Éditions Inculte
★★★★★ (fascinant...)
Fascinant,
envoûtant, captivant, magnétique… Voici les adjectifs qui me
viennent à l'esprit pour décrire le dernier roman d'Olivier
Hodasava : « Une ville de papier », publié chez
Inculte et cela tient, je crois, à trois éléments : le sujet,
la construction et l'écriture.
Le
sujet : alors là, accrochez-vous...
Nous
sommes dans les années trente, aux États-Unis, en plein essor de
l'industrie automobile. Pour inciter la population à parcourir les
grands espaces américains, les géants du pétrole via les
stations-services leur offrent des cartes routières…
Avril
1931 : le patron de la General Drafting, société spécialisée
dans la cartographie, invite un de ses employés, un certain Desmond
Crothers, à déjeuner dans un restaurant chic de New-York. Il veut
en effet le remercier pour son travail sérieux et consciencieux.
Pour ce faire, il va lui proposer d'ajouter un « Copyright
Trap » de son choix sur la carte du Grand Est américain pour
laquelle ils sont en train de travailler. Un « Copyright
Trap » ? Quèsaco ? Ah ah, vous n'avez jamais entendu
parler de cette bête-là ? Eh bien, figurez-vous que pour
s'assurer de ne pas être copiés par des concurrents et donc pour
protéger leurs droits d'auteurs, jusque dans les années 80/90, les
concepteurs de cartes ajoutaient... une ville imaginaire. Ainsi,
s'ils retrouvaient celle-ci sur la carte d'un concurrent, il leur
était très simple de prouver que leur travail avait été copié.
Et ça existe vraiment les « Copyright Trap » ? Mais
OUI ! Aussi incroyable que cela puisse paraître : allez
jeter un coup d'oeil sur l'article Wikipédia… Il y a eu des villes
imaginaires (Agloe, dans l'Etat de New York), des rues imaginaires
et, toujours pour éviter le plagiat, dans des encyclopédies, vous
pouvez aussi trouver des entrées imaginaires, des noms propres
imaginaires… Comme je vous le disais, c'est fascinant ! Voilà
qui aurait beaucoup plu à Borges, tiens ! Donc, revenons à
notre employé modèle : il va donc avoir l'honneur de placer
sur la carte de l'Est américain une ville fantôme dont il choisira
le nom…
Sur
ce point, je n'en dis pas plus sinon qu'après avoir parcouru les
premières lignes, vous êtes littéralement ferré, happé, captivé
et vous allez jusqu'au bout du roman d'une traite ! Je crois que
ce livre a un pouvoir magique… Si, si...
Bon,
à présent la construction : en fait, ce roman est l'histoire
même de cette ville inventée par l'employé Desmond Crothers et
l'on voit la façon dont différentes personnes ( un commerçant, une
ancienne miss, Walt Disney lui-même, des hippies, Stefen King en
personne…) se sont emparés de ce lieu, que ce soit pour y bâtir
une épicerie, un podium, une cité ou bien comme sujet d'écriture…
En fait, l'ensemble est présenté comme une enquête menée par un
homme fasciné par le sujet et qui va interroger différents
témoins : l'effet de réel marche à fond, ce qui fait que
l'on croit vraiment à tout ce qui nous est raconté. Il y a, dans
ce roman, un jeu important entre la fiction et la réalité qui est
vertigineux. On passe de l'un à l'autre continuellement, et les
repères entre l'illusion et le réel finissent par s'estomper, se
brouiller et s'annuler voire s'inverser, car finalement, cette ville
qui n'existe pas finit par avoir plus de consistance, plus d'histoire
et donc plus de réalité que tout autre lieu. Ici, la fiction plaque
au sol le réel qui ne se relève pas. La fonction performative du
langage s'en donne à coeur joie. Je nomme, tu existes : ils y
vont.
Par
ailleurs, ces différents « témoins » interrogés créent
un effet bluffant de mise en abyme : on a l'impression que tel
ou tel petit détail de leur récit pourrait très bien être
approfondi et donnerait lieu à une autre histoire qui s'ouvrirait à
son tour sur un autre récit.
Et
pour finir l'écriture : elle participe largement de cet effet
de réel : en effet, les descriptions ainsi que l'exposé des
faits, les gestes des personnages sont très précis, très
minutieux, donnant l'impression au lecteur qu'il est là, présent,
qu'il assiste à la scène. C'est stupéfiant.
Il
faut dire aussi que certains détails du récit confèrent parfois à
cette ville imaginaire un pouvoir presque magique, fantastique… On
perd très vite nos repères, on ne sait plus où l'on est (malgré
la carte que l'on a sous les yeux.) Impressionnant…
Pourquoi
n'ai-je pas entendu parler de ce roman plus tôt ? Tiens, ça
aussi c'est incroyable. Décidément !
Allez,
vous n'avez aucune excuse, foncez !
PS :
L'auteur, Olivier Hodasava, a un blog « Dreamlands Virtual
Tour » : depuis 10 ans, il publie tous les jours des
photos prises à partir de Google Maps et Google Street View. Il
invente des petites histoires, propose quelques commentaires
poétiques ou esthétiques… Il est l'un des fondateurs de
l'OuCarPo : l'Ouvroir de Cartographie Potentielle, sur le modèle
de l'OuLiPo. Jetez-y un petit coup d'oeil !
C'est malin ! Comment je vais me le procurer maintenant que j'ai diablement envie de le lire ? Quel bel article !
RépondreSupprimerUn grand merci pour cet article! Jamais je ne me serais penchée sur ce livre autrement, alors qu'il semble effectivement fascinant.
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