Les Éditions de l'Observatoire
★★★☆☆ (J'ai bien aimé)
Figurez-vous
qu'au moment même où j'ouvrais les premières
pages de ce livre, quelques flocons commençaient à tomber sur mon
village normand. Maintenant, une couche de neige bien épaisse
recouvre tout le paysage. Personne dans les rues. Difficile alors
d'être plus en phase avec un livre qui raconte le quotidien de deux
hommes coupés du monde dans un paysage enseveli sous la neige ! Bon, ma maison a l'air plus solide que la leur (enfin j'espère!), on
trouve encore de quoi manger dans l'épicerie du coin et ce soir, je
pourrai allumer la lumière (le dire porte malheur, alors je me tais
!) Passons...
Le
Poids de la neige m'a fait penser à d'autres livres que j'ai
lus récemment et qui racontaient le quotidien de gens privés
d'électricité, dans une atmosphère de fin du monde (comment
pourrait-il en être autrement?) : le merveilleux livre de Jean
Hegland Dans la forêt
et celui d'Emily St. John Mandel : Station eleven.
Comme quoi, la privation d'électricité est visiblement LA phobie du
XXIe siècle : plus de chauffage, d'eau chaude, de téléphone,
d'ordinateurs et de tout ce qui est informatisé (je vous laisse
faire la liste, elle est infinie !) Une autre vie quoi !
Dans
ce roman, deux hommes sont amenés à partager leur quotidien dans
une maison abandonnée : l'un, le narrateur, un jeune
mécanicien, est revenu au village pour voir son père mourant. Mais,
sur la route, il a eu un très grave accident et a perdu
momentanément l'usage de ses jambes. Il est alité et muet.
L'autre,
Matthias, un homme âgé, était de passage lorsqu'il a dû trouver
refuge à cause du froid. Il espère repartir au plus vite pour
retrouver sa femme restée en ville. En attendant, il est coincé. Il
s'occupe de soigner son coloc' (en échange, on lui a promis une
place dans un convoi qui partira au printemps), fait la cuisine, le
ménage, alimente le poêle, lit, part dans le village à la
recherche d'une nourriture qui se raréfie. Il tente aussi d'engager
la conversation mais le plus jeune ne répond pas.
Il
y a du En attendant Godot dans cette œuvre, ce huis
clos, où l'on attend de pouvoir repartir mais vers quoi exactement ?
Y a-t-il encore quelqu'un ailleurs ? Une âme qui vive ? Et
où ? Dans quelle direction ? Et que faire de ce moment
présent qui s'étire infiniment ? Comment le remplir,
l'occuper, faire en sorte de ne pas devenir fou ? Regarder la
neige tomber, s'accumuler, rendant impossible tout désir d'évasion
est-il un divertissement « suffisant » ? (Je
repense, veuillez m'en excuser, c'est obsessionnel chez moi, à un de
mes romans préférés : Un Roi sans divertissement
de Giono dont le thème central est précisément celui de l'ennui et
de la nécessité pour l'homme de se divertir, de se détourner de sa
condition de mortel en se divertissant - chasse, pêche, balades,
meurtres (eh oui!). Des disparitions étranges ont lieu l'hiver dans
un petit village de montagne recouvert de neige… Je ne vous en dis
pas plus...) Faut-il profiter du moment présent, admirer la beauté
de ce paysage à la fois fascinant et dangereux, contempler la beauté
qui est offerte ? Ou bien faut-il tenter de fuir au plus vite au
risque de rester bloqué et de mourir ?
Et
cet autre, là, celui avec lequel on partage ce quotidien étrange,
faut-il le supporter, l'aider, le soigner ou... le tuer ?
Doit-il devenir un ami ou un ennemi ? Plus on avance dans
l'oeuvre, plus la tension est palpable entre les deux hommes. La
relation oscille sans cesse entre la solidarité et la méfiance,
mais jusqu'à quand tiendront-ils ainsi ?
La
seule chose qui change, chaque jour, c'est l'épaisseur de la couche
de neige dont la mesure précise est indiquée en tête de chapitre -
d'ailleurs, dans un premier temps, je me suis demandé à quoi ces
nombres correspondaient. Le narrateur observe ces variations sur un
piquet planté à l'extérieur et il peut les surveiller de loin
grâce à la longue vue que Matthias lui a donnée. Et chaque jour,
ça empire, rendant impossible toute évasion comme si l'hiver
prenait en otage deux hommes, les obligeant à demeurer loin
de tout dans une solitude oppressante. L'auteur, interviewé, avoue
qu'il adore les récits dans lesquels il ne se passe rien car tout
peut arriver à chaque instant. Et c'est vrai qu'il y a une tension
réelle dans ce roman.
Je
regarde par la fenêtre, la neige s'épaissit, la nuit va bientôt
tomber. La lumière est étrange ce soir. Je vois mon voisin, plus
tout jeune, qui sort. Je m'interroge sur ce que deviendraient nos
rapports si l'électricité venait à manquer, entraînant l'absence
de nourriture et de chauffage. Reste-t-on humain dans un monde sans
électricité ? Une seule chose en moins,(bon d'accord,
l'électricité, ce n'est pas rien) et le monde serait tout autre,
comme quoi, finalement, notre civilisation ne tient pas à
grand-chose... Ce serait très probablement l'effondrement de la vie
en société, de notre comportement civilisé. Nous redeviendrions
des bêtes sans morale, prêtes à tout pour survivre.
Mon
voisin retourne à pas tranquilles vers sa maison, il me voit
derrière ma fenêtre et me fait un petit signe : j'ouvre. « ça
vous dirait un peu de mâche ? De ce temps-là, on va la perdre,
je vous en mets dans un sac. »
Tout
va bien.
S'il
savait ce que j'avais en tête deux minutes plus tôt, il serait
horrifié...
Je
vous aime, frères humains, à condition que l'électricité
parvienne jusque chez moi…
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