Éditions du Seuil
★★★★☆ (j'ai bien aimé)
Quand
on l'entend parler, c'est sa petite voix qui surprend, mélange de
timidité et d'assurance, de douceur et de fermeté, la voix d'une
femme qui tire de son expérience une certaine forme de sagesse
empreinte d'une intranquillité latente, viscérale.
Et
l'on a envie de la prendre dans ses bras, la petite Sarah aux allures
d'Antigone, pour la consoler d'une souffrance encore vive, de
cicatrices à peine refermées que l'on a vues subrepticement passer
dans l'ombre de son regard, dans le mouvement de sa main.
Son
dernier roman au titre magnifique, « Les Enténébrés »,
nous laissait soupçonner des relations familiales difficiles…
Tout restait assez allusif, comme un peu lointain … et surtout
tourné vers la branche maternelle. Avec « Saturne »,
roman nettement autobiographique, on explore plutôt le côté
paternel et l'on découvre le destin de cette riche famille de
médecins juifs installée en Algérie, pays qu'ils ont dû fuir à
contrecoeur dans les années 50 pour s'installer en France où, petit
à petit, le clan fit de nouveau fortune en ouvrant différentes
cliniques privées.
D'un
côté, il y a le grand-père de la narratrice : un grand
médecin estimé de tous, un homme sensible et d'une grande
générosité. Louise, sa femme, la grand-mère, a quant à elle
beaucoup d'ambition pour sa famille, déteste ceux qu'elle juge
médiocres, moyens, pas à la hauteur. Elle aime sans compter, à
condition de ne pas être déçue ou trompée. Elle a deux fils :
Armand, qui deviendra médecin à son tour et Harry, le père de
Sarah qui, lui, ne sera jamais médecin, au grand désespoir de ses
parents. Lui est plutôt poète, joueur, rêveur, pêcheur d'étoiles
et il tombera follement amoureux d'une femme, Eve, la plus belle, la
plus attirante, la plus folle aussi. (Pourquoi me fait-elle penser à
la « Nadja » de Breton?) Eve la mythomane, Eve à la
double vie ne plaira pas à sa belle-famille mais Harry n'aura cure
de l'avis des autres. Il est fou d'Eve. Il l'aime passionnément et
brûlera ses ailes à force de s'approcher de sa lumière. Il mourra
d'une leucémie à 34 ans, jeune, trop jeune. Sa fille Sarah a quinze
mois.
La
petite grandit et se sent de plus en plus broyée au milieu des
siens, de leurs émotions, de leurs passions, de leurs colères. De
toute la fureur et la folie dont ils sont capables. De toute la haine
et l'amour qui sont en eux. Incapable de se relever de la mort de ce
père qu'elle n'a pas connu, incapable d'avancer aux côtés d'une
mère qui tourbillonne, virevolte au gré de ses humeurs et de sa
douce folie… Une mère qui finira par refaire sa vie, ailleurs.
La
solitude que vit Sarah est insondable, démesurée et sans nuances.
Elle se sent broyée, dévorée par les siens, tel le fils de Saturne
dans le tableau de Goya. D'aucuns se seraient peut-être
parfaitement sortis d'une telle situation. Pas elle. Pas Sarah. Elle
est écrasée, broyée, détruite et ne parvient plus à se relever.
C'est la chute…
On
entre ici dans l'intimité d'une famille, et ce qui est passionnant,
c'est de voir se dessiner, page après page, les relations entre les
uns et les autres, de découvrir notamment cette figure centrale du
roman, le père, étoile filante que la narratrice a dû,
métaphoriquement parlant, exhumer (sous la forme d'un petit film où
on le voit embrasser tendrement sa fille) pour réaliser à quel
point il l'aimait et trouver enfin un semblant de repos. Oui, ce qui
m'a passionnée, c'est de m'approcher de chacun des membres de cette
famille, de tenter de comprendre ce qui les anime, les rapproche, les
oppose, de savoir la part de vérité, de mensonge et de légende qui
court sur eux. Ils m'ont fait penser à certaines familles maudites
des tragédies grecques… On sent qu'une menace pèse sur le groupe,
qu'un orage est toujours prêt à éclater… La tension est là,
dans chaque mot, chaque phrase de ce texte, comme tenue, maintenue, à
la force du poignet, parce que la narratrice doit aller jusqu'au bout
et dire, dire encore pour apaiser sa douleur, faire la paix avec le
passé et vivre, enfin...
Un
très beau texte, profondément mélancolique, sensible et fort d'une
femme qui refuse de faire son deuil parce qu'elle veut vivre avec ses
morts et les aimer encore, aussi longtemps qu'elle vivra.
Un
roman qui dit aussi comment la littérature et notamment l'écriture
« le seul lieu où je puisse habiter... » peuvent tenir
en vie celui qui flanche et l'amener à devenir écrivain et à
renaître de ses cendres.
« Et
sur la route où je pars, seule, mais avec mon père, seule, mais
avec ceux que j'aime, seule, mais avec les mélancoliques, les
amoureux, les endeuillés et les intranquilles, seule, mais cachée
dans la foule des vivants et des morts, tout est perdu, tout va
survivre, tout est perdu, tout est sauvé. Tout est perdu. Tout est
splendide. »
Oui,
tout est là, dans la beauté de ce feu d'artifice final, lumières
intenses dans la nuit noire...
je n'avais pas encore lu de critique sur ce livre qui me semble fort intéressant.
RépondreSupprimerOui, effectivement, c'est un très beau roman, très mélancolique... Je te le conseille!
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