Éditions Phébus
★★★★★ (J'ai beaucoup aimé)
Il
est des livres qui, dès les premières pages, donnent
à entendre une petite musique pas ordinaire. On ne sait pas
exactement d'où elle vient : peut-être émane-t-elle de
l'originalité de l'écriture, de l'organisation du récit, du
portrait des personnages ou bien d'ailleurs encore. En tout cas,
cette petite musique, c'est la première fois qu'on l'entend, qu'on
la goûte, elle pique notre curiosité, retient toute notre attention
et finit par nous lier, et pour longtemps, à l'oeuvre qu'elle nous
dévoile...
Par
où commencer ?... Car il n'y a pas à proprement parler de
commencement ou alors, ils sont pluriels et se rattachent à
différentes personnes, époques et lieux. « C'est en vain
qu'on cherche le début des choses, on ne trouve jamais qu'une étape
et on l'appelle « début », parce qu'on ne distingue que
ce qui a déjà commencé ; nul ne conteste que la première note
n'existe que par le silence qui la précède, mais personne ne peut
dire avec certitude quand ce silence commence. »
Pour
tenter de « commencer » tout de même, prenons la
première page du roman : un certain « Paul Crespen
écrivit à Londres dans sa maison de Tyndale Terrasse »
trois Suites pour violoncelles. Ces trois Suites « furent
écrites pour Viktor Sobolevitz et celui-ci ne les joua pas. »
Cet
homme qui ne joua pas les suites de Crespen, on le découvre chez
lui, à Paris, dans son appartement aux volets clos. Il est seul, vit
coupé du monde, attend la mort mais, avant cela, la visite
d'un homme, un critique musical, un certain Rémy Nevel.
Ce
Rémy Nevel (je ne l'ai jamais senti ce personnage), on le surprend
au réveil. Il vient de partager sa nuit avec une femme, une certaine
Clarisse Villain, violoncelliste, formée précisément auprès du
grand maître Viktor Sobolevitz, qui a toujours refusé de former qui
que ce fût.
Alors,
évidemment pour Rémy Nevel, cette Clarisse Villain est tout de même
un objet de curiosité. Pourquoi elle ? Qu'a-t-elle de si
extraordinaire pour que le grand maître, l'ermite misanthrope au
sale caractère, ait accepté de la rencontrer alors qu'elle n'était
qu'une gamine et de lui donner des cours pendant douze ans ? À
elle. À elle seulement. Pourquoi ? Et pourquoi cela
intéresse-t-il tant le critique ? Que cherche-t-il ?
Qu'attend-t-il d'elle (Clarisse) et de lui (Sobolevitz) ?
Maintenant,
faisons la connaissance de Clarisse, je veux dire de Clarisse petite,
pour comprendre. Repartir en arrière, à l'un des commencements de
cette histoire, de ces histoires qui vont se mêler, s'imbriquer au
point de n'en former qu'une. Il nous faut rencontrer cette petite de
cinq ans qui entend le son quelques secondes à l'avance et qui joue
sous l'escalier parental avec un meuble d'horloger pour faire de la
musique. Qu'est-ce qu'on va en faire de cette môme muette bourrée
de tics et de tocs, qui tient à l'envers son premier cahier de
solfège et travaille toute seule des symphonies ? se demandent
ses pauvres parents étrangers à ce monde de la musique. Consulter
un spécialiste, le plus vite possible… Oui, c'est la solution...
Trois
destins, trois histoires, trois personnages complexes et forts dont
on suit les parcours sinueux, douloureux, trois personnages qui se
cherchent, s'évitent, se complètent et se nourrissent l'un de
l'autre.
Au-delà
de ce trio étonnant et très finement analysé, ce roman étonne par
sa forme.
Tout
d'abord, il y a ce « tu » qui surprend le lecteur dès la
page 27, un « tu » qui semble exprimer la grande
proximité entre l'auteure et ses personnages dont elle sait les
états d'âmes, les secrets, les moindres désirs, un « tu »
qui nous conduit au coeur de leur être, de leur mal-être, de leurs
tourments. Si ce « tu » m'a gênée au début (mais
de qui est-il question ici ? d'elle, de lui, d'un autre ?),
très vite, il devient indispensable, la seule et unique façon
d'aborder les personnages dans leur intimité, leur mystère, leur
ambiguïté.
Et
puis, il y a aussi ce récit non linéaire, ces retours en arrière
qui permettent de comprendre qui sont ces personnages, pourquoi ils
sont devenus ce qu'ils sont, quel terrible événement les a
construits, de quelle souffrance ils sont nés. Tout se met en place
par petites touches, jusqu'à la fin. Le puzzle prend forme,
l'histoire prend sens.
Enfin,
et c'est la première fois que je vis cela, lire Trois
concerts, c'est plonger dans le monde de la musique, la vivre
de l'intérieur au moment même où elle se joue, la sentir, la
comprendre. Pour cela, l'auteure (qui n'est pas musicienne) s'est
plongée (pendant plus de sept années) dans de très nombreux écrits
de musiciens, a écouté leurs témoignages et elle a traduit leur
vécu, leur quotidien, leurs sentiments, leurs impressions,
l'enseignement qu'ils ont suivi, leurs expériences, leurs galères,
leur carrière, leurs compromis, leurs plus grandes joies et
franchement, c'est bluffant de vérité!
On
découvre un monde, un milieu : celui des musiciens qui doivent
vivre, gagner de l'argent, accepter de se vendre (ah la com!), de se
produire dans des concerts parfois « alimentaires ». La
rencontre entre le monde immatériel, idéal et pur qui est le leur
et les préoccupations bassement matérielles auxquelles ils sont
confrontés crée un choc terrible, une dualité presque
insupportable mais certainement inévitable pour ceux qui tentent de
vivre de leur art. Mais tout le monde n'y parvient pas…
Et
surtout, l'auteure sait traduire la musique par des mots : on y
est, on la vit, on l'entend de l'intérieur, on l'aborde du point de
vue de celui qui la joue. Je n'avais jamais ressenti une telle
proximité avec la musique à la lecture d'un texte littéraire.
Quelle justesse et quelle puissance d'expression !
Lola
Gruber est douée, vraiment très douée. Il ne faut surtout pas
passer à côté de ce texte incroyable dont, à mon avis, on n'a pas
assez parlé. Mais il est encore temps de se rattraper !
Quant
à moi, je suis plus que conquise.
On
tient là une grande, c'est certain !
ça me semble assez confus... mais je note car le sujet m'intéresse énormément.
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