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dimanche 30 mai 2021

Jane, un meurtre/Une Partie Rouge de Maggie Nelson

Éditions du sous-sol
★★☆☆☆

La littérature américaine, à part Carver, Roth, Malamud et quelques autres, je ne suis pas fan : soit je n'en perçois pas vraiment la dimension littéraire, soit je trouve les personnages et les situations stéréotypés ou alors, je ne saisis pas bien l'intérêt du projet… Et c'est le cas ici, dans ce livre qui en réalité en contient deux : « Jane, un meurtre » (publié en 2005 aux EU) et « Une Partie Rouge » (2009).

Le point de départ de ces deux livres est l'assassinat de la tante de Maggie Nelson, Jane Mixer, en 1969, par un serial killer alors qu'elle était étudiante en droit et rentrait chez ses parents pour les vacances. Le premier livre rassemble des extraits du journal de Jane, des poèmes de l'autrice, des notes, des pensées, des lettres du fiancé, des échanges avec sa mère…

Question : Quel effet ce kaléidoscope est-il censé produire sur le lecteur? Et disons-le clairement : quel est le projet de l'autrice ? Eh bien, franchement, je n'en sais rien.

Évidemment, de ces documents émerge le portrait d'une jeune femme. Maggie Nelson a-t-elle voulu redonner vie à cette tante trop tôt disparue (et qu'elle n'a pas connue), a-t-elle souhaité lui rendre un dernier hommage ? Elle précise dans une courte introduction qu'elle « ne prétend pas à la précision factuelle dans la représentation des événements et des individus. » Pas de souci, je ne cours pas non plus après les précisions factuelles ; en revanche, savoir précisément de quoi on parle m'aiderait à comprendre le sens du projet d'écriture. J'émets quelques hypothèses, quelques pistes de réflexion possibles : Quelle est la vérité des êtres, des faits ? Le langage peut-il combler les silences, les non-dits, les oublis ? Peut-on s'autoriser à modifier le réel surtout lorsqu'il renvoie à un terrible drame? Doit-on casser la légende familiale pour tenter d'accéder à un portrait plus juste de Jane ? L'autrice cherche-t-elle à savoir qui était Jane pour tenter de cerner sa propre personnalité (à elle, l'autrice) ou pour mieux comprendre les membres de sa famille ? N'est-il pas nécessaire de témoigner sur l'horreur de ce que ces victimes de ce tueur en série ont vécu ? Ne doit-on pas dire sans cesse la violence qui est faite aux femmes ? Faut-il rappeler obstinément l'impossibilité pour celles-ci de déambuler la nuit librement ? J'ai le sentiment que certaines de ces pistes sont abordées mais que rien n'est vraiment analysé, creusé, approfondi. Alors, vous allez me dire qu'il s'agit un peu de tout ça. Peut-être. Certainement même. Dans ce cas, le livre ne tient pas la route. Il effleure une multitudes de sujets importants sans que jamais aucun ne soit abordé sérieusement, sans que jamais ne nous soit proposée une vraie réflexion. Je reste ainsi très frustrée avec un livre dont je ne sais que faire ni que dire sinon que l'écriture ne me touche pas particulièrement, que la « prose poétique » me semble dénuée d'intérêt… Enfin, le portrait qui émane de cette jeune est touchant, certes, mais sans plus. Dans l'émission de France Culture « Par les temps qui courent » du 30 mars 2021, l'autrice dit : « J'ai travaillé sur le livre « Jane, un meurtre » pendant des années, je ne savais pas trop ce que je faisais. » C'est précisément là que réside le problème...

Sur le revers de la couverture, l'éditeur écrit que l'autrice crée « une forme hybride et poétique qui impose une réalité brutale au silence pesant, la juge, la confronte et la fait plier par l'écriture. » « Forme hybride » (évidemment, les documents sont d'origines diverses et de genres très différents), « poétique » je ne vois pas en quoi, « réalité brutale » le contraire serait étonnant puisqu'on parle d'un meurtre sordide, « silence pesant » de la famille, j'ai plutôt eu l'impression qu'il était régulièrement question de Jane dans cette famille, « la juge » : la forme vibrante et poétique juge la réalité brutale ? Heu… qu'est-ce que ça veut dire tout ça ? Je me perds là..., « la confronte » : la forme hybride et poétique confronte la réalité brutale mais à qui à quoi ?, « la forme hybride et poétique » fait plier par l'écriture le silence pesant… Mouais, pas convaincue par ce speech un peu fumeux...

