Les premières pages d' « Ultramarins » sont de celles que l'on n'oublie pas. Elles saisissent, fascinent, habitent. On y repense, elles remontent à la surface de notre quotidien, éclatent comme des bulles, là où on ne les attend pas, s'imposent où elles n'ont que faire, nous donnent parfois des airs étranges, des regards absents...
Fabuleuses, vertigineuses, inouïes, oui, elles sont cela ces premières pages où il est question d'un bain. Un bain, éblouissant. Elles touchent au mythe c'est à dire qu'elles répondent à quelque chose de profond en nous, de caché peut-être, d'indicible sûrement et qui nous rattache à la vie, aux éléments, à la nature, à notre condition humaine. Si ces pages sublimes s'inscrivent dans une époque, un lieu, une réalité, elles sont, au même moment et comme par magie, hors du temps, de l'espace et semblables à une illusion. Elles nous invitent à une lecture au second degré tout en nous suggérant de ne pas trop nous écarter du réel. Interprétez, nous disent-elles, mais n'allez pas trop loin. Ne vous écartez pas trop du plaisir sensuel et immédiat de l'eau et du soleil, profitez de ce bain comme ils en profitent, eux, les marins. Jouissez du moment, vous aurez tout le temps, demain, d'y lire autre chose, de comprendre ce qui vous a échappé tandis que vous étiez avec eux, les hommes de la mer, et que vous étiez heureux.
« Ultramarins » place son lecteur au bord du mythe, dans un espace étrange et inquiétant où les codes sont brouillés, les repères effacés. Et l'on avance comme ce cargo, doucement, aux aguets presque, ralentissant le rythme, observant les déplacements des uns, la peur et les silences des autres, participant à cette traversée, comme le vingt-et-unième passager que nous sommes peut-être devenus…
Au bord du mythe seulement, parce que le réel n'est pas à négliger : il faut entendre le bruit des machines, sentir l'odeur de l'essence sur ses mains et le parfum bon marché des marins. Il faut savoir remonter dans la barque orange, s'agripper aux cordages, reprendre les commandes, communiquer sa position. Le mythe a permis le retour à la vie, à la terre, à l'espoir d'une existence apaisée et réconciliée.
« Ultramarins » bouleverse l'ordre des choses, arrête le temps, ralentit la course folle de nos vies de pantins malheureux. Il nous invite à accepter la dérive, l'écart, la pause, l'ivresse d'un bonheur accessible.
Parce qu'une renaissance est toujours possible. Il suffit peut-être de dire « d'accord » et de voir ce qu'il advient.
On peut être surpris.
Bonjour,
RépondreSupprimerJ'ai été emporté comme vous par cette histoire. Cette impression d'être dans un entre deux (vivant mort marin) est parfaitement rendue. J'ai ressenti et eu les mêmes sensations lorsque j'ai lu certains romans de Conrad. Merci encore pour vos précieux conseils de lecture.
Laurent.