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dimanche 31 janvier 2021

Elle, la mère d'Emmanuel Chaussade

                                                 

Éditions de Minuit
★★★★★ (j'ai beaucoup aimé) 

Les phrases sont courtes, nominales, rythmées, syncopées. Elles claquent, heurtent, blessent. Les mots sont violents, brutaux, terribles. Je les ai ressentis comme des coups. Des coups répétés, toute une vie, des coups donnés par les uns, par les autres, des coups portés à celle que le narrateur, un des fils, appelle la mère : sa mère. Celle qui maintenant est dans la tombe.

Pourquoi ? Parce qu'une mère « est coupable de tout. » Les enfants jugent qu'elle n'en fait pas assez ou bien qu'elle en fait trop ou qu'elle ne fait pas comme il faut, pas comme on veut, alors on la critique, on s'en moque, on s'en éloigne et puis, comme elle finit par manquer aux enfants devenus grands, on le lui fait payer, on la traite de folle parce qu'elle dit les choses, la mère. Elle n'a pas froid aux yeux. Elle appelle un chat un chat. Elle balance ce qu'elle a sur le coeur, les secrets de famille, les sales trucs qu'on préfère oublier. Épuisée, à bout, seule, elle se lâche, la mère, elle a peut-être trop subi, trop enduré. Elle en a bavé.

Et puis, il y a les choses qu'elle garde pour elle, qu'elle emmènera dans la tombe. Que personne ne saura jamais.

Ce que les petits chéris oublient aussi, c'est que la mère n'est pas que mère. Elle est aussi une femme, elle veut plaire, aimer, être aimée, elle veut profiter, désirer, jouir et elle n'écoutera personne lui dicter sa conduite. Parce qu'elle est libre, émancipée. Elle dispose de son corps. Tant pis si on la traite de folle, tant pis si parfois elle EST folle.

Finalement, on ne sait jamais vraiment qui elles sont, les mères.

Ce roman aurait pu s'appeler « Une vie » : celle d'une mère qui est aussi une femme.

Un portrait fort, saisissant, dérangeant, terrible, inoubliable, un texte qu'il faut relire pour en apprécier toute la richesse, toutes les nuances, toute la force des mots prononcés par ce fils chéri, celui qui sera auprès d'elle, jusqu'au bout, et malgré tout.

Magnifique !


samedi 30 janvier 2021

Impossible d'Erri De Luca

Éditions Gallimard
traduit de l'italien par Danièle Valin
★★★★★

Deux personnages dans ce huis clos : celui qui pose les questions et celui qui y répond. Le premier est magistrat, le second un ancien révolutionnaire, à la retraite maintenant. Le premier veut savoir ce qui s'est passé sur ce sentier escarpé des Dolomites où un homme est mort. Le second le sait puisque c'est lui qui a appelé les secours. Il a sa version des faits. La montagne est un espace dangereux. Il avait repéré ce randonneur qui marchait devant lui. On aime être seul en montagne. On va même en montagne POUR être seul. Et ce gars devant lui avait accéléré et puis soudain plus personne. Une perte d'équilibre, certainement… Le magistrat n'est pas de cet avis. C'est bien pour ça que la scène a lieu en prison et que le second est en garde à vue. Parce que cet homme qui est mort n'était pas un inconnu pour celui qui marchait derrière. Non, c'était même un ancien camarade de combat qui avait livré ses pairs à la police. Alors, était-ce un pur hasard si le second s'était retrouvé à marcher derrière lui dans ce lieu perdu ? Ne le suivait-il pas en réalité ? N'avait-il pas programmé son assassinat, sa vengeance (un plat qui se mange froid) ? Bref, était-ce un meurtre ?

Ce roman en forme de dialogue entre deux hommes que tout oppose : l'âge, la profession, une certaine vision de la justice, de l'État, le sens de l'engagement, de la liberté et de l'amitié, propose une réflexion passionnante sur ce qui fait que, dans l'existence, on choisit de devenir magistrat au service de l'État ou révolutionnaire d'extrême gauche. Deux hommes confrontent leurs conceptions du monde, leurs philosophies de la vie. Bien sûr, quand on connaît un peu l'engagement d'Erri de Luca dans des luttes collectives notamment au sein du mouvement Lotta Continua, on sent que l'accusé lui ressemble beaucoup et qu'il met dans les propos de son personnage tout ce qui fonde le sens même de son existence. Il y a du Camus dans cet échange, peut-être aussi du Platon et de sa maïeutique : l'homme de la montagne, septuagénaire, transmettant au jeune magistrat son expérience, ses convictions, ses savoirs (que ce soit sa connaissance des années de plomb italiennes ou celle de la montagne) et l'entraînant par là-même dans un rapport maître/disciple, père/fils assez fascinant. Si l'échange est rapporté sous forme de procès-verbal, concrétisé par une typographie de machine à écrire, la relation évolue vers une discussion qui se veut plus intime, plus confidentielle… Mais chacun reste sur ses gardes car au coeur de ce débat presque philosophique, il y a une victime et peut-être un meurtre.

Un texte vraiment remarquable...    



vendredi 29 janvier 2021

Le silence des carpes de Jérôme Bonnetto

Éditions Inculte
★★★★★

Il y a des périodes, comme ça, où rien ne va. 

Non, je ne vous parle pas de celle que l'on vit en ce moment (!) mais de ce que subit un certain Paul Solveig : sa femme le quitte et le robinet de la cuisine fuit. Oui, difficile de placer ces deux faits sur le même plan me direz-vous, n'empêche qu'un robinet qui goutte, ça peut mettre les nerfs en pelote! Et puis, allez trouver un plombier, vous… Mission quasi impossible… C'est un certain monsieur Boulay, enfin plus exactement son beau-frère qui se présente enfin. Il a un léger accent : il est tchèque. Jusque là tout va bien… Sauf qu'il va malencontreusement laisser tomber une photo. Oui, une photo un peu floue d'une très belle femme… Notre Paul apprend, en restituant la photo audit plombier, qu'il s'agit de sa mère disparue dans sa Moravie natale pendant la période communiste… Paul est intrigué et comme sa vie part à vau-l'eau, il se dit que c'est peut-être un signe : et s'il partait ? Oui, s'il se lançait à la recherche de cette femme? Pourquoi ? Ben pourquoi pas ? Où ça ? Ben en Moravie voyons ! Bon, ok, la Moravie, c'est un peu nulle part (comme la Pologne hein). Laissons à Paul et à son humour pince- sans-rire le soin de résumer la situation : « Je savais que je partais pour longtemps, résolu à me consacrer aux chose essentielles, et j'avais pour cela un projet à ma mesure : retrouver dans un pays à la langue inconnue la mère d'un faux plombier exilé qui figurait sur une vieille photo floue. » 

Et si l'aventure commençait précisément là où on ne l'attend pas : à Blednice au coeur d'une région qui va se révéler follement attachante, d'une très grande richesse culturelle et d'une beauté telle qu'on aurait plus qu' envie d'aller y faire un tour nous aussi !

Après l'excellent « La certitude des pierres » (voir chronique sur le blog), Jérôme Bonnetto nous régale avec ce roman désopilant, rocambolesque, pétri d'humanité et d'amour, de tendresse et d'humour… Ajoutez à cela une petite dose de mélancolie slave qui achève de nous faire succomber...

Un VRAI délice !

Je recommande vivement !