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jeudi 23 juillet 2020

L'Annexe de Catherine Mavrikakis


Éditions Sabine Wespieser
★★☆☆☆ (bof, bof, bof)


Ah ma bonne dame… les goûts et les couleurs…
Sur les conseils de ma libraire, je me lance dans la lecture de ce roman sorti en mars et dont je n'ai absolument pas entendu parler ni dans la presse ni sur la blogosphère…
Le ton des premières pages retient mon attention mais très vite, le soufflé retombe… Quel est le projet, quel est le sens de ce roman dans lequel tout me paraît artificiel, inutilement bavard, extrêmement redondant, très ennuyeux et un brin prétentieux… C'est donc une très grande déception… Si certains lecteurs de ce billet y ont compris quelque chose, qu'ils n'hésitent pas à laisser un avis !
Dans l'émission de France Culture « Par les temps qui courent » (2 mars 2020), l'auteur confie : « Je n'avais pas envie d'écrire un livre très clair... » Si c'était le projet, alors c'est effectivement réussi. Je comprends qu'un auteur veuille que le lecteur n'accède pas immédiatement au sens profond de l'oeuvre mais ce que je crains, c'est qu'ici, ce pseudo-hermétisme cache un vide sidéral ou tout au moins une absence d'objectif bien défini ou suffisamment clair pour le lecteur. J'y vois plutôt une démonstration lourdingue et sans originalité sur l'idée que la littérature peut être une grille de lecture du réel. Ou bien qu'il faut s'en méfier, elle est susceptible de nous faire perdre pied (ou nous sauver) ...
Bon, abordons le sujet : la narratrice, Anna, dont on comprend très vite qu'elle est agent secret, aime se rendre à Amsterdam dans la maison d'Anne Frank pour y effectuer des espèces de pèlerinages. Elle établit un parallélisme (tiré par les cheveux – mais pourquoi pas...) entre son existence et celle de la jeune fille déportée en 1944 : une vie d'errance, de planque, des questionnements sur l'identité, de difficiles rapports aux autres etc etc... Comprenant qu'elle a été repérée, la narratrice suivra les ordres de son employeur : l'Agathos, prendra le premier avion et se retrouvera confinée dans un lieu tenu secret avec d'autres agents de son espèce… Elle y rencontrera un majordome homo d'origine cubaine très bavard (accrochez-vous!), dont les propos sont truffés de références littéraires… Anna l'écoute et en perd tout son discernement… (moi aussi d'ailleurs!) Qui est-il vraiment, que cherche-t-il ? (à ce stade-là du roman, je suis perdue et surtout saoulée de la logorrhée de ce personnage) L'espionne, quant à elle, en rajoute une couche en rebaptisant tous ses compagnons de réclusion du nom d'un personnage de la littérature… Comme le dit la 4e de couv : « un vieux couple slave devient les Tourgueniev ; un agent d'apparence banale… Meursault ; le chat, Moortje, comme celui d'Anne Frank... » Pourquoi pas mais… tout ça pour dire quoi exactement ? C'est bien ça le problème…
Je me suis perdue et ennuyée : tout m'a semblé poussif et artificiel (et dire que j'ai lu ici ou là que le suspense était insoutenable… c'est ironique ou quoi?)
Allez, j'attends vos avis éclairés !

mardi 14 juillet 2020

La neige sous la neige d'Arno Saar


Édition La fosse aux ours
(traduit de l'italien par Patrick Vighetti)
★★★☆☆ J'ai bien aimé


