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mercredi 30 août 2023

L'enquêteur agonisant de Leif GW Persson

Éditions Rivages Noir
★★★★☆

 Deux mots sur mon polar de l’été avant d’attaquer la rentrée littéraire : ce qui est particulièrement original dans ce livre, c’est que l’enquêteur, un certain Lars Martin Johansson, retraité de la police, a dès le premier chapitre un AVC assez sévère qui va le conduire tout droit à l’hôpital puis chez lui. Physiquement, on peut donc dire qu’il est hors-jeu ! Et c’est de son lit ou de son fauteuil qu’il mènera son enquête à la manière d’Hercule Poirot. Il a un caractère bien trempé, aime manger notamment des sandwichs saucisse/moutarde et boire du schnaps et n’a absolument pas l’intention de renoncer à ces plaisirs malgré les remontrances continuelles des médecins et de sa famille. Il a du caractère, beaucoup d’humour et l’on s’attache rapidement à ce personnage un peu bourru et vieux jeu. J’ai d’ailleurs aimé le parti pris de faire apparaître ses pensées personnelles en italique. Il va se retrouver avec une affaire de meurtre non résolue, un cold case, qui a eu lieu vingt-cinq ans auparavant. En effet, une gamine a été violée et tuée et le coupable est toujours dans la nature. Johansson a juré qu’il le retrouverait. Rusé, fin, perspicace, patient, il n’a rien perdu de ce qui a fait autrefois sa réputation : s’il est diminué physiquement, son esprit d’observation et de déduction fonctionne à merveille. On dit même de lui qu’il « voit derrière les coins. » Il prend son temps, observe attentivement les gens qu’il interroge… Très vite, il se rend compte que des indices essentiels ont été négligés et que de nombreuses erreurs ont été commises lors de l’enquête initiale. Bref, les anciens collègues ont bâclé le travail. Maintenant, les témoins principaux sont morts et la tâche n’est pas simple. En plus, il y a prescription : que faire si le meurtrier est retrouvé ? Ne rien dire, le laisser courir ou bien... Pas simple en tout cas...

Évidemment, se lancer dans une enquête depuis son lit d’hôpital n’est pas une affaire aisée mais rien ne lui fait peur... Un roman policier pas ordinaire, drôle, émouvant, écrit par un connaisseur criminologue, ancien conseiller à la direction centrale de la police suédoise. Il sait de quoi il parle ! Pas de scène d’action ici, pas de poursuites échevelées arme au poing mais plutôt des dialogues vifs, savoureux et drôles. Les personnages secondaires aussi sont intéressants et particulièrement bien décrits... Ce roman a remporté le « Glass Key Award », prix du meilleur roman policier scandinave... J’ai passé un très bon moment ...




 

dimanche 20 août 2023

La Route des Estuaires de Julie Wolkenstein

Éditions P.O.L
★★★★★


Ah, « La Route des Estuaires »… joli titre qui donne à rêver de grand large et de vent marin… On la prendrait bien, tiens, cette route en ce mois d’août pour aller où va Julie Wolkenstein : à Saint-Pair-sur-Mer dans la Manche (avec mes enfants - petits encore pour qu’ils acceptent de se livrer aux jeux puérils de leur mère -, nous avions arpenté la plage de Saint-Pair avec à la main la photo de la maison, meilleure façon de la trouver!) Le lecteur s’attendant donc à un peu d’évasion sera certainement surpris par l’impression d’étouffement et de claustrophobie qui émane des premières pages de ce texte autobiographique.

« La Route des Estuaires » est donc celle qui mène à cette maison, omniprésente dans l’oeuvre de l’autrice. Le livre s’ouvre sur une fuite de Paris lors du confinement de mars 2020 : ils sont quatre ultra-serrés dans une Fiat 500 noire et le plus jeune fils est assis « à la place du mort ».

La route que Julie Wolkenstein nous invite à suivre semble être celle du passé : la jeunesse, les copains, les week-ends chez les uns, les autres. L’autrice restitue parfaitement les caractéristiques d’une époque : les objets, les vêtements, les mœurs, les mentalités… Je me régale à la lecture de l’évocation de ces années. Mais je m’interroge : où veut-elle me conduire ? N’est-on pas en train de faire fausse route ? La narratrice parle de « prolepse-préparatoire » au sujet de ce premier chapitre, ce qui signifierait que celui-ci raconte à l’avance quelque chose qui va se passer plus tard. Ah très bien, il s’agit donc d’un énième journal de confinement. A vrai dire, ça m’est bien égal, je suis une inconditionnelle de Julie Wolkenstein dont je bois la prose comme du petit-lait… Mais en fait, me dit-on, cette prolepse est « pseudo-préparatoire ». Ah, flûte alors, fausse piste. Est-ce que la narratrice s’amuse avec son lecteur ? J’avais adoré son « escape-game » dans « Et toujours en été » qui avait lieu précisément dans la maison de Saint-Pair… Peut-être s’agit-il encore d’un jeu ou bien…

Non, l’autrice semble avoir du mal à entrer dans le vif du sujet tout simplement parce qu’il est douloureux… Alors, elle progresse lentement, donne des coups de volant à droite, puis à gauche, s’arrête longuement...

