Éditions du Seuil
Stéphane Audeguy s’est dit :
on ne peut raconter l’histoire d’un lion. Il nous est en effet impossible
d’adopter le point de vue d’un animal. Il s’est dit aussi : que signifie
être un lion contemporain de la Révolution française ? Un animal vit en
dehors de l’Histoire.
Face à cette double
impossibilité, il a eu envie d’essayer…
Raconter l’histoire du lion
Personne, c’est évoquer l’Histoire de France de 1786 à 1796, période somme
toute plutôt mouvementée, à travers le destin d’un animal né dans la savane sénégalaise
et recueilli par un jeune garçon orphelin qui, parce qu’il est particulièrement
doué pour les mathématiques, sera envoyé par le père Jean à Saint-Louis,
première ville fondée par les Européens en Afrique occidentale, pour suivre
l’enseignement réservé aux Blancs.
On fait alors la connaissance
d’un homme fascinant : Jean-Gabriel Pelletan, philosophe éclairé amateur
des Confessions et de l’Encyclopédie, directeur de la
Compagnie Royale du Sénégal, farouchement opposé à l’esclavage, fervent défenseur
de l’émancipation des fermiers noirs et très attiré par la peau sombre et douce
des hommes du pays…
C’est lui qui accueillera Yacine
et son lionceau Personne… Et, tandis que l’on s’était attaché au personnage du
petit Yacine et que l’on avait momentanément oublié un titre qui place bien au
centre de l’histoire le lion Personne, on est surpris, au détour d’une page,
par la mort brutale du jeune garçon en décembre 1787 d’une épidémie de variole.
Ce n’est pas lui le personnage
principal, c’est un lion, qui est désormais seul.
Jean-Gabriel Pelletan sentant
l’hostilité de la population vis-à-vis de cet animal totalement inoffensif (si,
si !) décide, après avoir tenté de le relâcher avec son compagnon canin
dans une savane où il n’a jamais vécu, de l’envoyer à un certain Buffon,
directeur du Jardin royal et plus ou moins responsable aussi de la Ménagerie
royale de Versailles.
Hélas, il ne fait pas bon être un
lion, surtout à Versailles dans ces
années 1788,1789…
L’Histoire du lion Personne, de façon très originale, nous fait découvrir
l’Histoire de France à travers ce couple étrange d’un lion et d’un chien qui
« n’appartiennent plus à aucune société » : la nature les
rejette, les hommes en ont peur. En cela, ce roman apparaît comme un conte
magnifique que l’on dévore (sans mauvais jeu de mots) en se demandant sans
cesse ce qui va advenir de ces deux êtres solitaires dans une France en pleine
mutation. La dimension historique de l’ouvrage est évidemment
passionnante : comment sont perçus, à ce moment de l’Histoire, des animaux
en cage ? Un divertissement pour les riches, une dépense inutile dans une
France qui a faim, une nourriture disponible et dont il serait dommage de se
priver. En même temps, la symbolique d’un lion-roi sous les verrous n’est pas
inintéressante… C’est avec beaucoup d’humour que l’auteur présente cette
nouvelle vision des choses à l’aube du XIXe siècle…
Ce roman nous permet aussi de
rencontrer des personnages extraordinaires : Jean-Gabriel Pelletan,
humaniste sensible et généreux et Jean Dubois, naturaliste amateur et homme
fasciné par le Progrès, chargé, au nom des autorités de la Ménagerie de
Versailles, d’accueillir les deux bêtes à leur arrivée en France et qui saura,
à force de ruse et d’intelligence, les défendre contre une population affamée
et ivre de liberté. Certains de ses discours pour défendre ses deux amis sont
d’une habileté étonnante et l’on goûte l’humour des propos. Des portraits
d’hommes tout simplement inoubliables.
Et puis, on traverse toute une époque : il est question de
l’Encyclopédie, de Bernardin de Saint Pierre, de Geoffroy de Saint-Hilaire et
des Parisiens… La Grande Histoire vue de la petite…
Enfin, et surtout, on se laisse
porter par une écriture vraiment magnifique, rare à notre époque, à la fois poétique,
sensible, puissante, pleine d’humour et de sous-entendus. J’avais parfois
l’impression de lire un texte ancien, quelques pages du dix-huitième siècle…
Un gros coup de cœur pour ce
texte vraiment superbe que je conserve à portée de main pour le relire
rapidement…
Intrigant ce bouquin. Je le note !
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