Éditions Le Tripode
traduit de l'allemand par Chantal Philippe
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)
L'originalité
de ce livre, c'est le ton que le narrateur-auteur adopte pour
raconter sa propre vie, l'oeuvre étant en grande partie
autobiographique… Et quelle vie ! Un ton un peu détaché,
beaucoup d'autodérision, d'ironie et de références à une
sexualité assez débridée pour évoquer une vie difficile qui a
coïncidé avec une des pires périodes de l'Histoire : la
Seconde Guerre mondiale et le nazisme.
En
effet, Ruben Jablonski, de confession juive, quitte avec sa famille,
dès juillet 1938, Halle-sur-Saale en Allemagne, pour aller vivre
chez ses grands-parents en Roumanie, en Bucovine et plus précisément
à Sereth (actuellement le nord de cette région est en Ukraine,
l'autre en Roumanie et Sereth se trouve côté roumain juste avant la
frontière ukrainienne). Le père reste en Allemagne pour vendre son
magasin puis compte partir pour Paris. L'enfance du narrateur dans
cette région fut un bonheur absolu : les baignades dans la
rivière, les balades à poney, les copains, l'école, le café, les
bougies allumées pour Shabbat, l'apprentissage du yiddish.
L'évocation des traditions juives et des mœurs dans cette petite
ville me fait penser aux toiles de Chagall.
Une
période d'insouciance bien loin des mauvaises nouvelles venues
d'Allemagne, de la Nuit de Cristal et des troubles qui ont suivi.
Mais la guerre semble vouloir les rattraper : la Roumanie
devient fasciste et en 1941, les juifs de Sereth sont déportés vers
l'est jusqu'au ghetto de Moguilev-Podolski, ville ukrainienne sur la
rive orientale du Dniestr où ils parviennent à loger dans une école
russe. Là, il faut survivre, se ravitailler comme on peut, ruser
pour exister. « … à douze ans, on ne prend pas les choses au
sérieux, et je voyais notre émigration plutôt comme une aventure »
raconte Ruben qui va très vite comprendre que sans un brin de
magouille, de malice et une chance inouïe, on ne s'en sort pas.
Après
la libération du ghetto par les Russes en 1944, (il ne reste que
cinq mille survivants sur les quarante mille juifs du ghetto), le
narrateur quitte sa famille et revient à pied en Roumanie. S'en suit
alors tout un périple qui a pour nom l'exil et qui mènera l'auteur
jusqu'en Israël.
Il
faut savoir que tous les grands épisodes de cette incroyable
existence ont donné lieu à des récits : par exemple la
déportation au ghetto de Moguilev-Podolsk de 1941 à 1945 est
racontée dans Nuit (1964) et il s'inspire de son
séjour en Israël pour écrire Le Nazi et le Barbier
(1971). En fait, Les Aventures de Ruben Jablonski
(1997), huitième livre de l'auteur, fait la synthèse des autres
œuvres largement autobiographiques et, à mon avis, à lire
absolument si l'on veut vraiment se rendre compte de ce qu'a enduré
l'écrivain. Sachez aussi qu'Edgar Hilsenrath a soufflé le 2 avril
2017 ses 91 bougies !
Dans
le roman, Ruben souhaite devenir écrivain et il dit après avoir
découvert l'oeuvre de Remarque qu'il voudrait « réussir à
mettre en œuvre cette légèreté apparente avec laquelle Erich
Maria Remarque décrivait des scènes impressionnantes qu'il
pimentait de dialogues très particuliers. » Je trouve que
l'on a défini là l'impression qui se dégage effectivement du
roman : une légèreté apparente, une espèce de ton neutre qui
font que la terrible réalité nous est décrite sans pathos.
