Nathan Zuckerman, écrivain septuagénaire et alter ego de l’auteur, s’est retiré volontairement sur les hauteurs des Berkshires dans une petite maison à la campagne : pas de télévision, ni de cinéma, ni de téléphone portable, ni d’ordinateur. Il lit, écrit, se baigne dans un étang, se promène dans les bois. Il est seulement retourné une fois en ville pour être opéré d’un cancer de la prostate et il y revient, 11 ans plus tard, afin de recevoir une injection de collagène qui permettrait de limiter une incontinence très handicapante. Or, en arrivant à New York où il vivait auparavant, il se sent complètement déphasé. Il ne reconnaît pas la ville, trouve les gens bizarres : il est devenu un étranger dans ces lieux qui lui étaient si familiers. En sortant de l’hôpital, il rencontre Amy Bellette, une femme qui a partagé autrefois la vie d’un grand écrivain : E.I. Lonoff. Elle qui était si belle a beaucoup vieilli et est gravement malade. Zuckerman est très troublé de la voir dans cet état. Les repères du vieil auteur se dissolvent : les lieux ont changé, les gens ne ressemblent plus à ce qu’ils étaient, certains sont morts.
En achetant un journal, il découvre l’annonce d’un jeune couple d’écrivains qui veulent échanger leur appartement new-yorkais plein de livres contre une maison à la campagne. Pourquoi Zuckerman les appelle-t-il, lui qui ne voulait plus mettre un pied en ville ? Il ne se comprend même plus lui-même et encore moins lorsqu’il se surprend à tomber amoureux de la jeune femme. Lui, amoureux ? Mais quelle folie ! Il pensait être à l’abri du coup de foudre…
« Exit le fantôme » est un roman étrange, fascinant et dérangeant. Roth parle de façon très crue de la vieillesse, de la maladie, de la déchéance physique, de ce corps qui devient laid, de la mémoire qui vacille, des mots qui ne viennent plus et que l’on cherche sans cesse. Il dit ce que c’est que de vivre diminué, dépendant, comme dépossédé de ce que l’on a été. La mélancolie qui se dégage de ce texte est immense.
Roth décrit de façon magistrale la douleur profonde d’un homme qui tombe amoureux d’une femme au point de la désirer follement alors que son corps ne répond plus et que sa virilité est perdue. C’est l’humiliation, la honte. Alors Nathan Zuckerman écrit les scènes qu’il n’a pas vécues, qu’il ne peut plus vivre. Il les fantasme. Il compense le réel par l’imagination. C’est indiscutablement un des pouvoirs des mots : faire exister ce qui n’est pas.
Comme toujours dans l’oeuvre de Roth, il est question de littérature, de ce qu’elle est devenue : une marchandise comme une autre. Il aborde le sujet de l’écriture, du statut de l’écrivain prié de respecter le politiquement correct sous peine d’être conspué et banni à jamais si un élément de sa biographie s’accorde mal avec l’air du temps.
La construction du roman peut paraître étrange : on semble errer d’une rencontre à l’autre, d’un thème à l’autre dans de longues et fascinantes digressions mais cette errance mime la perte des repères de Zuckerman qui ne reconnaît ni les lieux, ni les gens, se trompe d’heure, égare ses papiers, oublie ses rendez-vous, doute, hésite à partir…
Toutes les obsessions de Roth sont là : la vieillesse, la sexualité, la littérature, la politique, le monde moderne. « Exit le fantôme » est une espèce de roman total car non seulement il embrasse de nombreux thèmes mais il est aussi multiforme : on y trouve des lettres, de longs échanges théâtraux...
Roth semble ici vouloir faire le point sur ce qu’il est devenu dans un monde qu’il juge perdu, superficiel, matérialiste.
Un texte magnifique, impressionnant d’humanité.
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