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vendredi 25 avril 2025

Bristol de Jean Échenoz

Éditions de Minuit
★☆☆☆☆
(sans intérêt)

Me voici abasourdie, sidérée, ébahie, bouche bée, déconcertée, éberluée, médusée, soufflée et je dirais même plus interloquée. Par quoi ? me direz-vous. Par les nombreuses critiques très élogieuses voire dithyrambiques sur le dernier roman de Jean Échenoz. Sans rire, c’est une blague ? Alors là franchement, je ne comprends pas tant d’éloges, une si belle unanimité dans les louanges. Pour ma part, j’ai trouvé l’histoire inexistante. Mais pourquoi pas. Vous me direz, avec Minuit, on n’est pas là pour ça. Ok ok. Nourrie au Nouveau Roman dès mon plus jeune âge, je ne peux pas dire que cela me dérange beaucoup, les absences d’histoires. On s’enquiquine ferme en lisant mais ce n’est pas grave. Voyons l’écriture, les procédés stylistiques alors. Mais quelle écriture, quels procédés stylistiques ? C’est plat et sans intérêt particulier. Quelques vieux relents du Nouveau Roman qui n’ont plus aucun intérêt ni originalité à notre époque. Donc rien de nouveau sous le soleil. Dites-moi, en quoi c’est « brillant », « intelligent » (j’ai même trouvé « jubilatoire »!!!!), « drôle » (à quel moment?) ou je ne sais quoi, comme je l’ai lu un peu partout ? Parce qu’une scène est décrite du point de vue d’une mouche ? Certains m’ont dit que c’était une parodie du Nouveau Roman. Parce qu’on en est encore là ? Quel intérêt franchement !

C’est mauvais et raté.

C’est tout.


 

dimanche 13 avril 2025

Paris-Babel Histoire linguistique d'une ville-monde de Gilles Siouffi

Éditions Actes Sud
★★★★★

 Le projet était pour le moins ambitieux : écrire une histoire linguistique de Paris et de sa périphérie, des origines jusqu’au XXIe siècle ! Eh bien, le pari est gagné et le livre vraiment passionnant. Parler de la langue, c’est bien évidemment parler de politique, d’économie, d’art, de mouvements migratoires, de mœurs etc. Autant dire qu’on lit aussi une Histoire de la Capitale voire de la France. Parler d’une langue, c’est aussi parler des autres langues, celles des régions et celles de l’étranger car les apports sont évidemment toujours très nombreux. Bien entendu, l’autre problématique est celle d’une norme que l’on veut imposer : la langue de la Capitale. Pourquoi elle et pas les autres ? Mais quelle est-elle au juste cette langue de la Capitale ?

Allez, je vous en dis deux mots pour vous donner envie de vous lancer dans la lecture de ce texte qui se lit comme un roman.

Tout commence en 53 av.J.-C : Jules César réunit les chefs gaulois sur une île de la rivière Sequana où se tenait l’oppidum des Parisii. Il appelle ce lieu Lutecia Parisiorum : « la Lutèce des Parisii ». Cette Lutèce comporte entre 2000 et 5000 habitants concentrés sur la rive gauche, au pied de la montagne Sainte-Geneviève. Autour, il n’y a que forêts et marécages. Les habitants parlaient gaulois, langue utilisée pour la vie quotidienne. Pour tout ce qui est administratif, on utilise le latin. Les deux se mélangent constamment. Bien plus tard, au XI e siècle, le picard, le wallon, le poitevin-saintongeais ainsi que le normand seront très influents. Le normand insulaire conquiert la place de langue littéraire notamment à travers les « Lais » de Marie de France. Le picard et le champenois se développent dans la tradition littéraire à travers l’oeuvre de Chrétien de Troyes à l’origine du cycle du Graal. Le centre de Paris est l’île de la Cité où siège une communauté de prêtres : ils étudient et copient des manuscrits. L’étude se fait en latin. Paris attire les étudiants de toutes les capitales voisines : ils sont 10 000 sur une population de 100 000. En 1253, Pierre de Sorbon crée La Sorbonne : l’université est un monde cosmopolite et polyglotte. Les étudiants échangent dans un latin oral que l’on ne prononce pas de la même façon selon le pays d’où l’on vient. Qu’est-ce que le français au XIIIe siècle ? C’est un joyeux mélange de picard, normand, bourguignon et d’un parler d’Île de France. Vous y ajoutez du latin et des langues étrangères et vous devriez à peu près y être ! En tout cas, à Paris, il n’y a pas encore d’activité littéraire comme en Normandie, en Picardie ou en Champagne.

