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mercredi 6 avril 2022

L'instant précis où Monet entre dans l'atelier de Jean-Philippe Toussaint

Éditions de Minuit
★★★★★

 Ce qui frappe chez Toussaint, c’est toujours la clarté du style, la transparence du propos, la précision du détail. Il tente ici de nommer, de décrire, de dire une traversée, une transition : le passage de la vie à l’art, du commun au sacré, un moment de basculement, hors du temps, de l’espace, de l’Histoire où le créateur s’apprête à créer. L’instant est fugace, éphémère. Il faut être vif « je veux saisir ce moment-là », précis « où il pousse la porte de l’atelier », nuancé « dans le jour naissant encore gris ». Saisir ce moment relève du miracle. Parce qu’il faut dire ce que personne ne voit. Capturer l’instant magique, le passage à l’acte créatif, c’est révéler le sublime, réitérer le miracle. L’auteur « veut ». Rien ne dit qu’il pourra. C’est un pari. Et ce « je veux » a quelque chose de performatif. À ce moment-là, l’écrivain écrivant se situe lui-même à une frontière, à un seuil, à l’aube même de son texte. Rien n’a commencé, rien n’est arrivé. Pour lui aussi. Rien n’est écrit. Il « veut » follement. Fabuleux désir. Énergie en fusion. Et pour saisir l’essence de Monet, il va passer par son « je » de créateur -l’homme à l’aube, dans le silence- à un « nous ». Sans que l’on s’en rende compte, il aura suffi d’une page à l’auteur pour nous entraîner, nous lecteurs, dans l’atelier « de l’autre côté de la porte » et nous faire témoins du miracle de l’art, initiés. Toussaint s’est fait passeur. Il nous porte, nous ouvre les yeux devant « les nuances de bleus », « la lumière déclinante », « l’apaisement du monde ». Nous observons alors quelque chose de sacré. Le prodige se réalise : la vie déposée sur la toile dans une fabuleuse « opération de transsubstantiation », une « conversion de la substance éphémère et palpitante de la vie en une matière purement picturale. » Et du monde, déjà, nous avons glissé dans la toile, de l’autre côté, « paysages d’eau et de lumière, fragments de branches inclinées de saules pleureurs, reflets bleutés, ciels, transparences. » Matière à jamais inachevée, toujours vivante, mouvante, en déplacement.

Par les mots, le miracle a lieu. Et nous en sommes les témoins. Rien ne nous a été totalement dévoilé et pourtant, tout est clair.

Le mystère demeure.

Mais nous avons vu.


 

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