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samedi 29 janvier 2022

Madame Hayat d'Ahmet Altan

Éditions Actes Sud
★★★★★

 Un bien beau roman d’apprentissage, très classique dans sa forme, que ce « Madame Hayat » ! Nous sommes dans un pays qui n’est pas nommé mais que l’on devine être la Turquie et qui sombre peu à peu dans la dictature : terreur, arrestations arbitraires, violence, confiscation des biens…

Fazil, jeune étudiant en lettres, socialement déclassé après la mort de son père et donc sans le sou, trouve un petit travail de figurant pour une émission de télé. Il y rencontre une femme plus âgée que lui et qui pourrait être sa mère : Madame Hayat, une femme plantureuse aux cheveux d’or, à la robe de miel et au parfum de lys… Il tombe fou amoureux d’elle, de cette femme dont il ne sait rien et qui le fascine... Si elle n’est pas une intellectuelle, elle a l’intelligence de la vie : elle n’a pas lu les grands auteurs mais connaît parfaitement bien les moeurs des fourmis, des mantes religieuses, d’Hannibal, des dauphins, des araignées, des lions, des cicindèles, de Shakespeare et des termites. En effet, Mme Hayat aime les documentaires. Elle aime aussi manger et faire l’amour. Tout est grâce chez elle : sa façon de marcher, de danser, d’être. Tout est volupté, sensualité. Elle est une femme libre, insaisissable, dont le narrateur ne parviendra finalement jamais à percer totalement le mystère. « Tout ce qu’elle désirait, elle le désirait avec passion : une lampe, danser, moi, une pêche, faire l’amour, un succulent repas... » Et finalement, auprès de cette femme, le narrateur échappe momentanément à la chape de plomb qui écrase son pays… « Mme Hayat était libre. Sans compromis ni révolte, libre seulement par désintérêt, par quiétude, et à chacun de nos frôlements, sa liberté devenait mienne. » Mme Hayat est une femme qui a vécu. Mais quoi exactement ? Rien que pour elle, ce roman vaut la peine d’être lu : c’est un personnage magique, plein de sagesse, de fantaisie, qu’on a beaucoup de peine à quitter !

Quand on sait que ce roman a été écrit en prison - en effet, alors qu’il était rédacteur en chef du quotidien Tarf, Ahmet Altan fut enfermé plusieurs années car soupçonné d’avoir soutenu le coup d’État militaire de juillet 2016 contre Erdogǎn (il fut libéré en avril 2021)- on comprend que cette femme est la lumière qui a permis à l’auteur de tenir contre l’adversité, la preuve que la littérature se moque des cellules, des barreaux, des chaînes et les fait voler en éclat. Vous pouvez m’emprisonner, mais vous ne pouvez pas me garder ici. Comme tous les écrivains, je suis magicien. Je peux traverser vos murs sans mal.” écrira l’auteur en prison.

Une ode magnifique à la littérature et à l’amour…

Un bel hommage aux pouvoirs qui sont les leurs...


 

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