Dès le XIVe, la connaissance du latin diminue rapidement, les médecins pratiquent, sans connaître le latin, ce que la Faculté de Paris leur défend de faire. Les néologismes sont nombreux car c’est une époque de progrès technique. On crée des mots qui permettent une compréhension facile : « vinaigre », « culbuter », « garde robe ». Nul besoin de connaître le latin pour comprendre ces mots !

C’est en 1539, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts que François Ier demande que les actes soient formulés « en langage maternel françois et non aultrement. » Jacques Lefèvre d’Étaple traduit la Bible en français en 1530 mais à Anvers car la traduction sera condamnée par la Sorbonne. De la même façon, le milieu juridique veut conserver l’usage du latin pour entretenir un esprit de corps. Le latin est au XVIe siècle toujours la langue des études. Sous l’égide de Guillaume Budé est créé le Collège royal, futur Collège de France : il s’agit pour les professeurs qui y enseignent de mieux connaître la Bible et les textes anciens dans leur version originale. En 1455, Gutenberg fait imprimer le premier livre : la première presse du royaume est installée à Paris dès 1470. L’imprimerie va obliger à fixer l’orthographe des mots et donc cela ralentira l’évolution de la langue ! Au XVIe, Paris est à la mode italienne et à la fin du même siècle, c’est la mode du Gascon qui l’emporte !

Au XVIIe, les Salons vont de pair avec une recherche du raffinement. Malherbe s’attelle à « dégasconner » le langage de la cour d’Henri IV, jugée grossière. On veut donner des règles à la langue, en créant par exemple un dictionnaire puis une grammaire, une rhétorique et une poétique. C’est le « bon usage » que Vaugelas définit dans ses « Remarques sur la langue française » de 1647. Le centre du bon usage est Paris et au centre de Paris, la Cour. Comme on le voit dans certaines pièces de Molière, les provinciaux sont ridiculisés : le Breton par exemple est : « grossier, ivrogne et mystique » Comme le dit Vaugelas, « Quelque effort que fassent les Provinciaux pour bien parler… il ne leur reste je ne sçai quelle crasse dont ils ne sçauroient se defaire. » Voilà, c’est dit ! C’est la naissance de l’opposition Paris/province.

Le XVIIIe voit les grands auteurs s’éloigner du latin. Voltaire dira : « Je savais du latin et des sottises. » C’est aussi la naissance des bibliothèques appelées « cabinets de lecture ». Les gens lisent beaucoup. Le bon français n’est plus celui de la Cour, à Versailles depuis 1682, c’est à dire loin de Paris. La Cour continue à prononcer en oué les mots graphiés en oi, tandis qu’à Paris, les snobs prononcent le oi en è et disent mémère pour mémoire. Tout le monde dit cet homme-cy, ce temps-cy tandis qu’à la Cour, on aime dire cet homme icy, ce temps icy…

À la Révolution, la France est un pays rural, le taux d’urbanisation est de 18 pour cent. La Révolution est farouchement contre les parlers locaux et les langues régionales. 6 millions de citoyens (sur 28 millions) ne parlent pas un mot de français. L’abbé Henri Grégoire présente à la Convention en juin 1794 son « Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française ». Condorcet pense que le français sera ainsi une « langue de l’égalité » en « cessant de séparer les hommes en deux classes » . On ne mesure plus en coudes et lieues mais en mètres et kilomètres, on se tutoie et l’on s’appelle Citoyen. En 1793, on dissout l’Académie, selon Marat une assemblée de « quarante fainéants » qui ne s’intéressent qu’au « beau langage » et au « beau monde ».

