Éditions du Seuil
Se lit d’une traite. Voilà, c’est clair et je préfère le dire
dès le début. Ne prévoyez pas une autre activité avant d’avoir
reposé cet ouvrage. Impossible. Ce récit d’un avocat vous happe
littéralement car jusqu’aux trois quarts du livre, vous ne savez
pas où vous allez. Vous sentez bien que l’étau se resserre sur le
personnage principal mais c’est sans entrevoir le pourquoi du
comment et encore moins l’issue. Et la raison est bien simple :
le narrateur non plus ne sait pas où il va. Manipulé ? D’une
certaine façon oui ou bien, fondamentalement, étranger au monde de
la justice ou au monde tout court. Mais bon, commençons par le
commencement…
Le narrateur (le texte est écrit à la première personne) est un
jeune avocat qui, après quelques missions intéressantes, sombre
petit à petit dans un quotidien assez terne : en effet, après
des études de droit, des voyages en Asie Mineure et des fonctions de
rapporteur à la Commission des recours des réfugiés où, pendant
un an, il établit des rapports afin de proposer que soit accordé ou
non l’asile politique à des étrangers, des kurdes souvent, il se
voit finalement confier des tâches subalternes dans différents
services de l’État. Pas de plaidoiries, pas d’effets de manche.
Ainsi, notre gratte-papier kafkaïen, pauvre sous-fifre de la
justice, vit à l’étroit dans son bureau et dans son existence.
Jusqu’au jour où, il reçoit un étrange courrier de Mme H.,
magistrat honoraire à la Cour des comptes rencontrée lors de son
année passée à la Commission des recours des réfugiés. Elle
souhaite le rencontrer. Notre avocaillon se rend au Cercle de l’Union
interallié où il est invité à déjeuner avec la dame en question
et son mari. Très impressionné par les lieux (il faut préciser que
le narrateur souffre de phobies multiples), il se voit exposer un
fait plutôt étrange : en effet, Mme H. entretient une
« correspondance de prison » avec un certain Ahmet
A, détenu turc d’origine kurde emprisonné dans la maison centrale
de Clairvaux et elle attend du narrateur qu’il essaie de faire
sortir le plus rapidement possible ledit Ahmet A., au vu de son
excellente conduite.
Le jeune avocat, rentré chez lui, fait des recherches sur Internet
pour connaître un peu mieux l’affaire Annie B. Il découvre
qu’Ahmet A. et son cousin Unwer K. ont été condamnés le 17 mai
1996 par la cour d’assises du Jura à « trente années de
réclusion criminelle pour l’un, à la réclusion à perpétuité
pour l’autre, en répression des faits de viol aggravé, assassinat
en concomitance, tortures et actes de barbarie » sur la
personne d’une jeune aide-soignante de 25 ans. Souhaitant
rencontrer Ahmet A., l’avocat demande que lui soit envoyé son
dossier administratif. Il découvre l’histoire d’Ahmet et ce qui
s’est passé dans la nuit du 8 au 9 juillet 1994. Je n’en dirais
pas plus pour ne rien dévoiler de l'intrigue.
En fait, à travers une série de chapitres très courts, secs
dirais-je, allant droit à l’essentiel et des détails extrêmement
réalistes, l’auteur place son lecteur dans une situation assez
étrange : en effet, on n’a pas du tout l’impression d’être
dans un roman mais plutôt dans un journal. L’effet de réel est
saisissant et tient certainement au fait qu’Antoine Brea étant
avocat, il maîtrise parfaitement le jargon du droit, des mécanismes
judiciaires et c’est vraiment bluffant de vérité. Vraiment !
A cela s’ajoute la personnalité même de l’avocat : qui
est-il au fond ? Un être anxieux et mal à l’aise dans la
société au point de ne pouvoir partager un repas avec d’autres
convives, un homme un peu naïf que certains manipulent aisément ou
bien un homme gentil et généreux prêt à tout pour aider son
prochain ? Et puis, on se demande pourquoi on lui a confié
cette « mission », à lui précisément ? Simple
hasard ou pas ?
Très vite, le jeune avocat se voit complètement dépassé par les
événements : au-delà du fait divers sordide, l’enquête
dévoilera des zones d’ombre et des manipulations politiques assez
complexes.
Un texte très fort, très serré qui, je vous préviens, ne va pas
vous laisser le temps de respirer.
Percutant !
Où là là ! Mais tu m'intrigues !
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