Tête-bêche (mais oui il faut retourner le livre), passons au 2e volume : « Une Partie Rouge » : c'est la narration du procès, suite à la réouverture du dossier. Il est question aussi de l'histoire de la famille à laquelle s'ajoutent des éléments autobiographiques, des réflexions personnelles et un questionnement sur le pourquoi de ces violences faites aux femmes. À la limite, j'aime mieux ce livre, même si encore une fois je n'en vois pas vraiment l'intérêt, pour les mêmes raisons que tout à l'heure : une espèce de flou artistique concernant le but même du projet d'écriture, l'intention de l'entreprise, la nécessité même de l'oeuvre.

(Sachez quand même que Télérama aime passionnément, mais je ne peux pas vous dire pourquoi, l'article est réservé aux abonnés, ils disent aussi que Maggie Nelson est « une voix majeure de la non-fiction américaine »)

(Sachez aussi que Maggie Nelson a le vent très en poupe : sa pensée est influencée par Butler, Kosofsky, Myles, Winnicott, les maîtres à penser des universités américaines : elle s 'intéresse au féminisme, aux questions sur le genre -elle a un mari transgenre-, sur l'identité sexuelle etc etc. C'est très bien tout ça, hyper dans l'air du temps, mais, hélas, ça n'en fait pas pour autant une écrivaine, en France du moins !)


 

samedi 29 mai 2021

Toni tout court de Shane Haddad

Éditions P.O.L
★★★☆☆

J'aime jouer au jeu de l'éditeur : je m'empare d'un roman (un premier roman de préférence) et je me demande si je vais le publier. Je suis très sévère, ça ne rigole pas avec moi. Je suis une petite maison d'édition, je n'ai pas beaucoup d'argent, je ne peux pas prendre de risques. Alors, souvent, je dis NON. Tout sec, tout net. Ce qui est bien, c'est que je n'ai pas à me justifier puisque l'auteur que je refuse ne sait pas qu'il est refusé. Par moi. Et il s'en fout pas mal puisqu'il a été publié. Par un autre. Mais quand même, je lui prodigue quelques conseils, je lui parle, je le rassure même, je lui dis qu'un jour peut-être ou peut-être pas, on verra, je veux bien en relire un autre de lui ou d'elle.

Hier j'ai reçu « Toni tout court ». J'aime bien le titre. Tous ces o, tous ces t, ces trois mots. Le titre accroche, il pique, harponne. Et puis, c'est original comme prénom, Toni, pour une fille (en France, du moins.) Les gens aiment bien les trucs transgenres en ce moment. Bon, ce flux de conscience coule pas mal, je n'aurais pas parié sur l'alternance de la première et de la troisième personne, mais franchement, l'effet est top, comme si Toni était elle-même et une autre, elle et les autres, unique et polyphonique, seule et multiple. Le tout s'agence assez bien. Je note, je réfléchis, l'instant est grave. Et puis ce « mes cheveux mes cheveux » obsessionnel qui scande le texte, l'hystérise, l'agite, le convulse, c'est pas mal aussi ce truc, et les propos de sa mère qui lui reviennent continuellement, parce qu'on n'oublie jamais les mots de l'enfance... Des phrases qui claquent : « Je suis un temps mort » « Je suis un corps sans voix ». Ces temporalités qui se télescopent, le passé qui s'insinue dans le présent, qui redevient présent « Tout remonte d'une manière ou d'une autre, tout remonte ». Cette unité de temps. Je prends des notes, ce texte retient mon attention, c'est certain.

Pour autant. On n'a pas déjà vu un peu ça avec Sarraute et les autres? Est-ce qu'on n'est pas en train de creuser un énième sillon dans un énième champ intensivement exploité? C'est sûr, il y a du rythme, des phrases nominales, des infinitifs. C'est moderne. Il est question des corps, du sang, des seins, du vomi, du vrai vomi qui sort du corps et du vomi métaphorique. Dans l'air du temps, le vomi. Quand on n'est pas bien dans la littérature, on vomit. On n'est jamais très nuancé dans la littérature. Et puis, le rapport au beau-père (jamais terrible), à la mère (toujours compliqué). J'avoue que cette lecture m'ennuie un peu finalement. Mais bon, la dernière phrase est belle : « et sans doute, enfin, le corps devine. »

Je suis emmerdée.

Je publie ou pas ?

Incontestablement, on assiste à quelque chose. Une Toni qui, le jour de ses vingt ans, devient Toni, une femme. Et si on assistait aussi à la naissance d'une écrivaine, oui c'est peut-être ça. Certainement même.

Je parie, je prends, j'édite.