Au XIXe, lors de la création des lycées, on veut diffuser un français national. On étudie la grammaire, on pratique l’analyse logique. On apprend par coeur les classes de mots (clin d’oeil à mes petits collégiens!) En 1881, cette éducation devient obligatoire, laïque et gratuite pour tous. On travaille l’orthographe. Et paraît-il qu’il y a du travail, notamment dans les classes élevées où l’on considérait que c’était une affaire de bourgeois. C’est l’époque des manuels de conjugaison des frères Bescherelle (1842). On articule le français avec soin et l’on prononce à l’oral les doubles consonnes d’« affamer » et de « collection » ! Encore une fois, la mode anglaise va se répandre et s’infiltrer dans la langue française : on fera du « tennis », du « rugby » et du « golf » ! Et l’on ira au « music-hall » ! Paris vivra aussi une immigration « de l’intérieur » : celle des Savoyards par exemple ou des Bretons. Sachez quand même qu’au XIXe, le français reste largement inconnu en Bretagne. Les trois-quarts des Bretons ne parlent que le breton ou sont analphabètes. Pensez à notre Bécassine !

Je vous laisse imaginer ce qui a fait notre français du XXe siècle: les guerres, l’immigration, les métissages, le tourisme…

Et j’y pense, je ne vous ai pas parlé des différents jargons : celui des crieurs de rue, des « escholiers » rabelaisiens, des précieuses, des poissardes, des snobs, des dandys, des titis, des gavroches, des loubards, des branchés etc etc...

Voici donc un bref aperçu de ce livre incroyable qui permet vraiment de comprendre ce qu’est une langue, à savoir quelque chose de vivant qui s’enrichit constamment des apports étrangers, toujours en mouvement. Je vous recommande vraiment ce texte qui se lit comme un roman et qui m’a vraiment enchantée.  


 

mardi 8 avril 2025

Le mal joli d'Emma Becker

Éditions Albin Michel
★★★★★

 Les premières lignes du « mal joli » m’ont rappelé les propos d’Annie Ernaux dans « Le jeune homme » à savoir qu’elle vivait d’abord cette histoire d’amour pour l’écrire, produire de la matière puis la raconter (je vous renvoie à mon petit laïus ici). J’ai retrouvé la même idée dans le texte d’Emma Becker, ravie et soulagée d’avoir enfin un sujet à se mettre sous la dent : « L’idée, c’est une sorte de fragments d’un discours amoureux - c’est dire mon état d’exaltation à la perspective d’avoir trouvé un cadre à cet embrasement : décrire les étapes de la passion... », « cela ne fait de moi rien d’autre qu’une femme inflammable, racontant les processus qu’elle s’impose dans le simple but d’en parler. Je fais mon travail en somme ... » (c’est moi qui souligne) et enfin, ce passage magnifique : « Vite, vite, courir au café, vite enfiler n’importe quelle robe et courir et écrire tout ça… il faut atteindre le café avant que tout ça s’évapore… il faut que j’atteigne le café avant de me prélasser dans ce miracle d’être bandante et inoubliable et aimée, follement aimée…  » (superbe phrase des pages 348, 349, à lire à voix haute, vraiment!) Celle qui pensait que «  dans le contexte, aimer Antonin, c’est de la documentation. », cette dernière va être prise au piège de la passion amoureuse dévorante, envoûtante, destructrice, une espèce de mal joli, terme d’obstétrique qui signifie que les insupportables douleurs de l’accouchement s’achèvent lorsque l’enfant est posé sur le ventre de la mère. C’est la même chose pour la passion amoureuse : les douleurs de l’absence prennent fin quand l’autre est là. L’autrice a bien compris qu’elle est en train de vivre une «  forme heureuse d’empoisonnement.» Elle analyse avec une très grande lucidité cette folie qui l’envahit, cette perte de maîtrise de soi, cet envoûtement auquel seule l’écriture met une pause en permettant à l’autrice de reprendre son souffle, de se remettre les idées à peu près en place et peut-être, de justifier de manière un peu plus raisonnable cette douloureuse folie qui prend possession d’elle.

Dans cette autofiction, l’autrice se met à nu et décrit dans le détail l’anatomie de sa passion. Tout est dit. Si ça dérange certains, moi au contraire, j’aime les choses claires et les gens qui osent. J’aime la franchise, la vérité, l’absence de tabou. Quelle belle écriture pour dire les choses de l’amour, le sexe, le corps de l’autre, son odeur, le plaisir, la chair, la jouissance. Il y a du XVIIIe siècle dans l’écriture d’Emma Becker, quelque chose de Laclos, de Marivaux, de Sade peut-être... Énormément de talent, en tout cas ! J’ai admiré la liberté de cette femme, son courage de dire ce qu’elle a vécu sans se soucier des convenances, de la bien-pensance, de la morale.

