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dimanche 7 décembre 2025

L'oreille absolue d'Agnès Desarthe

Éditions de l'Olivier
★★☆☆☆

 « L’oreille absolue » est un conte de Noël plein de bons sentiments et de gens malheureux et très gentils qui ne méritent pas ce qui leur arrive mais ce jour-là, il ne leur arrivera rien, parce que ce jour-là, personne ne meurt.

En fait, ce texte est une commande de la Scène Nationale de Dunkerque pour une résidence d’auteur appelée « Histoires en série » qui a donné lieu à un spectacle théâtral.

Le risque de ce genre de contrainte imposée, c’est toujours le petit côté « exercice de style », généralement plus plaisant à écrire qu’à lire.

Ici, le dispositif narratif est simple : le lecteur découvre petit à petit les membres d’une harmonie municipale qui se prépare pour le concert de la fête de Noël, un jour où il n’y aura pas de mort parce que c’est un moment béni et un peu hors du temps où chacun échappe au pire. On peut y voir une dimension symphonique ou polyphonique : on passe de l’un à l’autre et l’on découvre ce qui les relie vers la fin du texte.

Il s’agit donc d’un conte avec des personnages contemporains et des problématiques actuelles.

Or, le genre du conte suppose que les personnages soient des archétypes. Ils ont un rôle défini, sont gentils ou méchants et ne possèdent pas d’épaisseur psychologique. Ce sont, comme le disait Barthes, « des êtres de papier ».

Et c’est précisément ce qui me gêne dans les contes dits « modernes », à savoir que l’on tombe très vite dans la caricature alors que l’on s’attend (moi en tout cas), à cause peut-être de ces personnages qui nous ressemblent, à des analyses plus profondes, plus nuancées. On serait tenté de s’attacher aux personnages, de les suivre dans les méandres de leur pensée et de leurs contradictions, mais on se retrouve avec des êtres secs, stéréotypés et donc superficiels. Évidemment, on n’y croit pas une seule seconde. Normal, vous me direz puisque c’est un conte. Oui mais moi, je trouve que ça ne fonctionne pas.

J’ai fini par mélanger tous les personnages, ne plus savoir qui était qui et finalement ce n’est pas très grave car le but de ce travail d’écriture est de survoler tous les acteurs de cette harmonie, de passer rapidement de l’un à l’autre et de faire en sorte qu’ils se retrouvent tous à la fin pour jouer un concert de Noël.

Le texte est bien écrit avec un très joli refrain poétique qui revient au début de chaque chapitre mais honnêtement, je l’ai trouvé un peu gnangnan et finalement sans grand intérêt. Je me suis ennuyée. Cela dit, visuellement, j’imagine qu’on peut faire un spectacle assez sympa avec ce texte polyphonique, ces personnages qui s’entrecroisent, disparaissent puis réapparaissent. Une sorte de ballet… J’imagine quelque chose comme ça.

Bref, les bons sentiments, c’est pas mon truc, les contes de Noël non plus, et encore moins avec des personnages contemporains.

PS : La couverture est superbe : « La Falaise de la Grève Blanche » de Félix Vallotton. J’adore Félix Vallotton.


 

samedi 29 novembre 2025

Les preuves de mon innocence de Jonathan Coe

★★☆☆☆
Éditions Gallimard
(traduit de l'anglais par Marguerite Capelle)