Bon, évidemment, ça ne remplace pas notre virée estivale à Tallinn, annulée pour cause de Covid, mais quand même, cette petite déambulation dans la capitale estonienne aux côtés du commissaire Marko Kurismaa fut bien agréable… Un vrai guide touristique ce roman ! (Même si l'auteur est italien et le récit écrit dans la langue de Dante …)
J'aurais vraiment aimé le lire sur place afin de me rendre dans tous les lieux décrits par l'auteur… Croisons les doigts pour qu'on puisse effectivement aller y faire un tour prochainement… D'ici là, d'autres titres d'Arno Saar (pseudo d'un certain Alessandro Perissinotto) seront peut-être traduits en français et m'accompagneront dans le dédale des rues pavées de la vieille ville entourée de remparts d'où l'on découvre des points de vue que j'imagine magnifiques sur la mer Baltique et la colline de Toompea… Et la cathédrale Nevsky, les petits restaus, les bars à bière, les façades pastel de style baroque, le port et ses brise-glaces… J'arrête là, je vais pleurer… Restons digne et adulte, ça sera pour une autre fois… Mais quand même...
Ah, cet inspecteur Kurismaa… Trente ans de métier, un caractère bien trempé, aimable quand il y pense, pas psychologue pour un sou, détestant tout ce qui a à voir avec les nouvelles technologies, narcoleptique (pas facile à vivre quand on est flic), détestant le sport (même s'il est un ancien champion de ski de fond) et «  tout ce qui a trait au froid, aux bâtons et au mouvement » - il est servi !
Mais ce qu'il exècre le plus au monde, c'est le communisme qui lui a raflé son père (un opposant au régime soviétique, arrêté par les hommes du KGB) et par la même occasion, son enfance…
En effet, les traces de cette période (l'Estonie fait partie de l'URSS de 1944 à 1991) apparaissent à chaque coin de rue.. . Sachant que la ville est sous domination russe depuis que Pierre Le Grand en 1710 a repoussé les Suédois, vous imaginez bien que ce passé est plus qu'omniprésent. Bien sûr, les gens sont bilingues : le russe est la langue maternelle de plus de 40 % de la population - l'immigration russe ayant été très importante lors de la Seconde Guerre Mondiale… Bref, ce passé soviétique colle aux pattes et aux esprits et prend l'allure d' un cauchemar dont on a bien du mal à se remettre… J'avoue que c'est l'aspect du roman qui m'a le plus intéressée, non que l'intrigue - somme toute assez classique - soit sans intérêt (on se laisse ferrer par cette enquête sur le meurtre d'une escort girl biélorusse) mais cette superposition passé/présent extrêmement forte à Tallinn est vraiment passionnante.
Et puis parcourir cette capitale recouverte d'une neige épaisse qui complique tous les déplacements est assez dépaysant, il faut bien l'avouer... et même poétique lorsque celle-ci prend la forme de légers flocons tourbillonnant dans la lueur des réverbères...
« Cependant, comme chaque fois qu'il essayait de les ignorer, les façades des maisons, le cours sinueux des ruelles, l'absence de voitures et de bruit, s'emparèrent de lui et l'obligèrent à ralentir le pas. Non, Vanalinn, la Vieille-Ville, n'était en rien un parc à thème, en rien un piège à touristes : c'était la beauté à l'état pur, l'élégance, l'âme balte. Et elle était vivante, même durant les jours, comme aujourd'hui, où les passants étaient rares, et même surtout ces jours-là, quand les toits étaient blancs, quand la neige qui n'avait pas encore été déblayée gisait en tas contre les murs, quand Tallinn recommençait à appartenir exclusivement à ses habitants... »
Ah… quand j'entends parler d' « âme balte », je fonds… pas vous ?
Allez, offrez-vous un petit voyage virtuel en attendant de pouvoir de nouveau parcourir le monde...

                          



mercredi 8 juillet 2020

Il est des hommes qui se perdront toujours de Rebecca Lighieri


Éditions P.O.L
★★★★★ (dur et tellement beau...)

