Édition Actes Sud
traduit de l'espagnol par C. Bleton
C’est étrange : j’ai
rencontré Víctor del Árbol au Salon du Livre de Paris. J’avais bien peu de
choses à lui dire : je n’avais lu aucun de ses livres (son dernier roman
m’attendait bien gentiment sur une étagère de mon bureau) et je ne savais rien
de lui. Voilà ce que je lui ai dit, passionnant non ? Il a accueilli mes propos avec un immense
éclat de rire, des yeux vifs et pétillants. Il m’a signé un autographe sur la
feuille du bloc-notes que je lui tendais et m’a invitée à le photographier. Il
riait toujours quand je l’ai quitté et je me souviens m’être dit :
« Quelle joie de vivre chez cet homme, quel enthousiasme et quelle
chaleur ! »
C’est avec cette image dans les
yeux et dans le cœur que j’ai ouvert La
veille de presque tout : et là : quel choc ! Etait-ce le
même homme qui avait écrit ce texte magnifique et totalement désespéré ?
Que de mélancolie, de détresse, de souffrance, de chagrin dans cette œuvre très
sombre où chaque personnage porte un lourd passé qui l’empêche totalement de se
projeter dans le présent ! Je crois que ce que je retiendrai de cette
œuvre, c’est avant tout une atmosphère : l’impression d’avancer dans un
cauchemar plein d’ombres et de fantômes où les êtres, écorchés vifs, peinent à
poursuivre leur route et accepteraient volontiers d’en finir avec l’existence
s’il était possible de le faire d’un coup en claquant des doigts.
Présentons les personnages. Le
flic porte un nom étrange : Germinal Ibarra. Il vient de résoudre une
enquête et a été muté à La Corogne, ville de Galice où il est né. Il est appelé
au chevet d’une femme grièvement blessée, Eva Mahler, qui semble le connaître
car elle a demandé à le voir. Qui est-elle ? Qu’est-il arrivé à cette
riche héritière ? Et lui, cet inspecteur sombre et tourmenté, qui
est-il ? Finalement, c’est la question que l’on se pose au sujet de tous
les personnages que l’on rencontre dans cette œuvre. Chacun d’eux, et ils sont
nombreux, cache une blessure profonde, qu’elle vienne de l’enfance ou de l’âge
adulte, qui ne se refermera jamais. Et ils savent qu’ils devront vivre avec.
Mal installés dans la vie, exilés,
victimes de l’Histoire, celle avec un grand H, la dictature argentine et ses
bourreaux ou bien, la petite histoire, celle du quotidien, qui peut faire aussi
mal que la grande, ils sont assaillis par un passé qui les rattrape et qui les
ronge et se débattent pour échapper aux griffes de ce monstre hideux qui les
retient en arrière.
Petit à petit, l’écheveau se
démêle et l’on comprend, au tournant d’une page, l’étendue du désastre que l’on
sentait venir. Personne n’y échappe. La folie rôde et frôle l’épaule de chacun.
La perte d’équilibre semble imminente et hommes et femmes de ce roman semblent
tous prêts à sombrer et à s’écraser sur les rochers, au bas de la falaise. On
ne saura jamais tout d’eux. Ils ont tous leur part d’ombre. Et c’est ce qui
fait le mystère de ces pages magnifiques, pleines de poésie, où l’on entend
hurler le vent violent de Galice, comme un écho à la terrible plainte de ces
personnages qui habitent autant le passé que le présent.
La veille de presque tout, cinquième roman de Víctor del Árbol
publié en France, a remporté le Prix Nadal en Espagne, l’équivalent du prix
Goncourt. L’auteur parvient sans conteste à créer dans ce roman une atmosphère
empreinte d’une tristesse et d’une mélancolie indicibles et ce, grâce à une
langue poétique dont le titre est un magnifique exemple.
A cela s’ajoute une construction
bien pensée, puzzle fait de plusieurs histoires, de plusieurs voix et dont
chaque pièce s’emboîte parfaitement. Des allers-retours entre différents lieux
et temporalités permettent au lecteur d’approcher les personnages et de sonder
le vide vertigineux qui est en eux.
La tragédie est là, inévitable.
Terrible et belle à la fois.
Je repense au sourire de Víctor
del Árbol… Je n’avais pas lu son livre quand je l’ai rencontré. Pas sûr que
maintenant, je verrais le même homme.
De Victor del Arbol, j'ai lu " La tristesse du Samouraï ", un livre qui m'a passionnée mais que j'ai trouvé effectivement très noir, tous les malheurs et crimes les plus horribles semblant s'abattre sur 3 générations d'une même famille, notamment à l'époque du franquisme. Rien lu d'autre de lui depuis, mais ce dernier opus me tente...
RépondreSupprimerAutant son précédent ne me tentait pas, autant celui-ci oui. Et ton billet me donne encore plus envie. Merci.
RépondreSupprimer