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dimanche 8 juillet 2018

Dans les angles morts d'Elizabeth Brundage


Éditions Quai Voltaire/ La Table Ronde
★★★★★ (J'ai adoré)

Voici un roman qui m'a rappelé de délicieuses heures lorsque adolescente, plongée dans la lecture de Rebecca de Daphné Du Maurier, j'oubliais tout du monde qui m'entourait. Cette sensation vous fait un effet « petite madeleine » ? Vous rêvez d'entrer de nouveau dans un univers étrange et mystérieux (les vacances et leur temps sans contraintes s'y prêtent merveilleusement bien) ? 
Alors, sans aucun doute, Dans les angles morts est pour vous, car il y a du Rebecca dans ce récit fascinant d'Elizabeth Brundage d'une puissance romanesque à couper le souffle (oui, la métaphore est un peu usée mais tant pis, j'assume!)
Je vous explique : un jeune couple de New-Yorkais, les Clare, souhaitant quitter leur appartement exigu et cher, s'installe avec leur fille, Franny, dans une ancienne bâtisse, la ferme des Hale, vendue aux enchères pour une bouchée de pain. Quelle chance de pouvoir profiter de ce lieu unique où la vue sur la campagne est digne des plus beaux tableaux du XIXe !
Qui sont ces Hale ? Des fermiers qui firent faillite. Après avoir vendu tout ce qu'ils pouvaient vendre, ils se suicidèrent dans leur ferme, laissant trois jeunes garçons : Cole, Eddy et Wade qui furent élevés par leur oncle.
Or, lorsque les Clare prennent possession de leur nouvelle demeure, le mari, George, ne souhaite pas que Catherine soit informée de la mort tragique qui a eu lieu précisément là où ils comptent démarrer une vie nouvelle, pleine d'espoir. Pour lui, ces événements appartiennent au passé mais il sait que pour sa femme, plutôt nerveuse, assez sensible et un brin dépressive, cette information lui ferait à coup sûr renoncer à cet achat.
Leur vie commence donc dans cet univers qui leur est complètement étranger : tandis que George part à l'Université où il enseigne l'histoire de l'Art, Catherine, qui a abandonné à contrecoeur son métier de restauratrice de fresques murales, se familiarise tant bien que mal avec des lieux qu'elle trouve d'autant plus oppressants qu'elle a l'impression que la maison est encore habitée...
Or nous savons d'emblée, dès les premières pages du roman, que Catherine sera retrouvée morte dans son lit, assassinée, une hache enfoncée dans le crâne…
Qui a pu tuer cette femme douce et généreuse qui ouvrira sa porte aux enfants Hale, leur donnant à manger, confiant sa fille à l'un d'eux ou leur proposant de repeindre la façade de la maison pour qu'ils se fassent un peu d'argent ? Difficile d'ailleurs pour ces jeunes de reprendre contact avec cette maison qui fut celle de leur enfance et de leur bonheur...
C'est dans un très long retour en arrière que l'auteur fera le portrait minutieux de ce couple, les Clare, qui espère vivre mieux loin de la ville, dans des paysages qui ressemblent fort aux tableaux de Frederic Church ou de Thomas Cole, peintres de l'école de l'Hudson que monsieur George Clare affectionne particulièrement et dont il parle souvent à ses élèves de l'Université privée de Chosen. Mais si ce dernier semble heureux de vivre un peu retiré du monde, Catherine souffre de sa solitude et ce qu'elle va découvrir petit à petit est loin de la rassurer.
Le traitement des personnages principaux est particulièrement bien soigné et leur analyse très détaillée, et il en va de même pour les personnages secondaires décrits de façon minutieuse, par petites touches, ce qui leur confère beaucoup d'épaisseur psychologique.
Au fond, ce roman interroge sur la complexité des êtres : se résument-ils à l'image qu'ils donnent d'eux-mêmes, une image en trompe-l'oeil, ou cachent-ils ce qu'ils sont vraiment jusqu'à ce qu'un jour la vérité éclate dans la pire des violences ? De l'ambiguïté des êtres et de leur mystère…
Entre thriller littéraire (quelle écriture magnifique et quelle construction au cordeau !) et roman d'analyse, Dans les angles morts est un texte totalement envoûtant où se mêlent secrets, non-dits et silences pesants. La mort est là, dans chaque angle, sous chaque mot. Elle se tient là, tapie, et quand on s'y attend le moins, elle s'abat violemment sur ceux qui n'ont pas su la voir venir ou n'ont pas eu le temps de fuir…
Une vraie tragédie dont nous sont très progressivement dévoilés tous les rouages, si minuscules soient-ils.

Si vous souhaitez revivre de belles heures de lecture hors du monde… partez pour la ferme des Hale… Pas sûr que vous en reviendrez indemnes !

        






6 commentaires:

  1. IL m'a plu, ce roman. Et finalement il m'a pas mal marquée.

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  2. Oh la la, mais quelle chronique ! Ilest 22H et tu me donnes envie d'aller défoncer la porte d'une librairie pour aller me le chercher ! Je le note !

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  3. Ce roman est vraiment exceptionnel: surtout, Christelle, n'hésite pas à te le procurer, tu vas te régaler! (et quelle magnifique écriture!)

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  4. Je lis ce livre comme on siropte un nectar je prends mon temps j'ai peur de le finir et devoir commencer une autre lecture.

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  5. merci pour ce partage "passionnel" que j'ai reçu comme tel, un ressenti de Steinbeck, du texte...du très beau texte

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