 

mardi 25 mai 2021

Le bonheur est au fond du couloir à gauche de J.M. Erre

Éditions Buchet-Chastel
★★★★★

Assailli d'injonctions contradictoires fondées sur des idéologies diverses et variées, l'homme moderne a bien du mal à être heureux. La preuve ? Savez-vous qu'il existe un « Rapport mondial du bonheur » établi très officiellement par l'ONU et que la France est très mal classée ! En effet, elle occupe la 32e place, bien après des pays où l'on vit sans confort, sans soins, sous le règne des armes à feu et des cartels de drogue et pas loin du seuil de pauvreté…

Bon, très bien tout ça, mais encore ?

Vous imaginerez facilement que, lorsqu'à ce malheur s'ajoute, en prime, la perte de l'être aimé, on peut parler de catastrophe et un plongeon dans le néant apparaît souvent comme une solution simple et salutaire.

Et c'est précisément ce qui arrive à Michel H. (son nom de famille ne comporte qu'une lettre et un point), grand lecteur de Houellebecq (son « humoriste préféré »), dépressif depuis la naissance, bipolaire, hypocondriaque, paranoïaque, souffrant de TOC, de tics et de trucs variés, bourré d'antidépresseurs et d'anxiolytiques, à mon humble avis souffrant aussi de TSA (troubles du spectre de l'autisme- mais ce n'est que mon avis) bref notre Michel H. va tout faire pour trouver le bonheur en attendant le retour de sa bien-aimée Bérénice rencontrée « dans un stage d'art-thérapie comportemental et cognitif orienté développement personnel ».

Hé hé le bonheur… Il est où ? Le chemin va être long… d'autant qu'il est semé d'embûches à travers, notamment, la personne de M. Patusse, un voisin bien pragmatique, qui viendra rappeler à notre anti-héros préféré qu'il faudrait bien que toutes ses conneries cessent un jour. Donc, pour être sûr de le trouver, ce foutu bonheur, il convient de tout essayer: tout y passe, chaque recette est étudiée de près. Heureusement, la page Internet du grand maître burkinabé Maladoudouséké promet pour 50 euros de faire en sorte que Béné revienne le jour même avant 19h47 (il propose aussi un rabais de 50 % pour la guérison du sida.) C'est en tombant sur un tas de livres de développement personnel que Michel va trouver des pistes : changer de slip régulièrement pour faire durer la flamme amoureuse, lire et appliquer les préceptes culinaires du « Bonheur par le régime tout artichaut », supprimer le gluten et le lactose (mais ça, vous vous en doutez), balancer le pot de Nutella, arrêter de manger des animaux, privilégier les aliments yin aux aliments yang, tenter le régime paléolithique... Je pense que vous avez compris que le bonheur passe d'abord par l'alimentation ! Après, il faut du sport, aider les autres, se réaliser dans sa profession, se lancer dans une grande cause ( là, le choix est vaste : climat/montée des populismes/migrants...), penser par soi-même, appartenir à un groupe qui dénonce les discriminations (oui, mais comment se sentir victime lorsqu'on est un mâle blanc ? « c'est la loose »)

Bien évidemment, il y a aussi Dieu, la foi, le chi gong, l'autohypnose, la marche méditative, le feng shui, le jeûne... etc etc. Bref, notre Michel va-t-il trouver la voie du bonheur ? SUSPENSE...

Un texte satirique VRAIMENT jouissif, bien grinçant, cynique, drôle et surtout tellement lucide et juste (à peine caricatural) sur les absurdités de notre monde contemporain… Franchement, j'ai trouvé ça excellent, hyper-pertinent, intelligent, avec des formules réjouissantes. Ça pique, ça fuse à chaque ligne, ça dézingue toutes les conneries d'épanouissement personnel et de bien-pensance débile.

Ouf, on respire… Comme ça fait du bien !

Et comme on se sent bien loin des feel-good crétins ! (en alexandrin Madame...)


 