À vrai dire, tout avait très bien commencé : je trouvais les personnages plutôt sympathiques, le presbytère de Rookthorne charmant (je raffole de ce genre d’endroits anglais), j’avançais, ravie chaque soir de retrouver toute l’équipe. À la page 69, petit effet de surprise, mise en abyme (pourquoi pas) (parodie d’un roman policier « Meurtre à Wetherby Pond ») (parfait, j’adore ça!) et nous voilà dans le grand manoir de Wetherby Hall pour une conférence TrueCon, séminaire organisé par des ultraconservateurs désagréables au possible, avec Christopher Swann, blogueur politique, historien du mouvement conservateur, en éléphant dans un magasin de porcelaine. Nous sommes en 2022, Liz Truss arrive pour quelques jours au pouvoir tandis qu’Élizabeth II s’éteint… Je rencontre l’inspectrice Freeborne dont le caractère bien trempé n’est pas pour me déplaire quand j’entre, page 215, dans une nouvelle mise en abyme (dans la première mise abyme). Parodie du dark roman… Why not, c’est rigolo. On file à Cambridge (j’adore!) mais mais mais je me perds, repars en arrière, souligne, fais des flèches, repasse en marche avant… Rien à faire, j’ai beau lancer le GPS, noter les croisements et les sens interdits sur un petit carnet que je ne lâche pas… Je suis PERDUE : les personnages (mais qui c’est celui-là?), les narrateurs (mais au fait, qui parle là?) les lieux, les époques, les fausses pistes, les tiroirs secrets, les escaliers dérobés, les digressions, les pastiches littéraires, les mises en abyme ont eu raison de moi… J’ai continué, ai découvert la troisième mise en abyme page 329, parodie d’un récit d’autofiction, cette fois-ci… Pourquoi pas… La lecture a commencé à me sembler un peu longuette, l’intrigue poussive, certains passages plats comme un trottoir de rue (comme dirait Flaubert) et les personnages un brin caricaturaux (ils sont un peu tous pareils, non?).... Quel dommage ! J’avais entendu tellement de bons retours sur ce roman… J’aimais beaucoup le ton du livre, la satire politique et sociale de la droite conservatrice ultralibérale dans laquelle traînent encore des relents de thatchérisme ou pire encore… Visiblement, l’auteur ne s’est jamais remis du Brexit, on le comprend... Vraiment, c’est une lecture agréable, amusante parfois, un brin mélancolique, mais il me semble que la construction brouille un peu (trop) les pistes et surtout le propos. J’ai fini par m’interroger sur le sens véritable du roman et le but d’un tel échafaudage littéraire, trop labyrinthique à mon goût. Le dispositif se veut original (sans l’être totalement, avouons-le!) mais il m’a perdue. Tentez le coup, c’est une expérience. Vous me direz !




 

dimanche 16 novembre 2025

L'Étranger, François Ozon/Camus

 

 J’ai vu hier au cinéma « L’Étranger », de François Ozon, film adapté de l’oeuvre de Camus. Il apparaît très clairement que le parti pris de l’auteur a été de respecter l’oeuvre à la lettre, sauf lorsqu’il est question de l’Arabe, mais le wokisme et le roman de Daoud étant passés par là, il lui a sans doute semblé difficile de faire autrement, ce qui est bien dommage d’ailleurs, car là n’est pas le sujet du roman, mais passons.

S’il n’y a rien à dire sur l’aspect esthétique du film absolument remarquable et les personnages secondaires tout à fait exceptionnels, je suis ressortie de la salle un peu perplexe par rapport au traitement du personnage de Meursault joué par Benjamin Voisin. En effet, je n’avais pas gardé le souvenir d’un être quasiment muet, froid, un peu figé et très beau. Mon Meursault à moi était, dans mes souvenirs, un être ordinaire, banal, extrêmement sensible au monde, à la nature, incapable de mentir, heureux de petites choses et sans être un grand bavard, apte à échanger avec ses proches, un être assez inadapté aux convenances, doutant régulièrement de la façon dont il devait se conduire. A vrai dire, j’ai toujours eu l’impression que Meursault souffrait de troubles autistiques. Bref, un être beaucoup plus humain et sympathique que le Meursault d’Ozon. J’ai donc relu le texte et je crois que mon impression tient à une chose essentielle : « L’Étranger » est un roman écrit à la première personne. Meursault est donc un personnage que l’on perçoit de l’intérieur. On connaît ses hésitations, ses doutes. Le roman est en totalité la parole de Meursault. Et donc, quand on lit ce texte, on éprouve de la sympathie pour ce personnage un peu enfant qui a toujours chaud, qui veut dormir, manger ou aller se baigner. Or, chez Ozon, nous le percevons de l’extérieur : aucune voix off (ou quasiment) ne vient exprimer les pensées du personnage. Et finalement, ce bel homme reste un peu énigmatique, suscite peu d’émotion ou d’attachement. Et il ne dit que ce que dit Meursault dans le roman au discours direct : c’est-à-dire pas grand-chose. On a l’impression qu’il ne parle que pour illustrer la philosophie de« l’absurde ». Et franchement, cela sonne faux.

Je me disais d’ailleurs que Swan Arlaud (qui joue le prêtre) aurait peut-être été un meilleur Meursault, plus humain, moins hiératique, plus simple.

Si Ozon a réussi un film esthétiquement irréprochable, il me semble que l’on a perdu l’humanité de Meursault, son côté « enfant » étranger à des règles qui lui échappent, hypersensible à la beauté du monde. Un personnage très fort et extrêmement touchant.




