J'aime jouer au jeu de l'éditeur : je m'empare d'un roman (un premier roman de préférence) et je me demande si je vais le publier. Je suis très sévère, ça ne rigole pas avec moi. Je suis une petite maison d'édition, je n'ai pas beaucoup d'argent, je ne peux pas prendre de risques. Alors, souvent, je dis NON. Tout sec, tout net. Ce qui est bien, c'est que je n'ai pas à me justifier puisque l'auteur que je refuse ne sait pas qu'il est refusé. Par moi. Et il s'en fout pas mal puisqu'il a été publié. Par un autre. Mais quand même, je lui prodigue quelques conseils, je lui parle, je le rassure même, je lui dis qu'un jour peut-être ou peut-être pas, on verra, je veux bien en relire un autre de lui ou d'elle.
Hier j'ai reçu « Toni tout court ». J'aime bien le titre. Tous ces o, tous ces t, ces trois mots. Le titre accroche, il pique, harponne. Et puis, c'est original comme prénom, Toni, pour une fille (en France, du moins.) Les gens aiment bien les trucs transgenres en ce moment. Bon, ce flux de conscience coule pas mal, je n'aurais pas parié sur l'alternance de la première et de la troisième personne, mais franchement, l'effet est top, comme si Toni était elle-même et une autre, elle et les autres, unique et polyphonique, seule et multiple. Le tout s'agence assez bien. Je note, je réfléchis, l'instant est grave. Et puis ce « mes cheveux mes cheveux » obsessionnel qui scande le texte, l'hystérise, l'agite, le convulse, c'est pas mal aussi ce truc, et les propos de sa mère qui lui reviennent continuellement, parce qu'on n'oublie jamais les mots de l'enfance... Des phrases qui claquent : « Je suis un temps mort » « Je suis un corps sans voix ». Ces temporalités qui se télescopent, le passé qui s'insinue dans le présent, qui redevient présent « Tout remonte d'une manière ou d'une autre, tout remonte ». Cette unité de temps. Je prends des notes, ce texte retient mon attention, c'est certain.
Pour autant. On n'a pas déjà vu un peu ça avec Sarraute et les autres? Est-ce qu'on n'est pas en train de creuser un énième sillon dans un énième champ intensivement exploité? C'est sûr, il y a du rythme, des phrases nominales, des infinitifs. C'est moderne. Il est question des corps, du sang, des seins, du vomi, du vrai vomi qui sort du corps et du vomi métaphorique. Dans l'air du temps, le vomi. Quand on n'est pas bien dans la littérature, on vomit. On n'est jamais très nuancé dans la littérature. Et puis, le rapport au beau-père (jamais terrible), à la mère (toujours compliqué). J'avoue que cette lecture m'ennuie un peu finalement. Mais bon, la dernière phrase est belle : « et sans doute, enfin, le corps devine. »
Je suis emmerdée.
Je publie ou pas ?
Incontestablement, on assiste à quelque chose. Une Toni qui, le jour de ses vingt ans, devient Toni, une femme. Et si on assistait aussi à la naissance d'une écrivaine, oui c'est peut-être ça. Certainement même.
Je parie, je prends, j'édite.
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