mardi 18 mai 2021

Une Fêlure d'Emmanuel Régniez

Éditions Le Tripode
★★★★★

Les textes d'Emmanuel Régniez sont fascinants. Tous. Et je dis fascinants parce que l'on plonge dans un univers qui est le nôtre sans l'être vraiment. Les contours sont flous, les mots font peur. On voit trouble et l'on sent obscurément que derrière leur allure anodine, se dissimule le pire, le gouffre dans lequel on va plonger. Alors, on les lit lentement ces mots. Ils sont si beaux, tout est si beau. Tenez, dans ce dernier roman « Une fêlure », il a l'air tellement heureux ce petit garçon. Il est doux, gentil, ses parents l'aiment et le ciel est bleu. Le monde est parfait, bien lisse, satiné. On l'envie même cet enfant aux parents bienveillants qui ne se disputent jamais. Des parents qui lisent, qui font « bibliothèque commune », qui emmènent leur petit chéri tous les samedis à la librairie. Et il choisit ce qu'il veut, et les parents aussi achètent des livres et le soir, tandis qu'ils sont couchés, l'enfant entend ses parents parler et se dire : « Je te conseille celui-là » et la mère répond « Je te conseille celle-là ». Peut-être parle-t-elle d'une bande-dessinée. Le père conseillera au fils la lecture de Proust. Mais pour plus tard. Chaque chose en son temps. Il ne faut rien précipiter au risque de faire entrevoir à l'enfant chéri que la vie peut être autre chose. Plus tard. Il a bien le temps de se confronter au monde. Il vaut mieux qu'il reste dans son cocon de ouate, dans son petit nid de coton tout chaud, tout beau, tout calme. Si silencieux. Si paisible.

Et pourtant ce titre « Une fêlure ». Quelle fêlure ? Ce monde idéal, parfait, merveilleux peut-il se fissurer, se fracturer, s'ouvrir ? Non, n'est-ce pas, dites-moi que non…

Je vous invite à découvrir les œuvres d'Emmanuel Régniez (l'admirable « Notre Château », « MadameJules »), des petits récits dont l'atmosphère étrange et onirique vous enveloppe progressivement jusqu'à ce que soudain, leurré par des mots simples, doux, soyeux, vous compreniez que vous avez basculé dans le pire, l'insoutenable. Mais il n'est plus temps de vous relever. Vous y êtes. Et le texte hantera désormais votre esprit. Je vous aurai mis en garde… On n'entre pas impunément dans un texte d'Emmanuel Régniez… Vous êtres prévenu.


 

samedi 15 mai 2021

Jeune-Vieille de Paul Fournel

Éditions P.O.L
★★★★★

« Jeune-Vieille », pardon, Geneviève n'aime ni son nom (quatre « e » dans le même mot, faut le faire !) ni les sandwichs-pain-de-mie-Vache-qui-rit de sa mère, ni les histoires que raconte ladite confectionneuse de sandwichs-pain-de-mie-Vache-qui-rit, ni les années-collège lourdingues, ni les cours miteux de la fac...

Par contre elle aime les histoires qu'elle invente, son copain Gérard Gabert (notamment quand il mange ses spaghettis (p 15/16, un vrai délice… les pages, pas les spaghettis), le cinéma, se faire peloter dans le noir (comme elle est moche c'est mieux-c'est elle qui le dit pas moi), lire, lire, lire et surtout écrire, écrire, écrire (mais c'est pas un métier, dit sa mère) et aussi, si possible, se faire éditer (mais ça tu rêves ma fille, tu rêves!)… Ce qui signifie évidemment trouver un éditeur...

Bref, il serait bien dommage que vous ne rencontriez pas Geneviève parce que quand même Geneviève va finir par trouver un éditeur, vous savez, ceux d'avant, qui connaissaient un peu la littérature, l'aimaient beaucoup, ne publiaient pas tout et n'importe quoi, pour le fric… Et elle va le trouver son éditeur, mais mais mais…

Bref bis, parce qu'il n'y a pas que Geneviève dans la vie, il y a Robert Dubois, l'éditeur (LE VRAI). Je l'adore ce Robert Dubois : non seulement il aime la littérature mais en plus, il sait ce qui est bon (à manger). Je l'aime VRAIMENT beaucoup, Robert Dubois, et je me demande bien pourquoi j'en n'ai pas rencontré un comme ça dans la vie, un Robert Dubois ; vous me direz, je l'ai déjà rencontré en littérature, c'est mieux que rien, hein !

Et puis, il y a Gabert. J'aime bien Gabert aussi. Parce qu'il n'est pas comme les autres et parce qu'il s'en fout de ne pas être comme les autres. C'est un VRAI lui aussi.

Bref ter, et pour aller vite fait à l'essentiel, ce livre, c'est un cadeau. On y rencontre trois personnages auxquels on va penser longtemps, très longtemps. Et c'est bien.

Et puis, on apprend plein de choses sur le milieu de l'édition, des choses tristes dont on se doutait un peu...

Mais il y a Geneviève, Robert Dubois et Gabert...

QUOI ? MAIS VOUS ATTENDEZ QUOI POUR ALLER À LEUR RENCONTRE ???? QUE LES 658 ROMANS DE LA RENTRÉE LITTÉRAIRE DE SEPTEMBRE 2021, TEL UN ÉNORME RAZ-DE-MARÉE, RECOUVRENT CES SI BEAUX PERSONNAGES QUI TERMINERONT DANS LES OUBLIETTES DES OUBLIETTES ?????