 

jeudi 13 novembre 2025

Kolkhoze d'Emmanuel Carrère

Éditions P.O.L
★★☆☆☆

 « Et mon père et ma mère et mes cousines et mon grand-père et les tantes et le cousin du beau-frère et les amis de mes parents et ma sœur. Et moi et moi et moi... » Allez, je suis méchante mais franchement, c’est quoi ce travail ? Non, là, Manu, t’as franchement abusé. Ok, t’avais chopé de la matière, beaucoup de matière (les cinq « copieux dossiers », les « monographies reliées, chapitrées, illustrées d’arbres généalogiques… de cartes, de gravures ou de photos »), t’avais écumé le bureau du padre, relu une avalanche d’archives familiales. Je conçois que ça n’a pas dû être évident de traiter cette orgie d’information, la trier, l’organiser, la mettre en forme. Moi, je pense qu’on n’est pas obligé de tout garder, de faire un recensement complet des gens de la famille sur quatre générations (quelle ampleur chronologique!), de remonter à la nuit des temps avec la branche des uns et celle des autres … Tu vois, il y a des trucs dont on se moque un peu (je t’avoue que parfois j’avais l’impression que tu écrivais à usage interne, genre soirée diapos en famille) Pour nous lecteurs, il y a des pages… comment dire… un peu longuettes avec des anecdotes dont on se fout un peu… Pourquoi t’as voulu tout garder? Faut que je t’avoue d’ailleurs qu’arrivée à la 50e page, j’étais bien paumée dans qui était qui, qui faisait quoi. Je naviguais à vue… Alors tes « souvenez-vous », assez récurrents, m’ont bien fait rire. T’as dû quand même vaguement le sentir qu’il y avait un problème. Et, puis, je ne sais pas où tu étais dans près de la moitié du bouquin. Perdu parmi tes ancêtres ? Écrasé par cette histoire familiale peu commune ? Je voulais t’entendre (ton humour, Manu, ton humour!) mais je ne lisais que des pages un peu froides, très factuelles, dans lesquelles je n’entrais pas… Finalement, je t’aimais mieux dans ta dimension horizontale...

Bien sûr, il y a des personnages auxquels on s’attache : ton père et Nicolas! Bien sûr, j’ai fini par TE retrouver ici et là. Parce que quand même, je ne sais pas si tu le sais, mais tu fais partie des écrivains que j’aime plutôt beaucoup. Tu me fais rire, t’as tout pigé de l’âme russe et t’as des sorties génialissimes. Mais là, je n’ai pas accroché (malgré ma grand-mère russe qui a quitté la Russie à la Révolution pour se réfugier à Nice).

Et je vais même te dire, quand tu étais là, je ne te retrouvais pas vraiment. Je t’ai senti vaguement fils à papa (ou à maman) de bonne famille, content enfin de remettre les pieds dans ses chaussons. Oui, toi !!! Incroyable ! C’est bizarre hein. Je n’avais jamais ressenti ça avant ! L’âge peut-être… Fais gaffe quand même, Manu… Je t’ai connu plus méchant.. L’apaisement te va mal. Je t’aimais mieux torturé… 

 C’est pas toujours bon de faire kolkhoze en littérature.


 

samedi 8 novembre 2025

La maison vide de Laurent Mauvignier

Éditions de Minuit
★★★★★

 Deux mots sur notre prix Goncourt. Je dis « notre » parce que, pour une fois, il y avait une belle unanimité à le saluer comme LE grand roman de la rentrée, peut-être même LE grand roman depuis longtemps et pour longtemps…

En effet, « La Maison vide » est l’oeuvre d’un véritable écrivain.

Elle est non seulement écrite mais elle est aussi habitée (sans mauvais jeu de mots!) par une réflexion sur ce dont on hérite, qu’on le veuille ou non. En effet, il me semble que Laurent Mauvignier cherche ici à comprendre l’origine du suicide de son père. C’est de cela qu’il est question. Remonter à la source, à l’origine d’une ombre, d’un mal, qui s’est transmis d’une génération à l’autre jusqu’à ce que quelqu’un passe à l’acte. Même si l’ébauche du geste avait eu lieu avant. Et l’on a l’impression que ce geste qui n’avait pas totalement abouti, ce geste qui avait été empêché, pesait encore sur la famille, que cette famille le portait en elle, comme un poids dont on ne parvient pas à se délester.