Un autre thème assez central dans ce roman, c’est l’empêchement des femmes. Elles cumulent tout : leur travail (pour l’autrice, c’est écrire) (va trouver du temps pour écrire quand tu as deux enfants…), la maison, une charge mentale haute comme une pile à lire etc etc … Alors quand là-dessus vient s’ajouter une relation passionnelle… Il y a de quoi sombrer dans la folie. C’est un véritable écartèlement. Et ça, c’est hyper bien rendu dans le texte. D’ailleurs, ce qui peut paraître paradoxal, c’est qu’écrire permet de supporter cette folle passion ? en tout cas de la dire mais en même temps, il faut trouver le temps de se livrer à l’écriture : « Pour ne pas tuer toute ma famille j’écris, j’ai ce livre comme respiration, pour peu qu’on m’y laisse m’y plonger. » L’évocation de vacances dans le sud en famille, « le piège mortel », est à la fois terrible et très drôle. L’autrice n’est pas seulement douée pour raconter et analyser une passion amoureuse, elle excelle à dire la vie de famille. Et franchement, c’est exactement ça ! L’envie qu’on aurait parfois de fuir, d’être seule, de cesser de faire les courses, les repas, les jeux, la surveillance, les bains et tout le reste. Elle montre avec une grande lucidité la façon dont les femmes se mettent entre parenthèses, comment être mère relève du sacrifice, du dévouement complet, de l’abnégation totale et ce, pour longtemps. C’est un don de soi, un renoncement à soi. Emma Becker pose un refus, j’allais dire un refus catégorique. Non, ce n’est pas cela, car évidemment, elle a mauvaise conscience, comme on a toutes mauvaise conscience mais elle veut sa part. Et sa part consiste à passer du temps avec celui qu’elle aime. Vivre ce qui s’offre à elle. Vivre tout court.

C’est magnifique !  


 

mercredi 19 mars 2025

Blackouts de Justin Torres



Éditions de L'Olivier
★★☆☆☆

 Je n’ai rien compris à ce livre. J’aurais dû me méfier : généralement, je déteste ce qu’on nomme des « OVNI littéraires », ça ne présage rien de bon. Mais j’ai fini par craquer, à force de le voir vanter un peu partout. Quel est le projet de l’auteur ? Franchement, c’est très confus, archi nébuleux. Lançons-nous quand même… Un homme jeune rend visite à un vieil homme sur le point de mourir. Visiblement, ils ont été amants. Le vieil homme confie au plus jeune des archives d’une certaine Jan Gay, jeune journaliste qui, dans les années 30, s’est courageusement lancée dans une étude sur la question de l’homosexualité, à une époque donc où l’homosexualité était considérée comme une maladie. Elle a donc, pour son étude, interrogé plus de 300 femmes homosexuelles. Mais pour valider ses recherches, elle a dû demander l’aide de différents scientifiques qui non seulement se sont emparés de son travail (son nom ne figurait que très vaguement dans l’introduction) mais en plus, l’ont utilisé pour en tirer des conclusions contraires à ce que Jan Gay voulait démontrer. Vous imaginez lesquelles. Cette Jan Gay, j’aurais adoré lire des choses sur elle, sur sa vie. Elle a écrit des livres pour enfants, illustrés par sa compagne. Son père avait été l’amant de l’anarchiste Emma Goldman. Elle était une adepte du naturisme à une époque où ce n’était pas franchement la mode. Une femme hors du commun ! Finalement, le dispositif narratif mis en place dans ce roman ne met pas du tout en valeur cette femme et la vie hors norme qu’elle a menée. On apprend par bribes deux trois trucs sur elle mais c’est constamment entrecoupé par les discussions poético-vaseuses des deux hommes dont on n’a que faire et c’est vraiment très ennuyeux. Dommage !


 

mercredi 26 février 2025

Ta promesse de Camille Laurens

Éditions Gallimard
★★★★★
(coup de coeur)

 Celles et ceux qui me connaissent savent que lorsque j’ouvre un roman je ne veux rien savoir à l’avance, ab-so-lu-ment rien, je ne lis jamais les 4es de couv et généralement, je me débrouille pour ne rien dévoiler dans mes chroniques mais là, je n’arrive pas à parler de ce livre sans en dire, me semble-t-il, un peu trop. Donc si vous ne l’avez pas encore lu, sachez que j’ai trouvé ce texte exceptionnel tant par l’écriture que par la construction. Voilà n’allez pas plus loin.