G-E-N-E-V-I-È-V-E-R-O-B-E-R-T-D-U-B-O-I-S-E-TG-A-B-E-R-T

(parce que quand même il eût été dommage que vous ne rencontrassiez pas ces trois-là...)

(autrement, le titre du roman c'est « Jeune-Vieille », c'est ça qu'il faut dire à votre libraire hein,

« J-E-U-N-E-V-I-E-I-L-L-E »)


 

vendredi 14 mai 2021

Mes 18 exils de Susie Morgenstern

Éditions L'Iconoclaste
💗💗💗💗💗

« La sixième », « Lettres d'amour de 0 à 10 » « La famille trop d'filles »… Hé, hé, tous ces titres de Susie Morgenstern vous rappellent bien quelque chose… votre jeunesse, peut-être, ou les lectures de vos gamins (à l'époque où ils lisaient encore!) Eh bien, l'autrice-aux-lunettes-roses-en-forme-de-coeur nous propose son autobiographie et franchement, c'est pétillant, drôle, coloré, pêchu, sensible, exubérant, décomplexé, bourré de vie, de folie, d'énergie et d'amour, elle est tellement attachante, vivante… Quelle belle rencontre et comme je n'avais vraiment pas envie de la quitter ! Elle retrace, à travers ces 18 exils, l'histoire de sa vie, de sa jeunesse à Belleville dans le New Jersey, dans une famille juive pleine de joie, de rires, de rites, de fêtes où l'on s'empiffre allègrement, avec deux sœurs aussi rigolotes et originales qu'elle… Les années d'école, de fac, puis un départ vers Jérusalem, la ville sacrée où elle rencontre Jacques, un mathématicien français, l'amour de sa vie (elle n'aime pas les maths et ne connaît pas un mot de français !) Et la voilà partie, la fleur au fusil dans un pays étrange et un peu coincé où l'on mange des légumes verts (adieu muffins, bagels, chocolate chip cookies et brownies), où les études sont gratuites et où il existe un truc incroyable qui s'appelle la Sécurité Sociale. Pas facile de s'habituer à cette nouvelle vie à Nice, loin des siens… Un poste à la fac, la thèse, les enfants, l'écriture et la vie qui passe, les deuils et d'autres rencontres toujours aussi extraordinaires, et de nouveau l'amour, inattendu et sublime…

Hymne à la vie, à l'amour, livre de philosophie, de sagesse, « Mes 18 exils » éblouit de bonheur, de gaieté et de jouissance et nous invite à entrer dans la danse. On se régale ! Et puis, ce texte nous dit tant de ce qui fait la différence (l'abîme, le gouffre) entre la France et les États-Unis et c'est tellement drôle et tellement juste aussi !

Allez, on a juste envie d'attraper l'autrice, de lui claquer quatre énormes bisous sur les joues et de la serrer très fort dans ses bras…

En attendant, je voudrais juste lui dire : MERCI ! 


        



 

mardi 11 mai 2021

Un voisin trop discret de Iain Levison

Éditions Liana Levi
★★★★★

Un bon bouquin (très très bon même), pas politiquement correct pour un sou (chouette, on respire!), avec des personnages ni manichéens ni stéréotypés ni bobos (ouf!) (des vrais gens-sympatoches-tordus-qui-ont-pas-mal-roulé-leur-bosse), une construction hyper judicieuse (avec un système -pas tout le temps, rassurez-vous- de « parallaxe » (titre original de l'oeuvre) (la parallaxe, selon Larousse, c'est «l'angle formé par les droites qui joignent un point déterminé de l'espace à chacun des deux yeux, ou à chacune des deux oreilles », bref une histoire de double point de vue sur la même chose, le même événement et puis, une intrigue au cordeau (vous verriez cette fin complètement inattendue : un beau salto arrière et paf, pile sur les deux gambettes!) et c'est plein d'humour (noir), de suspense, de rebondissements tous plus réjouissants les uns que les autres, ajoutez une bonne dose de sarcasme (le rêve américain en prend un coup...) et vous y êtes !

Ah quel plaisir que la lecture de ce roman ! Jouissif ! Un très bon cru, bien cynique, bien désabusé et tellement humain ! De toute façon les Levison sont TOUS très bons (I'm so Levison addict, you know …) Et celui-ci, franchement, il régale !