Je pense vraiment que nous sommes consciemment ou inconsciemment porteurs de choses, d’actes, d’événements qui nous dépassent complètement. Et la recherche de Mauvignier, que l’on voit à l’oeuvre dans ce roman, m’a semblé extraordinaire. Il part de ces photos « défigurées » de Marguerite et il remonte aux sources, aux non-dits, aux silences, pour comprendre. Le chemin est long. Et le travail se fait par la littérature. Je veux dire que c’est la littérature qui permet le cheminement, la recherche et c’est la littérature qui propose une réponse. Il n’est pas certain que cette réponse soit juste, soit exacte mais en tout cas, elle est plausible et permet d’avancer et de tenter de trouver l’origine de « la catastrophe familiale ». Sans la littérature, sans le recours à la fiction, l’échec était assuré car le puzzle restait incomplet. Or, c’est par la littérature qu’il reste quelque chose de Marguerite et d’André, les grands-parents de l’auteur. Et c’est toujours la littérature qui permet de comprendre, en redonnant vie à Marguerite notamment, mais aussi à Marie-Ernestine, le suicide du père de l’auteur. Même si les pièces du puzzle sont un peu tordues et qu’elles ne s’emboîtent pas forcément à la perfection, l’image apparaît. On fait plus que la deviner. On la comprend. On la voit. Se révèle alors ce que l’on a cherché à faire disparaître. Magie de la littérature. Ce qui me plaît aussi, c’est la façon dont l’auteur fait confiance à la littérature pour l’aider à retrouver ce qui a été perdu, la façon dont il lui confie d’une certaine façon la mission d’explorer un espace resté volontairement tu depuis longtemps. C’est la littérature qui crée le réel manquant, qui met en lumière « les points aveugles et les angles morts », là même où la photo échoue.

Cette lecture m’a renvoyée à mon histoire. Il m’a semblé que je n’avais pas suffisamment prêté attention à certaines voix lointaines, peut-être aujourd’hui à jamais disparues, mais dont je suis porteuse. Je n’ai pas de maison à fouiller, pas de tiroirs à explorer, pas de grand piano dont les sons se feraient l’écho de notes anciennes. C’est peut-être mieux comme ça, partir de rien pour tout imaginer, cela laisse peut-être une plus grande liberté…



 

jeudi 6 novembre 2025

La Folie Océan de Vincent Message

Éditions du Seuil
★★☆☆☆

« La Folie Océan » avait tout pour me plaire et j’avais vraiment hâte de le lire. En effet, il est question de lieux que je connais très bien puisque j’y passe mes vacances depuis plus de vingt ans : la Côte de Granit Rose du côté de Perros-Guirec.

Quel plaisir en effet de retrouver tous ces lieux si familiers : La Pointe du Dourven où nous allons pique-niquer chaque année, Ploumanac’h où ma môman a une petite maison de pêcheur, l’île Grande où nous marchons jusqu’à l’école de voile quand les plus courageux en font le tour ! Quant à l’archipel des 7 îles, je l’ ai découvert l’été dernier. Nous étions à dix kilomètres de la côte alors que j’avais l’impression d’être au bout du monde à photographier les phoques gris et les Fous de Bassan. Bref, j’étais ravie de me plonger dans ce texte et de retrouver l’île Rouzic, l’île Malban et toutes les autres jusqu’à l’île du Cerf.

Mais il s’est trouvé que je venais juste de finir le roman qui vient de remporter le Prix Goncourt : « La maison vide » de Laurent Mauvignier.

Je sais qu’il ne faut pas comparer : ces deux romans n’ayant rien à voir l’un avec l’autre... Mais, il faut être honnête : autant l’un est un texte littéraire écrit dans une langue remarquable, autant l’autre n’a aucune écriture et ne témoigne d’aucune recherche particulière sur la forme. Le propos n’est pas inintéressant, loin de là. Il est même très documenté mais je n’ai plus vingt ans pour me contenter d’un sujet, de personnages, d’une intrigue. Non, c’est un peu bête à dire, mais j’ai besoin de lire un texte littéraire, avec un travail sur le style, l’écriture, ou tout du moins avec un ton personnel qui nous fait entendre une « voix » originale. Si je ne trouve pas cela dans une œuvre, celle-ci ne m’intéresse pas. Et j’ai la désagréable impression de perdre mon temps. En disant cela, j’ai bien conscience que je peux mettre à la poubelle quatre-vingt quinze pour cent des œuvres publiées actuellement.

