Éditions Mercure de France
★★★★★ (coup de coeur!)
Quand
la littérature s'empare des réseaux sociaux…
Ces derniers temps, que de romans (tous très intéressants d'ailleurs), sur cette nouvelle forme de communication et ses codes. Voici un champ d'observation vraiment passionnant d'autant que ces réseaux sociaux modifient en profondeur les rapports entre les individus et j'irais même jusqu'à dire nos modes de vie.
Ces derniers temps, que de romans (tous très intéressants d'ailleurs), sur cette nouvelle forme de communication et ses codes. Voici un champ d'observation vraiment passionnant d'autant que ces réseaux sociaux modifient en profondeur les rapports entre les individus et j'irais même jusqu'à dire nos modes de vie.
Dans Celle que vous croyez (récemment adapté au
cinéma), Camille Laurens met en scène le personnage de Claire, une
femme de 48 ans qui, pour surveiller son amant volage, se crée un
faux profil Facebook, entre en contact avec l'ami de l'amant et finit
par tomber amoureuse de lui, sans jamais l'avoir rencontré « en
vrai ». Pas de souci, me direz-vous, ils n'ont qu'à se
fixer un petit rendez-vous et tout sera résolu ! Oui mais
Claire a menti en se présentant comme une belle brunette de 24 ans,
célibataire et passionnée de photo… Vous voyez le problème…
Je
repense aussi au roman de Philippe Annocque : Seule la nuit tombe dans ses bras dans lequel, via les réseaux
sociaux et les messageries, un homme et une femme tombent amoureux
l'un de l'autre et vont jusqu'à faire l'amour avec des mots
(magnifique discours performatif!!!) sans jamais se rencontrer « in
the real life. » Quel est
le « statut » d'une
telle liaison ? Peut-on
même
parler de « liaison » quand
les mots remplacent
les actes ?
Enfin,
Fabrice Caro dans Le discours imagine un jeune homme
qui, lors d'un repas de famille, tandis que la conversation roule sur
les avantages du chauffage au sol, attend dans une anxiété sans nom
un texto de son ex qu'il aime encore et à qui il vient d'envoyer un
SMS qu'il juge stupide et qui le torture pendant tout le repas.
Il
est clair que, visiblement, les nouveaux modes de communication ne
nous rendent pas forcément heureux et semblent plutôt avoir l'art
et la manière de nous ruiner l'existence…
Qu'en
est-il dans le roman de Stéphanie Dupays ?
Laure,
professeur de littérature à la Sorbonne et spécialiste de
Flaubert, a rencontré Vincent sur Facebook. Elle aime discuter avec
lui de livres et de films qu'elle apprécie et qui deviennent, d'une
certaine façon, des prétextes pour connaître l'autre, le séduire
même peut-être.
« Les
livres, les films n'étaient pas seulement des livres et des films,
ils constituaient un lien entre les êtres, le symbole et le prétexte
d'un dialogue interrompu. »
Mais
Vincent se montre très vite plus distant, il se connecte puis
s'absente, revient, écrit deux trois phrases laconiques et repart.
Joue-t-il avec elle ? Est-il sincère ? On s'interroge.
Si,
en tant que linguiste, Laure décode parfaitement les signes de la
langue littéraire (c'est son métier), elle reste à la porte des
usages de la sphère Internet : constater que Vincent ne lui
répond pas alors qu'il est encore en ligne (point vert), qu'il n'a
pas liké son post alors qu'il a aimé celui des autres (pouce jaune)
la déroute complètement. Si Laure a conscience que « l'état
amoureux transform(e) n'importe quelle femme en linguiste méticuleuse
et le moindre message en énoncé à interpréter », là, elle
patauge lamentablement, s'interroge sur le sens d'un SMS ou d'un
émoticône, perd pied dans un monde qui lui est étranger.
De même, elle est très touchante lorsque, dépitée de constater que sa photo de profil n'est pas assez flatteuse, elle va tout faire pour modifier son image.
J'ai trouvé très intéressante dans ce texte la façon dont Laure demeure dans l'incapacité de déchiffrer des codes qui lui échappent totalement, elle qui, dans la vraie vie, est une spécialiste de la question !
En plus, elle a beau avoir lu Proust qui analyse dans le détail le fonctionnement de la jalousie, elle est incapable de se protéger de ce sentiment qui l'envahit totalement : « Swann serait devenu fou sur Messenger. Lui qui interprétait le moindre signe, qui trouvait dans chaque geste ou chaque mot de quoi nourrir sa jalousie, aurait trouvé un réservoir inépuisable de souffrance ». Bien vu, effectivement !