Deux mots quand même sur le sujet : Jim Smith est un homme discret (il est le voisin du titre). Il est aussi dépressif, solitaire et asocial. Il a la soixantaine passée, arrondit les fins de mois en étant chauffeur Uber (après avoir été contrôleur aérien, serrurier et comptable), a dîné avec trois personnes en trente ans (et encore, c'était la corvée) et ne tient pas particulièrement à réitérer l'expérience (il a peur de se planter avec la terminologie actuelle dont il ne possède pas vraiment les codes -on en est tous là!).

Et si possible aimerait bien en finir rapidement avec l'existence.

Si possible.

Et puis, un jour, une nouvelle voisine s'installe dans l'appart d'à côté : son militaire de mari, agent des Forces spéciales, que l'on voit en action en Afghanistan (incroyable réalisme de ces scènes hyper cinématographiques...) commence à péter les plombs. Tout va bien tant qu'il n'est pas là mais le jour où il va rentrer, avec toute la violence qu'il a emmagasinée à tirer sur tout ce qui bouge, on sent que ça risque de coincer...

En attendant, Jim essaie de jouer à l'homme civilisé capable de tenir une conversation de plus de deux minutes et d'éprouver un peu d'émotion pour l'humanité. Sa voisine a un sacré boulot avec lui… Et elle a aussi besoin de ses services… Ça peut être utile, très utile, un voisin!

Plusieurs intrigues se mêlent, des personnages se croisent, se recroisent, les quiproquos abondent... Une vraie comédie américaine retouchée par Ken Loach...

Allez, foncez en librairie vous procurer ce petit bijou qui détrône largement tous les polars du marché (je sais, je les ai tous lus! ah ah)… Vous m'en direz des nouvelles… (avec le long week-end bien pourri qui s'annonce (je parle du temps, pas de votre vie de famille, hein!), tant que vous y êtes, prenez aussi « Tribulations d'un précaire » et « Un petit boulot »… Ça ne va pas franchement vous remonter le moral, mais vous aurez l'impression (réconfortante) que vous n'êtes pas seul au monde à endurer le pire !  


 

dimanche 9 mai 2021

De sable et de neige de Chantal Thomas

Éditions Mercure de France
★★★☆☆

Je ne sais pas pourquoi, alors que je reconnais que son écriture est impeccable, son rapport au monde intense, sensuel et intime, ce qu'écrit Chantal Thomas me glisse dessus, je retiens très peu de choses de ses écrits sinon une atmosphère.

En fait, Chantal Thomas me donne l'impression d'être trop bien pour moi, un peu inaccessible, intimidante à force de discrétion, de pudeur et de retenue. Elle m'impressionne, moi qui ne suis qu'exubérance et passion avec toute l'inconvenance et le manque de retenue que cela suppose.

Elle est tellement parfaite, j'ose à peine le dire, qu'elle m'ennuie un peu.

J'aimerais plus d'audace, de folie, de laisser-aller… Et le pire, c'est que je pense qu'elle a tout ça en elle, mais on ne le sent pas dans ses textes très (trop?) lissés, très polis (dans tous les sens du terme), glacés à force de réserve (comme les pages de ce livre qu'on ose à peine griffonner), de pudeur, de délicatesse et de silence. Une exception tout de même : « Souvenirs de la marée basse » où la simple évocation de sa mère, une femme assez excentrique, ajoutait du piment et de l'audace au texte.

« De sable et de neige » est un très beau récit, assez classique, dans lequel elle évoque son enfance à Arcachon, le rapport à son père, un homme très silencieux qu'elle admire éperdument, aux éléments (eau, sable, neige), aux lumières, aux huîtres qu'elle aime tant, à tout un nuancier d'émotions fugitives, insaisissables et mystérieuses…

Dans une dernière partie est évoqué un séjour à Kyoto où l'on sent qu'elle a tout saisi de l'âme japonaise (ce pays lui correspond d'ailleurs parfaitement)…

Beaucoup de beauté donc dans ces pages accompagnées de très belles photos, mais une beauté un peu froide qui n'est pas parvenue à me toucher...


 

mercredi 5 mai 2021

Comment parler des faits qui ne se sont pas produits? de Pierre Bayard

Les Éditions de Minuit
★★★★★ (passionnant!!!)


Qui n'a jamais menti ? Qui n'a jamais eu recours à la fiction pour rendre le réel supportable, rassurer ses proches, soulager ses peines ou celles de ses amis ? Faut-il vraiment combattre les fables ? Doit-on absolument lutter contre les fake news ? Est-il nécessaire de rechercher à tout prix la vérité ? Et si, paradoxalement, le faux était plus fécond que la vérité ? S'il débouchait sur une forme de vrai que la stricte conformité au réel serait bien en peine d'atteindre ?

