Rechercher dans ce blog

jeudi 28 février 2019

Des hommes couleur de ciel d'Anaïs Llobet


Éditions de l'Observatoire
★★★☆☆☆ (un avis mitigé)


La Haye, Pays-Bas, juin 2017 : un attentat vient d'être perpétré, à l'heure du déjeuner, dans la cantine d'un établissement scolaire, le lycée où travaille Alissa Zoubaïeva, professeur de russe originaire de Tchétchénie.
Très vite, les informations tombent : c'est un gamin de l'école qui a posé la bombe, un Tchétchène. Alissa pense à Kirem Akhmaïev : comment a-t-elle pu ne rien voir, ne rien deviner ? Le frère de Kirem a été arrêté : il s'appelle Oumar et au moment de l'attentat, il se trouvait avec un ami dans un café où, après avoir passé son bac, il a trouvé du travail. Oumar vit une double vie et porte deux noms : pour sa famille, qui l'a rejoint aux Pays-Bas, il est Oumar le Tchétchène mais pour les autres, il est Adam, le Jordanien, celui qui aime les hommes. Si sa famille apprenait quoi que ce soit de cette double vie, ce serait pour lui la mort : être homosexuel en Tchétchénie est une honte absolue et vaut la mort. D'ailleurs, dans ce pays, il n'existe aucun mot pour désigner l'homosexualité sinon une périphrase : stigal basakh vol stag « homme couleur de ciel ». C'est pourquoi Oumar se fait le plus discret possible.
Il est arrêté car la police se demande dans quelle mesure il est impliqué dans cette affaire…
Nous suivons alternativement le point de vue d'Alissa et celui d'Oumar, ce qui nous permet de comprendre de quelle façon ils vivent de l'intérieur les événements : j'ai trouvé assez intéressante la réaction d'Alissa lorsqu'elle apprend que son ancien élève Oumar est homosexuel. En effet, cette femme qui vit depuis plusieurs années à La Haye a encore du mal à accepter ce fait. On sent chez elle tout le poids des traditions qui l'empêchent encore de penser librement.
De même, on perçoit assez précisément la façon dont Oumar comprend que s'il sort de prison, il sera assassiné : finalement, dans son cas, la prison est un lieu terrible mais dans lequel paradoxalement, il se sent protégé.
Le roman met bien en évidence le fait qu'il est difficile d'échapper à sa culture d'origine, bien compliqué de s'intégrer dans un nouveau pays, quasiment impossible, au fond, d'être soi-même dans un pays comme la Hollande qui se veut pourtant libre et ouvert.
L'auteur (actuellement journaliste à Chypre pour l'AFP) a travaillé cinq ans en Russie et a séjourné en Tchétchénie où elle s'est intéressée aux persécutions que vivent les homosexuels. Elle connaît donc très bien le sujet et on le sent à la lecture de ce texte.
Si j'ai lu ce roman avec intérêt, j'avoue avoir eu du mal à « entrer dedans ». J'ai trouvé en effet que certaines situations sonnaient faux ou n'étaient pas crédibles, par exemple la réaction des enseignants au moment de l'attentat : je n'imagine pas une seule seconde des professeurs qui, après un attentat dans leur établissement, seraient « au meilleur de leur forme, galvanisés par les circonstances exceptionnelles, grisés d'être au coeur de l'actualité internationale. » J'avoue même avoir été un peu choquée par ces phrases ! Je m'étonne aussi de la naïveté d'une remarque comme celle-ci, toujours au sujet des enseignants : « La liste des élèves tués fut commentée abondamment. Certains regards s'embuèrent de larmes, quand bien même ils s'étaient plaints à chaque cours de l'élève trop bavard, paresseux, insolent, bruyant... »
Par ailleurs, la réaction de l'ami d'Alissa, Hendrik , me paraît tellement stupéfiante que j'ai vraiment eu beaucoup de mal à y croire, même en partant du postulat que cet homme est un abruti complet : immédiatement après avoir annoncé l'attentat à son amie, il lui dit : « N'y pense pas trop… Essaie de te reposer. Fais-toi un thé. » (!) avant de lui rappeler qu'ils doivent se retrouver tous les deux le soir même au restaurant ! (Ben voyons!) Et il l'attend toute une soirée dans ledit restaurant, visiblement sans bien comprendre pourquoi elle ne vient pas... Elle va même jusqu'à devoir s'excuser « Pardon, c'était compliqué hier. » (Ah bon pourquoi ? - Quel bel euphémisme, s'il en est!!!) Le même personnage, Hendrik, arrive et découvre la porte de l'appartement de son amie complètement pulvérisée par la police (je devrais dire l'absence de porte d'ailleurs) et le voilà demandant à Alissa « -Tu t'es fait cambrioler ? » Je rêve ! (Si la situation n'était pas tragique, on aurait envie de rire) Et le même individu, après avoir dégusté une tarte, interroge la jeune femme : « Qui de ses élèves était mort ? Étaient-ce ses préférés ? » J'ai du mal à croire à de telles réactions. Vous me direz que ce sont des détails mais ils m'ont vraiment empêchée d'entrer pleinement dans ce texte.
Je m'interroge aussi beaucoup sur le jugement final : Alissa écope « d'un an avec sursis, avec interdiction à vie d'enseigner »… MAIS POURQUOI ??? QU'A-T-ELLE FAIT ??? QUI PEUT M'EXPLIQUER ??? « La cour avait estimé que la dernière rédaction de Kirem, si Alissa l'avait lue à temps, aurait pu éviter le massacre. » (????) Promis, je corrigerai mes copies dans les temps dorénavant ! Trêve de plaisanterie, expliquez-moi, je n'ai peut-être pas tout compris, mais de quelle faute s'est-elle rendue coupable ? De n'avoir pas vu un de ses élèves se radicaliser ? Est-ce si simple ?
Encore une fois, ces éléments et d'autres me paraissent tellement invraisemblables qu'ils m'ont empêchée d'adhérer pleinement à cette histoire.
Je n'ai pas non plus senti vraiment l'émotion (et dans une telle situation elle doit forcément être immense!) des personnages principaux ou secondaires ou du moins, pas suffisamment.
Bon, serait-ce que l'enseignante que je suis ne s'y est pas vraiment retrouvée ? En tout cas, mon impression reste un peu mitigée sur ce roman. Pour être honnête, je pensais qu'avec la matière dont disposait l'auteur, sa connaissance de la Tchétchénie et des persécutions que subit la population homosexuelle, ce texte allait me toucher, m'émouvoir davantage... Du reste, ce n'est que mon petit avis parmi une foule de chroniques unanimement élogieuses...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire