Éditions Gallimard
traduit du hongrois par Joëlle Dufeuilly
★★★★★☆
Étrange,
oui, c'est l'adjectif qui me vient quand je tente de définir ce long
et lent roman de György
Dragomán, grand écrivain
hongrois encore peu connu en France. Oui, étrange et beau. Envoûtant
même, si l'on accepte de s'y plonger, de prendre son temps, de
s'habituer à cette prose toute simple et à cette quasi-absence
d'événements, à ces mille petits gestes racontés avec beaucoup de
précision et au présent.
Les
drames ont eu lieu et l'on arrive après : le camarade-général
Ceaucescu (devine-t-on, car son nom n'est jamais cité) vient de
mourir et l'on brûle rapidement ce qui appartient à ce temps
maudit, les yeux résolument tournés vers l'avenir.
Mais il faut se relever du communisme, panser les plaies de la dictature, se reconstruire après des années de totalitarisme, réapprendre à vivre dans un pays avide de liberté, d'ouverture. On met le feu aux portraits des généraux et l'on tente de construire du nouveau sur des cendres encore chaudes et de terribles souvenirs qui hantent encore les esprits. Il est impossible d'oublier, et le passé resurgit constamment à travers les voix des vivants, des témoins, des familles meurtries à jamais.
Mais il faut se relever du communisme, panser les plaies de la dictature, se reconstruire après des années de totalitarisme, réapprendre à vivre dans un pays avide de liberté, d'ouverture. On met le feu aux portraits des généraux et l'on tente de construire du nouveau sur des cendres encore chaudes et de terribles souvenirs qui hantent encore les esprits. Il est impossible d'oublier, et le passé resurgit constamment à travers les voix des vivants, des témoins, des familles meurtries à jamais.
Emma,
jeune narratrice âgée de treize ans, vit en pension depuis que ses
parents sont morts dans un accident de voiture. Un jour, une vieille
femme se présente : elle dit qu'elle est sa grand-mère et
souhaite que sa petite-fille reparte avec elle. Emma suivra cette
inconnue, une femme étrange qui s'adonne à des rituels mystérieux
et semble avoir quelques pouvoirs magiques dont elle se sert
régulièrement pour mettre à mal les importuns. Qui est cette
femme ? Une sorcière, une déséquilibrée ? Ou bien une
grand-mère folle d'amour pour le seul être qui lui reste au monde :
sa petite-fille ?
Comment
la jeune fille va-t-elle réussir à partager sa vie avec une
sorcière et un grand-père fantôme ?
Nous
découvrons le monde avec les yeux d'Emma, étrangère à tout ce
qu'elle voit et entend, essayant comme elle peut de comprendre qui
est cette grand-mère, pourquoi elle s'est fâchée avec sa fille, la
mère d'Emma, au point de ne jamais la revoir.
La
jeune fille tente de deviner ce que cette aïeule a vécu, ce qu'elle
a fait pendant le régime de terreur et pourquoi son mari, le
grand-père d'Emma, est mort. A-t-il été un mouchard comme certains
le disent, s'est-il suicidé ? A-t-il vraiment connu les camps
de travail, de rééducation, l'a-t-on obligé à balayer les rues et
à oublier son métier de chirurgien ?A-t-il été tué par la
police secrète comme certains le disent ? Qui ment ? Qui
dit la vérité ? Et d'ailleurs existe-t-il une vérité et si
oui, qui la détient ?
Emma tentera de comprendre, de déchiffrer ce monde opaque, terni par des années de dictature, mais sa grand-mère parle peu. Il faudra à la jeune fille beaucoup de patience pour amener cette vieille femme à se libérer d'un poids trop lourd pour elle. Il faudra à Emma beaucoup de temps, de gestes, de silences pour que se dégèlent les mots de sa grand-mère et qu'ils sortent enfin...