Voilà maintenant qu’elle nous raconte le pré-générique de The Walking Dead ! Elle n’y va pas par quatre chemins ! Moi qui ne suis pas une adepte des séries... (mais comme elle rend tout passionnant, je cherche secrètement à visionner quelques extraits sur mon ordi...) Nous sommes au chapitre 2, deux ans après le début du confinement, donc en hiver 2022, l’autrice jongle avec les dates : 85, 90, 96, retour dans le passé (analepse ou pseudo-analepse?), elle raconte des fêtes à Marolles près de Houdan… Ok, Houdan, ça ne vous dit rien mais pour moi ça veut dire beaucoup parce que la ligne Paris/Granville c’est MA ligne - je descends à Argentan quand le train ne s’arrête pas (et ce n’est pas rare - litote ou pseudo-litote?) à Briouze. Donc Houdan c’est une heure de passée, presque la moitié du chemin parcourue, bref…

Revenons à Marolles : certains amis de cette époque (96) sont morts. Les fêtes à Marolles, c’est loin. Ciao la jeunesse, fin d’une époque. Alors là, je m’ interroge : ce 2e chapitre est-il lui aussi une « prolepse pseudo-préparatoire » ? Tout à coup, une révélation : ces deux premiers chapitres ne sont en rien des « pseudo prolepses » : ce sont des prolepses tout court ! Ils sont pleins de morts, de gens qui n’existent plus, de revenants, de fantômes. La narratrice suit les routes de sa mémoire, les méandres du passé qui la conduisent petit à petit vers une temporalité de plus en plus ancienne. Le cheminement se fait, progressivement, difficilement. On y arrive, laissons-lui le temps. Chapitre 3 : autre pause encore, la pause-cigarette à Caen près d’un cimetière…

C’est le quatrième chapitre qui abordera la mort du petit frère de Julie Wolkenstein : Eric. En effet, l’enfant est mort d’un traumatisme crânien dans des conditions qui sont restées assez mystérieuses. Le début du chapitre est assez direct : la narratrice se jette à l’eau. Elle va mener l’enquête sur ce qui a pu se passer ce soir-là, alors que l’enfant était confié à une nurse. Elle passe tout au crible : l’album de photos de famille, les lettres, les articles de son père, l’académicien Bertrand Poirot-Delpech chroniqueur au journal Le Monde. Elle confronte les dates, observe les photos, s’interroge, interroge, jusqu’au jour où elle reçoit un mail qui va donner lieu à une rencontre inattendue...

« La Route des Estuaires » est un texte magnifique sur le temps qui passe, les gens aimés que l’on perd, le frère qui a très peu vécu. Il m’a touchée par sa pudeur qui va ici, étonnamment peut-être, de pair avec une volonté de tout dire, d’être précis, exact comme si cette précision et cette exactitude allaient inévitablement permettre d’accéder à l’élucidation du mystère. Dans le fond, c’est une quête de la vérité qui s’accompagne de l’intime conviction qu’il est impossible d’y accéder et que c’est certainement mieux comme cela.

Encore une fois, un grand texte !

 

mercredi 16 août 2023

Exit le fantôme de Philip Roth

Folio
★★★★★

 Nathan Zuckerman, écrivain septuagénaire et alter ego de l’auteur, s’est retiré volontairement sur les hauteurs des Berkshires dans une petite maison à la campagne : pas de télévision, ni de cinéma, ni de téléphone portable, ni d’ordinateur. Il lit, écrit, se baigne dans un étang, se promène dans les bois. Il est seulement retourné une fois en ville pour être opéré d’un cancer de la prostate et il y revient, 11 ans plus tard, afin de recevoir une injection de collagène qui permettrait de limiter une incontinence très handicapante. Or, en arrivant à New York où il vivait auparavant, il se sent complètement déphasé. Il ne reconnaît pas la ville, trouve les gens bizarres : il est devenu un étranger dans ces lieux qui lui étaient si familiers. En sortant de l’hôpital, il rencontre Amy Bellette, une femme qui a partagé autrefois la vie d’un grand écrivain : E.I. Lonoff. Elle qui était si belle a beaucoup vieilli et est gravement malade. Zuckerman est très troublé de la voir dans cet état. Les repères du vieil auteur se dissolvent : les lieux ont changé, les gens ne ressemblent plus à ce qu’ils étaient, certains sont morts.