Pour les autres, je continue.

Claire Lancel (double de l’autrice?) est écrivaine. Elle vient de divorcer et n’est pas prête à se remettre en couple après les années de souffrance qu’elle a vécues avec son ex-mari. Elle veut respirer, être tranquille et enfin profiter de la vie. Mais elle va rencontrer Gilles, un spécialiste international de la marionnette. Il est beau, gentil, amoureux, aux petits soins. Comment résister ? Oui, comment résister à l’amour fou, à la passion (surtout à cinquante ans!) ?

Seulement, les premières pages du roman nous indiquent que Claire parle à son avocate. Visiblement, il y a eu un problème. Mais lequel ? (et là je peux vous dire que la révélation finale est assez incroyable et complètement inattendue!) C’est vraiment un intense thriller psychologique que l’on ne peut pas lâcher parce qu’on veut savoir ce qui s’est passé, comment cette femme inoffensive et sensible a pu se retrouver dans une telle situation.

En fait, c’est l’histoire d’une emprise amoureuse suivie d’un travail forcé et violent de désillusion, de déconstruction. En effet, Claire est victime d’un pervers narcissique pur jus, d’un homme qu’elle trouvait au début « complètement débile » et assez « con ». Et ce que je trouve extraordinaire dans ce roman, c’est la façon dont l’autrice décrit la mise en place de l’emprise insidieuse et l’étau qui se resserre progressivement sur la victime qui n’y voit que du feu. « Plus elle s’étiole, mieux tu te portes, moins elle vit, plus tu respires. » Camille Laurens dépeint avec une finesse incroyable les sentiments contradictoires de Claire et l’on voit très bien comment cette femme intelligente, lucide, très cultivée va devenir prisonnière de cet homme dominateur, un glaçant prédateur sous ses airs de playboy, au point de vouloir en mourir. Le sentiment amoureux est vraiment disséqué, analysé dans ses moindres aspects. L’écrivaine met en évidence les mécanismes pervers de la manipulation et du mensonge résumés en trois mots : « Séduire, réduire, détruire. ». Et c’est effrayant de noirceur et de violence. L’écriture de Camille Laurens est vraiment remarquable. Et s’il y a peu de livres récents que je relirai, je sais que je me replongerai rapidement dans ce roman magistral.


 

mercredi 5 février 2025

cinéma: Je suis toujours là de Walter Salles

★★★★★

 Les premières images sont d’une beauté absolue : elles montrent une famille heureuse vivant à Rio de Janeiro dans une grande maison bourgeoise face à la plage. Les gamins vont et viennent, jouent au volley, trouvent un chien sur la plage. On organise des goûters, on danse, on discute, on s’aime. Il y a des amis, des rires, du soleil… Et tout ça est filmé remarquablement, de façon très dynamique. Le réalisateur, Walter Salles, a eu l’idée géniale d’introduire des images prises par la petite caméra Super 8 de Veroca, la fille aînée du couple, ce qui crée un effet de réel saisissant. Et ça tombe bien parce que cette histoire est vraie ! Nous sommes en 1971, chez les Paiva. Le père, Ruben, ex-député du parti travailliste brésilien, a quitté ses fonctions et a repris son travail d’ingénieur. Il adore ses gamins et aime les taquiner… C’est une famille moderne et ouverte : on s’intéresse à la politique, à la littérature, à l’art. Mais cela ne plaît pas à tout le monde... En effet, la dictature militaire est au pouvoir et les convois militaires longent la plage. Ce qui se passe dans le pays est terrible : arrestations arbitraires, enlèvements, tortures etc. Et le pire est à craindre...

Les acteurs sont vraiment exceptionnels. « Je suis toujours là » est une fresque familiale forte et émouvante qui montre les combats de toute une famille contre l’oppression et la terreur.

C’est magnifique !



 






 

dimanche 2 février 2025

Après de Raphaël Meltz

★★★☆☆
Éditions Le Tripode

 Peut-être est-ce parce que j’en avais entendu des critiques très élogieuses… J’ai aimé ce texte mais honnêtement, je ne lui ai rien trouvé d’exceptionnel non plus.