C'est à ces questions que se confronte Pierre Bayard, professeur de littérature à Paris-VIII Vincenne-St-Denis et psychanalyste, dans un essai (au titre pour le moins provocateur) VRAIMENT passionnant, fondé sur des exemples concrets, précis et très variés qui conduisent à une réelle prise de conscience de la nécessité de recourir à la fiction. Et ce, pour plusieurs raisons !

Je ne résiste pas au plaisir de vous raconter deux exemples analysés par l'auteur, vous verrez concrètement de quoi il retourne… Ne vous inquiétez pas, il y en a plein d'autres et de bien plus savoureux encore !

En 1971, lorsque M-A Macciocchi, femme politique italienne appartenant au Parti Communiste, publie le récit de son journal en Chine, le succès est immédiat : elle y décrit un monde moderne, des ouvriers efficaces mais ayant tout le loisir de s'accorder des pauses-lecture sur les heures de travail, des intellectuels dans l'obligation de faire l'expérience du travail en usine ou dans les rizières. Toujours, le collectif est mis en avant : il ne viendrait à personne l'idée de demander une augmentation de salaire ou davantage de vacances : trop perso tout ça. Le « nous » passe forcément avant le « je ».

Bref, « De la Chine » séduit tous les intellectuels français qui se rallieront rapidement à la doctrine maoïste : Sollers, Barthes, Kristeva etc se rendent eux-mêmes sur place pour visiter ce pays idéal et novateur. Or, aucun d'eux ne semble avoir alors suffisamment d'esprit critique pour voir 1) que le récit de Macciocchi est truffé d'erreurs, 2) qu'ils visitent en réalité un état totalitaire.

Comment un tel aveuglement a-t-il été possible ? Outre le fait que Macciocchi a certainement été manipulée par les autorités chinoises lors de ses différents voyages, on peut penser qu'elle est arrivée en Chine avec des convictions bien ancrées et une belle grille de lecture dans laquelle elle s'est efforcée de placer tout ce qu'elle voyait : c'est ce que les spécialistes en sciences cognitives ont appelé la notion de « biais de confirmation », à savoir que l'on sélectionne dans la réalité tous les éléments qui vont précisément dans le sens de ce que l'on veut démontrer.

À cela s'ajoute certainement « un besoin de croire » : les intellectuels français de cette époque ont perdu leurs illusions face au communisme sauce soviétique, il faut donc qu'ils se raccrochent à autre chose (ça fait vivre de croire en un idéal qui donne un sens à la vie) et donc ils mettent en place une espèce de « processus d'idéalisation » pour se protéger eux-mêmes d'une trop grande déception et surtout pour continuer d'avancer en évitant la dépression…

On a tous besoin de croire en quelque chose et d'une certaine façon, la fable, la fiction nous rassurent et nous protègent. Et finalement, on ne voit pas ce que l'on ne veut pas voir. C'est bien pratique, hein !

Allez, vite fait, je vous propose un autre exemple tout aussi fascinant (ils le sont tous!).

Le 13 mars 1964, à New York, une jeune femme est assassinée au pied de son immeuble. L'enquête révèle que 38 personnes ont été témoins de ce crime. Or personne n'a appelé la police ni tenté de porter secours à la pauvre femme. Les sociologues se sont emparés du sujet et après plusieurs expériences en ont conclu que plus les témoins sont nombreux, plus les interventions individuelles sont rares. Au contraire, moins il y a de témoins, plus les interventions personnelles sont à la fois nombreuses et rapides. Ce concept s'appelle « effet du témoin » et il a été attesté par de nombreuses expériences.

Très bien.

Mais, en reprenant le dossier de cette terrible histoire, il s'est avéré qu'en réalité, l'agression avait eu lieu dans le hall d'un immeuble et qu'elle n'était donc pas visible par d'éventuels témoin. Ainsi, le faux récit, espèce de légende urbaine, a néanmoins permis d'accéder à une vérité « scientifique », à savoir que plus on est nombreux et moins on agit.

Je ne vous rapporte ici que deux exemples très intéressants développés dans cet essai extrêmement clair, intelligent et tellement divertissant ! Franchement, ce texte  est un pur bonheur de lecture et en plus, il rend intelligent ! Il montre en effet comment on a besoin de la fiction pour supporter l'existence ou bien, de façon étonnante, pour rendre compte du réel de façon plus intense, plus saisissante : en effet, il faut parfois déformer le vrai, en donner une image tronquée ou exagérée pour accéder à l'essence même des êtres ou des choses. Ainsi les Grecs n'hésitaient-ils pas à fausser les lignes des colonnes des temples qu'ils bâtissaient pour que, de loin, la perspective semble parfaite.

