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dimanche 16 avril 2017

Récit d'un avocat d'Antoine Brea


 Éditions du Seuil

Se lit d’une traite. Voilà, c’est clair et je préfère le dire dès le début. Ne prévoyez pas une autre activité avant d’avoir reposé cet ouvrage. Impossible. Ce récit d’un avocat vous happe littéralement car jusqu’aux trois quarts du livre, vous ne savez pas où vous allez. Vous sentez bien que l’étau se resserre sur le personnage principal mais c’est sans entrevoir le pourquoi du comment et encore moins l’issue. Et la raison est bien simple : le narrateur non plus ne sait pas où il va. Manipulé ? D’une certaine façon oui ou bien, fondamentalement, étranger au monde de la justice ou au monde tout court. Mais bon, commençons par le commencement…
Le narrateur (le texte est écrit à la première personne) est un jeune avocat qui, après quelques missions intéressantes, sombre petit à petit dans un quotidien assez terne : en effet, après des études de droit, des voyages en Asie Mineure et des fonctions de rapporteur à la Commission des recours des réfugiés où, pendant un an, il établit des rapports afin de proposer que soit accordé ou non l’asile politique à des étrangers, des kurdes souvent, il se voit finalement confier des tâches subalternes dans différents services de l’État. Pas de plaidoiries, pas d’effets de manche.
Ainsi, notre gratte-papier kafkaïen, pauvre sous-fifre de la justice, vit à l’étroit dans son bureau et dans son existence.
Jusqu’au jour où, il reçoit un étrange courrier de Mme H., magistrat honoraire à la Cour des comptes rencontrée lors de son année passée à la Commission des recours des réfugiés. Elle souhaite le rencontrer. Notre avocaillon se rend au Cercle de l’Union interallié où il est invité à déjeuner avec la dame en question et son mari. Très impressionné par les lieux (il faut préciser que le narrateur souffre de phobies multiples), il se voit exposer un fait plutôt étrange : en effet, Mme H. entretient une « correspondance de prison » avec un certain Ahmet A, détenu turc d’origine kurde emprisonné dans la maison centrale de Clairvaux et elle attend du narrateur qu’il essaie de faire sortir le plus rapidement possible ledit Ahmet A., au vu de son excellente conduite.
Le jeune avocat, rentré chez lui, fait des recherches sur Internet pour connaître un peu mieux l’affaire Annie B. Il découvre qu’Ahmet A. et son cousin Unwer K. ont été condamnés le 17 mai 1996 par la cour d’assises du Jura à « trente années de réclusion criminelle pour l’un, à la réclusion à perpétuité pour l’autre, en répression des faits de viol aggravé, assassinat en concomitance, tortures et actes de barbarie » sur la personne d’une jeune aide-soignante de 25 ans. Souhaitant rencontrer Ahmet A., l’avocat demande que lui soit envoyé son dossier administratif. Il découvre l’histoire d’Ahmet et ce qui s’est passé dans la nuit du 8 au 9 juillet 1994. Je n’en dirais pas plus pour ne rien dévoiler de l'intrigue.
En fait, à travers une série de chapitres très courts, secs dirais-je, allant droit à l’essentiel et des détails extrêmement réalistes, l’auteur place son lecteur dans une situation assez étrange : en effet, on n’a pas du tout l’impression d’être dans un roman mais plutôt dans un journal. L’effet de réel est saisissant et tient certainement au fait qu’Antoine Brea étant avocat, il maîtrise parfaitement le jargon du droit, des mécanismes judiciaires et c’est vraiment bluffant de vérité. Vraiment !
A cela s’ajoute la personnalité même de l’avocat : qui est-il au fond ? Un être anxieux et mal à l’aise dans la société au point de ne pouvoir partager un repas avec d’autres convives, un homme un peu naïf que certains manipulent aisément ou bien un homme gentil et généreux prêt à tout pour aider son prochain ? Et puis, on se demande pourquoi on lui a confié cette « mission », à lui précisément ? Simple hasard ou pas ?
Très vite, le jeune avocat se voit complètement dépassé par les événements : au-delà du fait divers sordide, l’enquête dévoilera des zones d’ombre et des manipulations politiques assez complexes.
Un texte très fort, très serré qui, je vous préviens, ne va pas vous laisser le temps de respirer.

Percutant !

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