Souvent, quand je te lis, Manu, j'ai l'impression d'entendre parler un personnage de Dostoïevski. Il y a quelque chose de fondamentalement humain dans la misère que tu exprimes et j'entends comme une plainte sourde qui dit ta souffrance et ton malheur. Tu écris souvent « Je ne suis pas un homme bon » et tu vois, ces mots, dans leur simplicité, dans leur candeur, sont un aveu qui me bouleverse. Qui dit cela ? Qui se met à nu comme tu le fais ? Personne Manu. Personne. Parce que nous sommes tous très attachés à nos illusions. Et puis, parce que, dans le fond, tout le monde s'en fout d'être un homme bon. On ne court plus après ça. L'homme moderne cherche autre chose. Et toi, Manu, tu nous sors un truc de derrière les fagots, presque ringard, d'une autre époque et qui te turlupine et te rend malheureux. Tu n'es pas bon. Tu aimerais devenir meilleur. Et quand tu me dis ça, j'ai juste l'impression d'avoir un petit garçon devant moi, un enfant qui aurait fait une grosse bêtise et ne s'en remettrait pas. Dans une crise de larmes, il avouerait ses fautes. Et on le sentirait définitivement inconsolable. Et ce petit garçon, c'est toi Manu. Et cette culpabilité que tu traînes comme un fardeau, parce que c'est bien ça, hein, le problème ? Eh bien, cette culpabilité pour le mal que tu penses avoir fait et que tu penses faire encore et toujours, la douleur immense qui est la tienne (et qui t'empêche de vivre), je la vois comme celle du Christ… Tu veux faire grand mais tu n'es qu'un homme, enfermé dans sa petitesse, fatigué de ses limites, usé par son narcissisme et ses obsessions. Tu aimerais, dans le fond, quitter cette nature qui te confine à la médiocrité, qui t'enferme dans la mesquinerie, l'inconsistance et le mensonge. Mais tu es un homme, Manu.
Alors, tu t'es peut-être dit : si je pouvais me donner aux autres pour me faire pardonner… et embarquer avec moi, dans ce projet fou, ceux que j'aime, ceux que j'ai aimés et peut-être aussi, ceux qui me lisent… Pour qu'ils soient pardonnés, eux aussi. N'est-ce pas cela que tu recherches à travers l'écriture, un moyen de t'abandonner, d'abandonner ce que tu es. Quelque chose qui a à voir avec le sacrifice... Il me semble que c'est ce que tu fais quand tu écris : tu t'offres, tu t'exposes dans toute ta nudité, dans toute ta misère, dans toute ta pauvreté. Et tu vois, d'une certaine façon, (mais je me trompe peut-être), je me dis que ton projet n'est pas si éloigné que ça de celui de Jean-Baptiste Clamence : dans une « confession calculée » et en nous tendant un miroir, nous entraîner avec toi, dans ta chute. Qu'on se casse la gueule, qu'on se vautre bien, que ça fasse mal… Et qu'on s'en relève différent, changé, meilleur... Te purifier et nous purifier, nous sortir de nos « eaux pourries ». Malgré nous. Pour nous.
Quelle entreprise Manu… Trop ambitieuse pour tes petites épaules, trop démesurée pour ton âme si fragile. Mais tellement belle...
Et comme le critique qui t'avait rendu visite (Wyatt Mason – quelle intelligence que cet homme), j'ai envie de te consoler, juste en te serrant dans mes bras - existe-t-il d'autres façons de consoler ?
Je voulais aussi te dire une autre chose Manu. Tu écris qu'aimer est une des plus belles choses qui existent au monde, la seule qui rende heureux et vivant. Et tu nous offres une fin de roman pleine de promesses. Franchement, allez, je te le dis, on sent que tu fais ça pour nous faire plaisir. On n'y croit pas vraiment (et toi non plus je pense), mais c'est pas grave, tu as la fin que tu recherchais, une note positive et belle, « un espace de joie »… Je voulais juste te remercier de nous avoir fait ce dernier don (qui a dû te coûter cher), de t'être efforcé de le faire, d'avoir, pour nous, accepté d'achever ton texte comme s'il était un roman… Par une parole gentille et légère, pleine de promesse en un avenir auquel tu n'as jamais cru vraiment pour toi (ni pour nous d'ailleurs - mais peut-être plus pour nous que pour toi…)
Tu n'as pas voulu nous laisser seuls avec notre croix trop lourde à porter, alors tu nous as parlé d'amour…
T'es vraiment un homme bon, Manu...
J'ai pratiquement tout lu d'Emmanuel Carrère et je ressens toujours beaucoup d'émotion à la lecture de ses livres. Celui-là ne m'a pas déçue, bien au contraire. Je pratique le yoga et la méditation mais ce n'est pas cette partie du récit qui m'a le plus touchée (par contre, j'ai souvent ri ! ), mais la troisième partie, celle qui se passe à Leros et qui nous plonge dans la réalité des migrants et de ceux qui les accueillent. J'ai beaucoup aimé le personnage d'Erica, les rapports entre elle et le narrateur. J'aurais rêvé de passer une soirée avec eux sur la terrasse sans vue à picoler du retsina !
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