Editions Marguerite Waknine
✦✦✦✦✧ (J'ai beaucoup aimé)
Je
viens vous parler d'un livre poétique, un livre d'art, aux feuillets
non reliés que j'ai trouvé vraiment très beau et dont le titre est
La robe de mariée.
Cette
robe existe, elle est celle de Marguerite Sirvins née le 29 décembre
1890 à Badaroux en Lozère. A l'âge de trente-cinq ans, la jeune
femme quitte sa région et s'installe à Paris pour suivre une
formation de modiste. Ses premiers troubles psychiatriques
apparaissent, elle sombre dans une profonde dépression et tente à
plusieurs reprises de se suicider. Inquiètes, ses sœurs restées à
Mendes la font revenir mais Marguerite s'enfonce encore davantage
dans sa maladie.
Le
7 juillet 1931, à l'âge de 41 ans, elle est internée à l'hôpital
psychiatrique de Font d'Aurelle à Montpellier puis à
Saint-Alban-sur-Limagnole. Elle souffre d'hallucinations, elle est
agressive, paranoïaque.
Plusieurs
années passent, elle semble se calmer. On est en 1944 et elle s'est
lancée dans différents travaux manuels : broderie, couture,
dessin, aquarelle, peinture. En 1955, elle se passionne pour la
confection d'une robe de mariée, persuadée qu'un prince charmant va
bientôt venir la chercher pour l'épouser. A partir des fils tirés
des vieux draps de l'hôpital, inlassablement, chaque jour, elle
bâtit son œuvre, au crochet, avec des aiguilles à coudre. Elle
invite ses voisines et le personnel hospitalier à son mariage
imaginaire, à ses noces de rêve. Son amie, Mademoiselle Jouve,
écrit dans le petit journal de l'hôpital : « Mademoiselle
Sirvins nous annonce son mariage le mois de Février. Elle se fait
une belle robe de dentelle blanche à notre maison neuve. On est
invité à cette noce, nous nous amuserons bien ce jour-là. Elle
crie nuit et jour. Je ne sais pas si son mari dormira bien. »
Marguerite
mourra en 1957 sans jamais avoir embrassé celui qu'elle attendait
dans ses rêves...
Lorsque
Jean Dubuffet constituera sa collection d'art brut, il s'intéressera
à l'oeuvre de Marguerite Sirvins et à sa robe de mariée qu'il est
possible de voir aujourd'hui dans la Collection de l'art brut de
Lausanne.
Revenons
au petit livre dont je vous ai parlé : l'auteur, Katherine L.
Bataiellie fait de Marguerite la narratrice de son récit. Elle pense
ou peut-être parle à voix basse en travaillant sur sa robe. Je
l'imagine concentrée, légèrement penchée vers l'avant : « Il
me trouvera ayant longtemps marché comme une princesse abandonnée
dans son château et j'aurai déjà revêtu ma robe de mariée sinon
comment me reconnaîtrait-IL et serai prête » Elle se perd
dans ses rêves puis s'enfonce dans d'autres songes encore plus
profonds, plus insensés : « Il m'emmènera loin
d'ici dans le lieu inconnu d'où IL sera venu et le lieu m'est égal
Il me donnera les clefs de notre maison sans bruits où j'habiterai
ses murs seront épais et solides la lumière entrera à nouveau par
les fenêtres » Elle murmure ses craintes, ses peurs :
les autres femmes lui cachent aiguilles et ciseaux, se moquent
d'elle, crient parce qu'elles sont jalouses, sa mère ne lui écrit
pas, elle a froid. Pour supporter tout cela, elle imagine son bonheur
imminent, la cérémonie, sa première nuit auprès de lui, son
voyage de noces. Elle se croit jeune, ses papiers mentent, tout le
monde ment.
La
prose poétique de Katherine L. Battaiellie est splendide et l'on
suit le monologue intérieur de cette femme, folle de désir pour un
mari qui n'existe pas, pour un mariage qui n'aura pas lieu, un enfant
qu'elle n'enfantera pas, une vie inventée, imaginée, rêvée qui ne
sera jamais, une quête d'un bonheur en forme de mirage qu'elle
poursuit inlassablement. Et ce monologue fou, insensé, ce flot de
paroles d'amour et d'espoir est poignant et terrible. Car nous savons
que cette longue quête ne mènera à rien sinon à la mort.
Je
me retiens de recopier ici la dernière page que j'ai lue et relue
tant de fois tellement je la trouve belle, émouvante de sincérité
et de confiance. Elle y croit, jusqu'au bout, elle est portée par le
désir d'être, de devenir enfin et, en attendant, elle se prépare,
elle brode comme une Pénélope folle d'amour. Elle sent qu'elle n'a
plus qu'à tendre la main et à fermer les yeux...
Katherine
L. Bataiellie a su donner une voix à Marguerite et c'est magnifique
d'entendre ses mots, bouleversants de vérité et d'émotion. Un très
beau texte...
Un livre poignant dont "Les Curieux Polyglottes" feront une mise en scène en 2018. lescurieuxpolyglottes@gmail.com
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