres entre temps...
A cela, s'ajoute un autre handicap : ce livre, je ne l'ai plus. On me l'avait prêté, je l'ai donc rendu ! Ne vous attendez donc pas à ce que je vous livre le nom des personnages et encore moins la région d'Angleterre où se passe le récit…
Alors, que me reste t-il de ce roman de Graham Swift : Le dimanche des mères ?
Par extraordinaire, je n'ai pas oublié le sujet, vous avez de la chance !
Nous sommes au début du XXe siècle et le dimanche des mères est la journée de l'année où les domestiques obtiennent un congé pour se rendre dans leur famille. Les maîtres en profitent, si le temps le permet, pour se retrouver entre gens de même classe autour d'un repas ou d'un pique-nique à la campagne.
La narratrice, jeune domestique (dont j'ai oublié le nom), n'a pas de famille. Elle imagine donc d'emprunter un livre puis d'enfourcher sa bicyclette pour trouver un coin tranquille où se livrer à son activité favorite : la lecture. La journée est magnifique, c'est presque le printemps. L'air est doux et incite à la rêverie. Mais, elle reçoit un coup de fil de son amant qui n'est autre que le fils des voisins, des aristocrates partis passer la journée avec les familles huppées de la région. Il lui propose de venir le rejoindre chez lui, dans sa belle demeure. Il est seul, maîtres et domestiques ont quitté les lieux. Lui est resté pour soi-disant travailler son droit...
Et ce sont des images qui me reviennent, celles d'une femme, la narratrice, déambulant nue dans une vaste demeure bourgeoise, pénétrant dans des pièces qu'elle ne connaît pas, touchant à des objets étrangers, se laissant aller au plaisir d'être seule dans un lieu interdit. Je vois ces scènes comme des clairs-obcurs. L'ombre dense et la lumière vive de cette journée presque printanière s'affrontent et matérialisent peut-être les conflits internes que vit en secret l'amant de la narratrice. Ce dernier, après avoir fait l'amour avec la jeune servante, est parti à contrecoeur rejoindre celle que ses parents lui destinent comme épouse, la fille d'un riche voisin, d'un aristocrate, comme lui. Il aurait visiblement préféré rester étendu auprès de cette servante au corps si blanc et si pur. Mais par respect des convenances, des lois qui régissent les classes sociales, enfermant chaque individu dans sa caste, il a fini par partir, la laissant seule dans la maison, l'invitant à profiter de cet espace et lui indiquant à quel endroit elle devra cacher la clé. N'ayant nulle part où aller ensuite, la narratrice décidera de rentrer chez ses maîtres et traversera à vélo une campagne baignée de lumière.
Ce sont de très belles pages, sensuelles et douces, empreintes de silences et de lumière mais on sent une certaine tension naître progressivement, on devine que la beauté merveilleuse de ce moment ne sera pas éternelle sinon dans l'esprit de la narratrice dont le nom me revient soudain : Jane, je crois.
La fin de ce roman m'a moins convaincue que ces première pages lumineuses car elle m'a semblé bien peu vraisemblable… Je préfère ne pas vous dire pourquoi afin de ne pas gâcher votre lecture…
Enfin, et ce sera mon dernier point, je pense que c'est un roman qu'il vaut mieux lire en VO lorsqu'on en a la possibilité, je trouve que le texte français manque un peu de fluidité, accuse même parfois quelques lourdeurs qui ont quelquefois gêné ma lecture. Peut-être ce défaut est-il gommé en VO ?

Un beau livre sur des amours impossibles à une époque où les classes sociales s'élèvent comme des barrières entre les individus, chacun se devant de rester à sa place, en dissimulant au mieux ses sentiments, si c'est possible…