Dans son article intitulé « La liquidation de l'opium » paru en 1925 dans la revue « La Révolution surréaliste », Antonin Artaud s'insurge contre la volonté de l’État de lutter contre les drogues : « Vous n’empêcherez pas qu’il y ait des âmes destinées au poison, quel qu’il soit, poison de la morphine, poison de la lecture, poison de l’isolement, poison de l’onanisme, poison de l’anti-sociabilité. Supprimez-leur le moyen de folie, elles en inventeront dix mille autres. » Ainsi, considérant que certaines âmes sont perdues à jamais, sa revendication se résume à quelques mots : qu'on leur foute la paix à lui et aux autres êtres souffrants puisque de toute façon, ils trouveront forcément une échappatoire quelconque pour supporter le monde et soulager leur folie.
« Elles (les âmes) créeront des moyens plus subtils, plus furieux, des moyens plus désespérés. La nature elle-même est anti-sociale. Laissons se perdre les perdus, nous avons mieux à faire qu’à occuper notre temps à une régénération impossible et de plus, inutile, odieuse et nuisible. De plus les perdus sont par nature perdus. Il y a un déterminisme inné, il y a une incurabilité indiscutable du suicide, du crime, de l’idiotie, de la folie... » Et la chronique se termine sur ces mots : « L'homme est misérable, l'âme est faible, il est des hommes qui se perdront toujours. Peu importent les moyens de la perte; ça ne regarde pas la société. »
S'inspirant des propos du théoricien, Rebecca Lighieri (pseudo d'Emmanuelle Bayamack-Tam) illustre dans son dernier roman très très noir (je vous préviens!) non seulement une certaine forme de déterminisme psychologique (t'es mal, tu le resteras) mais elle s'attaque aussi au déterminisme social à travers l'histoire tristement banale de trois gamins flingués par la vie et plus précisément par leur père, un monstre, une ordure, un pauvre type… Trois enfants, « trois fleurs décapitées » dont il ne reste que les tiges qui tiennent debout on ne sait par quel miracle…
Mohand, le plus jeune, à qui le père toxico a répété à l'envi qu'il n'était pas son fils, lui le môme handicapé qu'il surnomme le gogol, le triso, répétant sans cesse qu'il aurait mieux valu s'en débarrasser de ce gosse puant, le faire crever, ce à quoi il est presque parvenu à force de sévices en tous genres, d'humiliations sans nom et de haine infinie…
Mohand, le miraculé, Mohand encore debout, Mohand, l'ange aux ailes broyées… Comment se construit-on sur des sables mouvants sans se faire engloutir et sans finir par disparaître de la surface de cette pauvre terre où l'on n'a fait que souffrir ?
Et puis, il y a Hendricka que le père a traînée dans les cafés de la cité des quartiers nord de Marseille où ils vivent dans ces années 80/90 (la cité Antonin Artaud - il est né à Marseille-) et dont les piliers de bar ont largement reluqué les cuisses, la belle Hendricka qu'il a présentée à des castings débiles pour tirer du fric de sa beauté insensée, parce que la popularité, ça rapporte, c'est mieux que les diplômes, plus utile que l'école.
Enfin, il y a Karel, ce narrateur à la beauté foudroyante et à la sensibilité à fleur de peau, celui qui dit sa haine et son dégoût à chaque page, hurle son amour pour Mohand et Hendricka, tentera de mettre des mots sur le pire, l'insoutenable en avançant à tâtons vers un mirage de bonheur.
Ces trois-là, comme tant d'autres, ont morflé et pas qu'à moitié. D'aucuns diraient qu'ils ne s'en relèveront jamais. Et ils auraient sans doute raison. Une enfance brisée, c'est pour la vie… « L'espérance de vie de l'amour, c'est huit ans. Pour la haine, comptez plutôt vingt. La seule chose qui dure toujours, c'est l'enfance, quand elle s'est mal passée. »
Oui, bien sûr, vous me direz, et la résilience ?...
Allez, on peut se garder deux trois illusions sous le coude, ça ne mange pas de pain…
Échappe-t-on de là d'où l'on vient ? Se remet-on du pire, de l'insoutenable, de l'horreur ? Reproduit-on forcément ce que l'on a subi ? Devient-on génétiquement violent ?
Rebecca Lighieri a les mots pour décrire la violence et l'on vit de l'intérieur ce que ressent Karel, sa haine pure vis-à-vis de ce père destructeur, la confusion de ses sentiments, le chaos de ses émotions, toutes les difficultés qu'il a à se construire, à devenir un homme et à se projeter dans un avenir plus ou moins lointain avec sa copine Shayenne qui vit dans un camp de gitans sédentarisés où lui-même trouvera refuge.
Quel personnage que ce Karel, de ceux qu'on n'oublie pas : il est tellement attachant, tellement perdu dans cette famille foutraque qui ne lui a jamais donné aucun repère, aucune joie, aucun amour...
On ne pleure pas quand on lit Rebecca Lighieri. Et pourtant, on pourrait... Non, pas de pathos, pas de mélo. On plonge dans le pire, sans détour, à sec. Les mots cinglent, heurtent, cognent. Ce sont des directs qu'on se prend en pleine figure, et l'on sort sonné. Sonné mais sans larmes, car, comme Karel, on sent que si l'on veut finir le roman, il faut tenir parce qu'on n'est pas encore au bout du pire et peut-être aussi parce que dans cet enfer, émerge, malgré tout, beaucoup d'humanité…
On sent qu'elle les aime ses personnages, Rebecca Lighieri , qu'elle vit avec, les sent, les touche, qu'ils sont là devant elle, incarnés (quelle sensualité dans l'écriture !)… Ils sont tellement vivants, tellement vrais dans leur terrible complexité. Il faut, je pense, avoir fréquenté et observé pas mal d'ados pour parler d'eux comme elle le fait, avec leurs mots, leurs codes, leur façon d'être au monde…
Et puis, il y a cette bande-son omniprésente qui nous entraîne, parce que ce roman, c'est aussi de la musique, de la soul, du funk, du rap, des chansons populaires qu'on fredonne tous les jours, des tubes sirupeux qui nous comblent d'aise secrètement… Je repense soudain à cette scène magistrale que je n'oublierai jamais où les trois jeunes dansent parce que, pour une fois, ils vivent un moment de bonheur. Magnifique play-liste qu'il faut absolument écouter parce qu'elle insuffle encore davantage de vie, de mouvement et ajoute encore de l'émotion à ce texte déjà si fort…
Allez, finissons sur un petit « Dance Little Sister » de Terence Trent D'Arby ou bien, si vous préférez « Right On » des Pasadenas et imaginons-les, ces gosses, être heureux un instant, un instant seulement…

Qu'est-ce que ça fait du bien et comme c'est beau à voir...