Évidemment, certains lecteurs seront peut-être gênés par cette distance liée à l'écriture même. Je crois qu'au contraire le projet de Hilsenrath est de dire. De TOUT dire sans rien censurer : ce qu'il a vu, ce qu'il a ressenti (et tant pis si, au pire moment de la guerre, son appétit sexuel le gagne), ce qu'il a fait (voler, trahir pour manger, pour vivre).
Oui, il dit et ça peut choquer.
Mais c'est la vie.
Et précisément, ce qui domine, finalement c'est son goût pour la vie, les femmes et l'écriture. Cela le sauvera.
Les Aventures de Ruben Jablonski sont le roman initiatique d'un jeune homme qui va faire un pied de nez à l'Histoire : vous ne m'aurez pas, je m'en sortirai toujours. Bel hymne à la vie : car dans les pires moments, il trouve toujours l'envie et le besoin insatiable d'aimer, de se faire plaisir, d'apprécier le corps d'une femme, de déguster une délicieuse pâtisserie, de fumer une cigarette, d'admirer un paysage.
Évidemment, certains lecteurs seront peut-être gênés par cette distance liée à l'écriture même. Je crois qu'au contraire le projet de Hilsenrath est de dire. De TOUT dire sans rien censurer : ce qu'il a vu, ce qu'il a ressenti (et tant pis si, au pire moment de la guerre, son appétit sexuel le gagne), ce qu'il a fait (voler, trahir pour manger, pour vivre).
Oui, il dit et ça peut choquer.
Mais c'est la vie.
Et précisément, ce qui domine, finalement c'est son goût pour la vie, les femmes et l'écriture. Cela le sauvera.
Les Aventures de Ruben Jablonski sont le roman initiatique d'un jeune homme qui va faire un pied de nez à l'Histoire : vous ne m'aurez pas, je m'en sortirai toujours. Bel hymne à la vie : car dans les pires moments, il trouve toujours l'envie et le besoin insatiable d'aimer, de se faire plaisir, d'apprécier le corps d'une femme, de déguster une délicieuse pâtisserie, de fumer une cigarette, d'admirer un paysage.
Cet
appétit de la vie, qui donne l'impression qu'il va toujours s'en
sortir, se débrouiller pour trouver une échappatoire, me rappelle
celui de Charlotte Delbo dont parle Valentine Goby dans « Je me promets d'éclatantes revanches » : oui
d'Auschwitz, on peut se délivrer, dit celle qui compte bien profiter
de la vie, rire, fumer, aimer, manger, s'abandonner au superflu et
écrire. Pour se libérer, pour prouver que l'on existe encore, que
l'on est vivant.
Eh
bien, Ruben (Edgar) semble avoir mis en œuvre cette technique de
survie dès son enfance. Il s'en sortira lui aussi par la parole, en
racontant ce qu'il a vu, tel qu'il l'a vu, sans trémolos, sans
ornements, sans cris, sans pleurs. C'était comme ça, c'est tout et
inlassablement, dans l'oeuvre, dès qu'il rencontre quelqu'un, il
raconte, reprend depuis le début (ce qui d'ailleurs crée un effet
un peu étrange pour nous lecteurs puisque nous savons déjà tout
cela, nous venons juste de le lire!) Mais peu importe. Il faut dire
et redire. Raconter, répondre aux questions parfois naïves ou
déroutantes sans jamais s'énerver, sans jamais verser une larme,
sur le simple ton du constat.
Oui,
il s'agit donc bien là d'un roman d'aventures - et l'on sait que les
super héros ne meurent jamais ! - qui a quelque chose de
l'esprit BD (soudain, je repense aussi au travail d'Art Spiegelman
pour Maus), ce que rend très bien la magnifique
couverture graphique très colorée : un pied de nez à la mort
dans cette volonté absolue de s'en sortir et de jouir de la vie.
Longue
vie à vous Edgar Hilsenrath, chaque jour que vous vivez est une
petite victoire sur le mal qu'ils auraient aimé vous faire et la
preuve même qu'ils ont échoué.
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