Emma tentera de comprendre, de déchiffrer ce monde opaque, terni par des années de dictature, mais sa grand-mère parle peu. Il faudra à la jeune fille beaucoup de patience pour amener cette vieille femme à se libérer d'un poids trop lourd pour elle. Il faudra à Emma beaucoup de temps, de gestes, de silences pour que se dégèlent les mots de sa grand-mère et qu'ils sortent enfin...
Le
bûcher est un roman d'initiation, d'apprentissage :
Emma, en observant les gestes de sa grand-mère, va acquérir
certains pouvoirs qui vont l'aider à modifier le réel s'il lui
déplaît, à moins que cette magie dont elle use ne soit que le
fruit de sa volonté, une volonté farouche, inébranlable, un désir
puissant de vivre et de profiter de la vie.
Folie, poésie, sensualité se taillent la part belle dans ce roman, que ce soit quand Emma regarde sa grand-mère dessiner des cercles, des spirales dans de la farine ou bien lorsqu'elle assiste à la confection d'un strudel.
Souvent, le merveilleux s'introduit dans le réel : les objets semblent avoir une vie propre… En effet, une cuillère en bois peut remuer toute seule une marmite de confiture de prunes ! L'évocation d'un fait sans importance de la vie quotidienne peut soudain basculer dans la fantaisie, le fantastique, le surnaturel et déboucher sur un univers onirique et halluciné. On a parfois l'impression d'être dans un conte : chaque chapitre nous raconte un petit moment de la vie des deux femmes autour d'un motif précis. Dans ce petit village loin de tout et où l'atmosphère est extrêmement pesante, on sent que chacun s'épie, se soupçonne du pire ou, au contraire, regarde l'autre avec bienveillance et amour.
Folie, poésie, sensualité se taillent la part belle dans ce roman, que ce soit quand Emma regarde sa grand-mère dessiner des cercles, des spirales dans de la farine ou bien lorsqu'elle assiste à la confection d'un strudel.
Souvent, le merveilleux s'introduit dans le réel : les objets semblent avoir une vie propre… En effet, une cuillère en bois peut remuer toute seule une marmite de confiture de prunes ! L'évocation d'un fait sans importance de la vie quotidienne peut soudain basculer dans la fantaisie, le fantastique, le surnaturel et déboucher sur un univers onirique et halluciné. On a parfois l'impression d'être dans un conte : chaque chapitre nous raconte un petit moment de la vie des deux femmes autour d'un motif précis. Dans ce petit village loin de tout et où l'atmosphère est extrêmement pesante, on sent que chacun s'épie, se soupçonne du pire ou, au contraire, regarde l'autre avec bienveillance et amour.
Le
bûcher est aussi et surtout l'histoire d'une renaissance :
celle d'un pays, symbolisé ici par une jeune fille, Emma, qui va,
grâce à sa grand-mère, grandir, mûrir, prendre de l'assurance,
devenir une femme forte et volontaire, porteuse d'avenir. La façon
dont l'une va éduquer l'autre (et réciproquement!), la complicité
qui naîtra entre les deux femmes et l'amour qui les liera à jamais
donneront à chacune d'elles une telle force qu'elles en sortiront
l'une et l'autre grandies, plus libres et susceptibles d'être
heureuses, enfin.
Emma
devra tout apprendre. Le pays où elle vit aussi. De tâtonnement en
tâtonnement, de douleur en douleur, Emma deviendra une femme et
pansera ses plaies tandis que le pays s'ouvrira sur une ère
nouvelle. Il faut du temps. Chaque geste compte, chaque parole aussi.
C'est précisément ce que le livre nous montre : que tout se
fait dans la douleur, la peur, le doute mais aussi l'amour, la
complicité et la confiance.
Tout repousse, les cendres sont un très bon engrais, les jardiniers le savent. La grand-mère d'Emma le savait certainement, elle aussi.
Tout repousse, les cendres sont un très bon engrais, les jardiniers le savent. La grand-mère d'Emma le savait certainement, elle aussi.
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