En achetant un journal, il découvre l’annonce d’un jeune couple d’écrivains qui veulent échanger leur appartement new-yorkais plein de livres contre une maison à la campagne. Pourquoi Zuckerman les appelle-t-il, lui qui ne voulait plus mettre un pied en ville ? Il ne se comprend même plus lui-même et encore moins lorsqu’il se surprend à tomber amoureux de la jeune femme. Lui, amoureux ? Mais quelle folie ! Il pensait être à l’abri du coup de foudre…

« Exit le fantôme » est un roman étrange, fascinant et dérangeant. Roth parle de façon très crue de la vieillesse, de la maladie, de la déchéance physique, de ce corps qui devient laid, de la mémoire qui vacille, des mots qui ne viennent plus et que l’on cherche sans cesse. Il dit ce que c’est que de vivre diminué, dépendant, comme dépossédé de ce que l’on a été. La mélancolie qui se dégage de ce texte est immense.

Roth décrit de façon magistrale la douleur profonde d’un homme qui tombe amoureux d’une femme au point de la désirer follement alors que son corps ne répond plus et que sa virilité est perdue. C’est l’humiliation, la honte. Alors Nathan Zuckerman écrit les scènes qu’il n’a pas vécues, qu’il ne peut plus vivre. Il les fantasme. Il compense le réel par l’imagination. C’est indiscutablement un des pouvoirs des mots : faire exister ce qui n’est pas.

Comme toujours dans l’oeuvre de Roth, il est question de littérature, de ce qu’elle est devenue : une marchandise comme une autre. Il aborde le sujet de l’écriture, du statut de l’écrivain prié de respecter le politiquement correct sous peine d’être conspué et banni à jamais si un élément de sa biographie s’accorde mal avec l’air du temps.

La construction du roman peut paraître étrange : on semble errer d’une rencontre à l’autre, d’un thème à l’autre dans de longues et fascinantes digressions mais cette errance mime la perte des repères de Zuckerman qui ne reconnaît ni les lieux, ni les gens, se trompe d’heure, égare ses papiers, oublie ses rendez-vous, doute, hésite à partir…

Toutes les obsessions de Roth sont là : la vieillesse, la sexualité, la littérature, la politique, le monde moderne. « Exit le fantôme » est une espèce de roman total car non seulement il embrasse de nombreux thèmes mais il est aussi multiforme : on y trouve des lettres, de longs échanges théâtraux...

Roth semble ici vouloir faire le point sur ce qu’il est devenu dans un monde qu’il juge perdu, superficiel, matérialiste.

Un texte magnifique, impressionnant d’humanité.  


 

lundi 7 août 2023

La Péremption de Nicolas Fargues

Éditions P.O.L
★★★★★

 J’avoue que depuis le magnifique « Tu verras » publié en 2011, j’avais un peu perdu de vue Nicolas Fargues qui nous revient en pleine forme avec son dernier titre : « La Péremption ». Je ne sais pas si c’est la cinquantaine qui l’a mis en verve mais franchement, ce dernier texte m’a impressionnée par la finesse de ses analyses et surtout par son écriture que j’ai trouvée remarquable.

Il met en scène une prof d’art plastique, Zélie, divorcée, qui en a marre de bosser et qui, grâce à un héritage, compte prendre sa retraite avant l’âge légal. Elle n’a plus beaucoup d’illusions, se sent comme un OVNI parmi les nouvelles générations d’élèves « hermétiques aux temps morts, au silence, aux conjonctions de subordination et aux textes de plus de six lignes » mais comme elle n’est pas du genre à vouloir vivre dans les conflits, elle écoute les jeunes et les prend là où ils sont même si elle a constamment l’impression de leur être complètement étrangère : « Que nous restait-il d’indiscutablement commun, à eux et à moi ? En dehors des besoins physiologiques et des fonctions corporelles de base, je ne voyais pas trop. » Même chose avec son fils de 22 ans : pas de conflit, on laisse dire et basta. « Avec Furio, ma règle était simple : ne pas aborder les sujets qui m’intéressaient. » Contrairement à son ex-mari, elle ne se met pas en colère contre « une société perméable comme jamais au matérialisme, à l’infantilisme, et à la vulgarité. » Elle se sent dépassée, résignée mais refuse d’entrer en guerre. Elle fait avec… Sage philosophie finalement… Quant à son travail artistique, il semble s’éteindre doucement… Elle se lancerait bien dans une « frise sensorielle » mais à quoi bon ?

 Lors d’une soirée, elle va rencontrer un jeune homme d’origine congolaise de vingt ans son cadet, un certain Shock qui va devenir son amant. Elle ne sait pas bien pourquoi elle l’intéresse mais elle compte bien profiter de ce nouvel amour. Bon, c’est sûr, ils ne partagent pas grand-chose mais on ne va pas se prendre la tête, on n’a plus vraiment le temps de se poser des questions…

Nicolas Fargues excelle à faire le portrait de notre époque : conflits de générations, nouvelles relations amoureuses, sexualité, amitié, réseaux sociaux, féminisme, rapports inter-culturels, racisme, altérité, langage, art, vieillesse…

Plein d’humour, gentiment ironique, sans illusions, son propos est toujours extrêmement juste et très lucide et en même temps, mélancolique sans être jamais nostalgique… J’ai évidemment adoré ce texte d’une grande intelligence et si bien écrit.

Et inutile de vous dire que je n’ai eu aucune difficulté à m’identifier au personnage principal !