Hélas !

Donc, à la page 163, j’ai abandonné. J’en suis désolée.

Je crois que c’est cela être vieux : savoir qu’il ne nous reste pas forcément beaucoup de temps et donc vouloir se consacrer à ce qui nous semble être le meilleur.

  



 

mardi 30 septembre 2025

La nuit au coeur de Nathacha Appanah

Éditions Gallimard
★★★★★

 On dit d’un livre très fort « qu’on n’en ressort pas indemne.» Je n’ai jamais tellement aimé cette expression que j’ai toujours trouvée un peu surfaite, comme un lieu commun qui n’a plus beaucoup de sens. Et pourtant là, j’ai vraiment envie de l’utiliser. J’ai trouvé le texte de Nathacha Appanah terrible, parfois insoutenable.

L’autrice aborde le sujet des violences conjugales qui conduisent au féminicide. Elle entrelace trois récits au sujet de trois femmes. Deux sont mortes, la troisième est celle qui écrit. Nommons-les : Emma, la cousine du père de l’autrice, Chahinez Daoud et Nathacha Appanah.

Les hommes violents, les bourreaux que sont leurs maris ou compagnons, ressemblent à des hommes ordinaires, souvent charmants au début et puis peu à peu, leur masculinité toxique se déchaîne : les femmes deviennent leur propriété, leur chose, leur possession. Elles sont surveillées, menacées, humiliées, subissent des crises. Elles ne peuvent plus aller où elles veulent, s’habiller comme elles veulent, parler à qui elles veulent. Elles doivent obéir, se la fermer. Sinon…

Le mécanisme de l’emprise est effrayant. Elles finissent par accepter l’inacceptable, se sentent coupables. Elles ont peur. Me revient à l’esprit l’image du compagnon de l’autrice qui se cache parfois dans un taillis près de la maison pour la surprendre. Imaginer ce type sortir de l’ombre… Le cauchemar. Alors, elles déposent plainte, de nombreuses fois mais bon, on les écoute d’une oreille. Alors, elles recommencent, les plaintes s’accumulent sans que rien ne se passe, le quotidien est devenu un supplice. Elles ne sont pas protégées. Des proies faciles. Elles n’ont plus qu’à courir… Cette image de la femme qui court pour échapper à la mort me hante depuis cette lecture.

J’ai presque lu toute l’oeuvre de Nathacha Appanah et dans ce livre, je n’ai pas reconnu son écriture et maintenant, je sais pourquoi. On ne parle pas de l’horreur que l’on a vécue avec les mêmes mots, avec les mêmes phrases que pour une fiction. Ici rien n’est fictif. Au contraire, l’autrice nous mène au coeur du féminicide et en explore tous les recoins. À certains moments, je n’arrivais presque plus à lire tellement j’avais peur de ce qui allait arriver. Son écriture, vive, tendue, se veut précise, juste, colle à l’événement, dissèque les mécanismes, n’oublie aucun détail parce qu’il faut qu’on sache ce qui s’est passé, que l’on connaisse la vérité, il faut raconter comment l’assassin a procédé pour les éliminer, comment elles ont été sacrifiées parce qu’abandonnées par l’État qui ne les a pas suffisamment protégées. Ce livre est sans aucun doute un livre politique : il accuse, appelle à la lutte, à la révolte. On sait que les dysfonctionnements existent, on sait où se trouvent les failles, les manques, on connaît la façon dont le patriarcat conforté par le poids des traditions peut étouffer les femmes.

Si ce texte est un appel à la résistance, il est aussi un mémorial. Il ne faut pas oublier Chahinez Daoud brûlée vive. Il ne faut pas oublier Emma écrasée par la voiture de son mari. Il faut dire, rappeler qui elles étaient, qui elles auraient pu être si elles avaient été protégées correctement. Finalement, ces trois histoires n’en sont qu’une. Elles ne sont que similitudes, analogies, mêmes femmes qui courent dans la nuit. Même solitude.

J’ai trouvé ce livre extrêmement fort. C’est un réquisitoire terrible mais aussi un hymne à la vie que ces femmes pas n’ont pas eue car au fond, ce qu’on leur a refusé, c’est la liberté…

L’autrice redonne vie et voix à ces femmes, refuse qu’elles tombent dans l’oubli, dans l’effacement. Elle fait de magnifiques portraits et les place dans la lumière.

Je suis encore émue et bouleversée

Un texte puissant pour ne pas oublier. Et agir.