Et puis, finalement, existe-t-il une vérité objective dans la mesure où nous sommes contraints de passer par le prisme de notre moi pour accéder au réel (avec le poids bien lourd de notre inconscient qui pèse sur nos jugements, nos ressentis, nos actions)  ? Et cette « vérité subjective » n'est-elle pas authentique pour le sujet qui la perçoit ?

Bref, on a besoin de la fiction, elle nous est indispensable, elle stimule notre curiosité, notre imagination mais aussi notre perspicacité, notre esprit critique, elle ouvre la voie aux découvertes scientifiques, nous protège des déceptions de l'existence et nous permet d'accéder peut-être plus directement, plus essentiellement et de façon plus marquante à la compréhension des êtres et des faits politiques passés ou présents: gardons-nous donc de vouloir à tout prix la vérité (si tant est qu'on puisse l'atteindre), elle pourrait nous empêcher d'atteindre le vrai et elle nous rendrait à coup sûr malheureux et tristes.

À bas donc les chicaneurs, les rabat-joie, les empêcheurs de fabuler, d'inventer, de rêver! Qu'ils retournent à leurs tristes enquêtes, à leurs vérifications, à leurs calculs. Notre vérité est plus vraie que la leur. Et plus belle aussi...





 

dimanche 2 mai 2021

Le Silence de Don DeLillo

Éditions Actes Sud
★☆☆☆☆

Heureusement que je n'ai pas que des bouquins comme ça à chroniquer parce qu'autrement je changerais de métier… La première lecture m'a laissée plutôt perplexe… La seconde achevée, je suis toujours aussi dubitative… On peut tout de suite tenter de régler un premier point : est-ce agréable à lire (soyons fous) ? Est-ce que ce texte m'a intéressée (propos, dispositif narratif, écriture -oui, pardon, je suis un peu vieille et le style compte encore un peu pour moi) ?

Clairement: non, ce texte n'est pas agréable à lire et il ne m'a pas du tout intéressée. On s'ennuie d'un bout à l'autre du roman, on ne comprend pas grand-chose et on n'a qu'une hâte : en finir (et pourtant le roman ne fait que 108 pages!) Voilà, j'ai dit l'essentiel. Si la suite vous intéresse, alors allons-y.

Le sujet d'abord : tandis que des amis ont prévu de se réunir pour regarder à la télévision le Super Bowl (finale de foot dont les Américains sont friands), l'écran devient noir… On ne sait pas vraiment ce qui s'est passé mais toutes les connexions numériques sont coupées. Donc plus de téléphone portable non plus...

Bon pas franchement nouveau comme sujet. On nous l'a déjà servi plusieurs fois et à mon avis, on va en bouffer encore du bien réchauffé à la prochaine rentrée littéraire (la rentrée des écrits-confinés-fin-du-monde-on-va-tous-mourir.) Croyez-moi, le gavage nous guette ! Bref, rien de nouveau sous le soleil.

Et que je vous déballe les thèmes qui vont avec (tout aussi attendus que le reste) : on est des robots décervelés, programmés, paramétrés, configurés, encodés, cryptés, remastérisés et tutti quanti, les portables, c'est la mort, on ne communique plus, on ne voit plus les autres, on est enfermé dans notre horrible solitude, bref, la fin de notre civilisation est dorénavant imminente. Rideau.

Ok, tout ça, on le sait… Mais encore ?

Concrètement, (parce qu'il faut que tout cela se voie, soit tangible, hein, parce qu'il faut que vous compreniez bien de quoi on cause, vous les cerveaux embrumés, saturés, décérébrés et puis, il faut tenter un brin d'originalité ) : le langage est désarticulé, incohérent, sans logique, les monologues nombreux… Rappelez-vous Ionesco « La Cantatrice », Beckett etc. Il y a soixante-dix ans, c'était nouveau, ça fichait un peu la trouille quand même ou bien, pour les plus détendus, ça faisait rire. Mais maintenant, franchement, tous ces procédés sentent l'archi-réchauffé. Ce roman serait sorti en 1940, il aurait fait un vrai carton (je parle de l'écriture, de la forme évidemment), mais aujourd'hui...

Bref, vous pouvez passer votre chemin et aller voir ailleurs …

Tiens, avez-vous lu « La Demoiselle à coeur ouvert » de Lise Charles chez P.O.L ? Allez-y de ma part… Un peu de fraîcheur et d'originalité, par les temps qui courent...