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jeudi 12 octobre 2023

Sarah, Susanne et l'écrivain d'Éric Reinhardt

Éditions Gallimard
★★★★★
coup de coeur!

 Dans une émission de radio (laquelle, je ne sais plus), Éric Reinhardt explique qu’il y a quelques années, il a été contacté via Facebook par une femme qui voulait lui raconter ce qui lui était arrivé, une histoire « douloureuse et silencieuse » d’après ses mots. Piqué par la curiosité et très troublé par une scène saisissante décrite par l’inconnue, l’auteur accepte d’échanger avec elle.

S’il a trouvé un sujet d’écriture, il lui manque encore l’essentiel : la forme. Il a alors l’idée de mettre en scène un auteur, un Reinhardt bis, lisant à Sarah, la mystérieuse correspondante, l’histoire qu’il a écrite à partir de ce qu’elle lui a confié : l’auteur modifie les noms et Sarah, présente elle aussi dans l’oeuvre, a dorénavant une espèce de double littéraire : Susanne.

Troublante et intéressante mise en abyme...

Sarah écoute alors l’histoire que nous lisons, l’histoire de Susanne, de son double...

Bien entendu, le créateur est là, troisième personnage : il décide, modifie, tronque, ajoute, mélange, fait sa cuisine, tord le cou au « réel », à l’histoire de Sarah et quand cette dernière (j’allais écrire « la vraie » mais est-elle plus vraie que Susanne dans le fond?) juge que certaines modifications vont trop loin, sont déplacées ou perturbantes, elle intervient : pourquoi ce choix ? demande-t-elle.  L’auteur se justifie. Il a son mot à dire.

Doucement, le roman se construit devant nous et nous en entr’apercevons les coulisses.

Emportés par la fiction, nous, lecteurs, sommes régulièrement (et brutalement) ramenés au « réel » par les interventions de Sarah qui donne des précisions, nuance, s’étonne, demande une correction… Un délice que ces jeux autour du « réel » et de la fiction...

Bref, le lecteur, quant à lui, glisse constamment de Sarah à Susanne et de Susanne à Sarah, en oubliant parfois qu’elles sont deux, dans cette sororité dont elles deviennent le symbole....

Il est intéressant, bien sûr, de voir le travail de l’auteur à l’oeuvre : que modifie-t-il ? Pourquoi ? Comment ? Dans quel but ? Tout ça est évidemment très original mais j’avoue que moi, ce qui m’a complètement transportée dans ce roman, ce sont les scènes. Elles sont incroyables, puissantes, inattendues, déroutantes, minutieusement décrites à tel point que l’on bascule dans l’univers du roman, on perd pied, on devient le personnage, on entre pleinement, vraiment, dans la fiction. C’est extrêmement perturbant et follement excitant. On en ressort épuisé. Ravi mais épuisé. Cela m’est déjà arrivé en littérature mais rarement à ce niveau là. Je pourrais vous donner des exemples précis mais je préfère ne pas divulgâcher l’histoire, cela risquerait de rompre la force du texte. « Je me documente beaucoup, parce qu’il m’est insupportable d’être approximatif, imprécis, invraisemblable. Le pacte que l’on passe avec le lecteur est très fragile. J’aspire à la magie, à pouvoir créer des sortes de petits miracles de lecture. Comme un illusionniste, comme si je créais des machines à sortilèges. » Je suis, pour ma part, complètement tombée dans l’illusion, j’ai été happée, hypnotisée au point de sentir un malaise physique à la lecture de certaines scènes particulièrement éprouvantes.

Je n’avais jamais lu de texte d’Eric Reinhardt et j’avais même à son égard une petite réserve liée à deux trois retours négatifs. Là, je suis conquise. Absolument. J’aime peut-être un peu moins la fin mais les grandes scènes génialissimes me font oublier le reste !

Un sacré bon moment de lecture ! Un portrait de femme(s) inoubliable… (bon, je n’ai rien raconté de l’histoire et c’est très bien comme ça) (ne lisez évidemment pas la 4e de couv’) (quelle chance vous avez de ne pas avoir encore lu ce roman!!!)


 

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