Deux mots sur notre prix Goncourt. Je dis « notre » parce que, pour une fois, il y avait une belle unanimité à le saluer comme LE grand roman de la rentrée, peut-être même LE grand roman depuis longtemps et pour longtemps…
En effet, « La Maison vide » est l’oeuvre d’un véritable écrivain.
Elle est non seulement écrite mais elle est aussi habitée (sans mauvais jeu de mots!) par une réflexion sur ce dont on hérite, qu’on le veuille ou non. En effet, il me semble que Laurent Mauvignier cherche ici à comprendre l’origine du suicide de son père. C’est de cela qu’il est question. Remonter à la source, à l’origine d’une ombre, d’un mal, qui s’est transmis d’une génération à l’autre jusqu’à ce que quelqu’un passe à l’acte. Même si l’ébauche du geste avait eu lieu avant. Et l’on a l’impression que ce geste qui n’avait pas totalement abouti, ce geste qui avait été empêché, pesait encore sur la famille, que cette famille le portait en elle, comme un poids dont on ne parvient pas à se délester.
Je pense vraiment que nous sommes consciemment ou inconsciemment porteurs de choses, d’actes, d’événements qui nous dépassent complètement. Et la recherche de Mauvignier, que l’on voit à l’oeuvre dans ce roman, m’a semblé extraordinaire. Il part de ces photos « défigurées » de Marguerite et il remonte aux sources, aux non-dits, aux silences, pour comprendre. Le chemin est long. Et le travail se fait par la littérature. Je veux dire que c’est la littérature qui permet le cheminement, la recherche et c’est la littérature qui propose une réponse. Il n’est pas certain que cette réponse soit juste, soit exacte mais en tout cas, elle est plausible et permet d’avancer et de tenter de trouver l’origine de « la catastrophe familiale ». Sans la littérature, sans le recours à la fiction, l’échec était assuré car le puzzle restait incomplet. Or, c’est par la littérature qu’il reste quelque chose de Marguerite et d’André, les grands-parents de l’auteur. Et c’est toujours la littérature qui permet de comprendre, en redonnant vie à Marguerite notamment, mais aussi à Marie-Ernestine, le suicide du père de l’auteur. Même si les pièces du puzzle sont un peu tordues et qu’elles ne s’emboîtent pas forcément à la perfection, l’image apparaît. On fait plus que la deviner. On la comprend. On la voit. Se révèle alors ce que l’on a cherché à faire disparaître. Magie de la littérature. Ce qui me plaît aussi, c’est la façon dont l’auteur fait confiance à la littérature pour l’aider à retrouver ce qui a été perdu, la façon dont il lui confie d’une certaine façon la mission d’explorer un espace resté volontairement tu depuis longtemps. C’est la littérature qui crée le réel manquant, qui met en lumière « les points aveugles et les angles morts », là même où la photo échoue.
Cette lecture m’a renvoyée à mon histoire. Il m’a semblé que je n’avais pas suffisamment prêté attention à certaines voix lointaines, peut-être aujourd’hui à jamais disparues, mais dont je suis porteuse. Je n’ai pas de maison à fouiller, pas de tiroirs à explorer, pas de grand piano dont les sons se feraient l’écho de notes anciennes. C’est peut-être mieux comme ça, partir de rien pour tout imaginer, cela laisse peut-être une plus grande liberté…