De même, elle est très touchante lorsque, dépitée de constater que sa photo de profil n'est pas assez flatteuse, elle va tout faire pour modifier son image.
J'ai trouvé très intéressante dans ce texte la façon dont Laure demeure dans l'incapacité de déchiffrer des codes qui lui échappent totalement, elle qui, dans la vraie vie, est une spécialiste de la question !
En plus, elle a beau avoir lu Proust qui analyse dans le détail le fonctionnement de la jalousie, elle est incapable de se protéger de ce sentiment qui l'envahit totalement : « Swann serait devenu fou sur Messenger. Lui qui interprétait le moindre signe, qui trouvait dans chaque geste ou chaque mot de quoi nourrir sa jalousie, aurait trouvé un réservoir inépuisable de souffrance ». Bien vu, effectivement !
Je
trouve que Laure est un personnage très rohmérien dans sa façon de
se laisser envahir par le sentiment amoureux et de se débattre avec
un langage qui lui échappe, d'analyser le moindre terme, le moindre
signe de ponctuation, de tout surinterpréter.
Un seul mot et voilà Laure se laissant aller au plus grand fantasme : « « Peut-être », le mot laissait le champ libre à l'espoir et projetait sur Laure le souffle de Vincent, la caresse de ses mains, le pulpeux de sa bouche... » Waouh, quel souffle romanesque !
Un seul mot et voilà Laure se laissant aller au plus grand fantasme : « « Peut-être », le mot laissait le champ libre à l'espoir et projetait sur Laure le souffle de Vincent, la caresse de ses mains, le pulpeux de sa bouche... » Waouh, quel souffle romanesque !
Et
le plus terrible, c'est que Laure a conscience qu'elle tombe
amoureuse d'un homme qu'elle n'a jamais vu, qu'elle ne connaît pas,
dont elle n'a qu'une image tronquée qui n'a peut-être
(certainement) rien à voir avec la réalité. Pour autant, elle n'y
peut rien. « ...la seule chose qu'elle connaissait de
cet homme était un amas de signes qui, comme tous les signes,
s'interprétaient selon un contexte, dont elle ignorait presque tout.
Comme elle ignorait tout de la façon de vivre de Vincent, de son
rapport aux gens, sans même parler d'un éventuel accord de leurs
peaux. Laure voulait être amoureuse, ressentir à nouveau cet état
d'apesanteur, croquer la part romanesque de l'existence. Et Vincent
était l'image exacte de son désir. »
Que
cherche Laure ? Un homme virtuel qui, du fait de sa virtualité,
serait un homme parfait ? Ne risque-t-elle pas d'être déçue
par une construction idéalisée d'un être qui, au fond,
n'existerait pas ?
En
tout cas, très vite le smartphone devient une obsession, un objet
chronophage, « un instrument de torture. »
Laure se sent piégée par ses recherches sur la toile autour de
Vincent qu'elle tente sans cesse de déchiffrer : « Laure
échafaudait les hypothèses, inventait des scènes de rupture,
construisait des scénarios. » D'une certaine façon, Laure
devient romancière, créant des personnages qui n'existent pas et
des histoires tirées de son imagination.
Mais
où va la conduire sa folie ?
Vous
l'aurez compris, j'ai beaucoup beaucoup aimé ce texte : le
personnage de Laure m'a beaucoup touchée ; l'observation et
l'analyse des jeux amoureux à l'heure de Facebook et les
questionnements autour des nouveaux rapports humains qu'engendre
l'usage des réseaux sociaux m'ont passionnée ; je me suis
régalée aussi des références littéraires (oh Flaubert, Proust,
René Guy Cadou...) et cinématographiques (oh Rohmer). J'ai trouvé
toutes les analyses autour de ces bouleversements de société très
fines, très percutantes et l'humour, omniprésent, a fini de me
combler.
Un
vrai coup de coeur donc pour ce texte que je recommande vivement !
Il fait partie des romans de la rentrée qui m'intriguent profondément et que j'ai très envie de lire. De même d'ailleurs que celui d'Annocque, que tu cites, et dont Nicole me reparlait hier également...
RépondreSupprimerJe pense que tu ne seras effectivement pas déçue... Ils s'intéressent à des problèmes bien actuels... C'est incroyable comme nos modes de vie ont changé en très peu de temps à cause des réseaux sociaux et des smartphones...
RépondreSupprimerC'est vrai ! Mais parfois aussi pour le meilleur : sans eux, nous et bien d'autres amoureux de la littérature ne nous serions jamais rencontrés...
Supprimer