Un père de famille trouve la mort et revient auprès des siens, sa femme et ses enfants, plus ou moins comme fantôme et les regarde évoluer dans une vie quotidienne faite de tristesse et de douleur puisqu’ils doivent dorénavant vivre sans lui. L’écriture est très simple pour dire ce temps du deuil, ce temps de l’après. Un texte sensible et délicat.  


 

mardi 28 janvier 2025

Cinéma: La substance de Coralie Fargeat

★☆☆☆☆

 Ça y est, on tient le navet du siècle ! Et c’est du lourd ! Un vrai foutage de gueule ! Complètement grotesque, ridicule, creux, vide, sans aucun intérêt, vulgaire, une espèce de film d’horreur de seconde zone... THE DAUBE ABSOLUE ! Pourquoi suis-je allée voir une bouffonnerie aussi débile que ce truc qui finit par faire marrer la salle tellement c’est absurde ? Et pourtant, je ne peux pas nier le fait que les prises de vues, la photo, les décors, les maquillages sont d’un excellent niveau, de même que le scénario, mais pourquoi avoir sombré à ce point dans l’outrance au risque de foutre en l’air le film ? Trop de moyens ? C’est fort possible. En fait, ils n’ont pas su s’arrêter à temps. Même le scénario - pas follement original mais disons que ça passe - finit par faire un gros flop ! En tout cas, on regarde toute cette mascarade de très loin sans jamais avoir la moindre émotion ni empathie pour les personnages qui finissent par être complètement ridicules eux aussi. Je suis rarement sortie aussi accablée après une séance de cinéma. Pas du tout mon truc ces guignoleries… Consternant.

En plus, c’est censé, paraît-il, être un film féministe ! Mais il ne l’est en rien, bien au contraire ! Car les images que ce film propose louent continuellement la beauté de la jeunesse tandis que la vieillesse apparaît comme monstrueuse. Ah, c’était du second degré ??!! Oui mais 2h30 de culs de jeunes femmes filmés plans serrés font oublier à bon nombre de spectateurs le second degré ma bonne dame !!! Rien n’est maîtrisé dans ce film, même pas le propos, c’est dire !

Deuxième long métrage de Coralie Fargeat


 

lundi 27 janvier 2025

Cinéma: My Sunshine de Hiroshi Okuyama

★★★★☆

 Sur l’île japonaise d’Hokkaidō sous la neige (rien que pour ça, il faut voir le film!), un jeune professeur de patinage artistique, Arakawa (Sōsuke Ikematsu), donne des cours particuliers à des adolescents. Il les regarde évoluer sur la glace, lance un conseil à l’un, encourage un autre. Les traits de son visage ne laissent transparaître aucun sentiment. Tout est en retenue, en silence. Les paroles sont rares. Les jeunes patinent inlassablement tandis que les rayons du soleil traversent doucement les vitres de la patinoire. Des reflets scintillants donnent soudain beaucoup de magie au lieu et les lumières soulignent la beauté des corps en mouvement.

Une jeune adolescente,Takuya, évolue avec beaucoup de grâce et attire les regards de tous et notamment ceux de Sakura, un gamin cloué d’admiration devant les figures tout en fluidité et en souplesse de cette fille vraiment très douée. Lui, il fait du hockey, dans les buts parce qu’il est nul. Alors il décide de se lancer dans le patinage… tant bien que mal… Pour la beauté du geste, pour séduire Takuya ? On ne sait pas vraiment. Or, un jour, l’entraîneur, touché par ce jeune garçon solitaire et maladroit, a une idée géniale…

« My Sunshine » est un film très simple, sensible, poétique et dont les images pastel un peu floues créent beaucoup de douceur. Chacun s’observe, se devine, essaie de se comprendre. Les personnages parlent peu. Un certain mystère les entoure. Il nous faut un peu de patience pour comprendre qui ils sont et quel est leur parcours de vie. Tout est en retenue, en silence. On sent beaucoup d’émotion dans les jeux de regards, dans les gestes, les attitudes. Chacun devra trouver sa place, se faire accepter, dans un groupe, dans une société et celui qui aura le plus de mal n’est peut-être pas celui qu’on croit.

« My Sunshine » est le second film d’Hiroshi Okuyama, 28 ans. Une belle réussite.


 

dimanche 26 janvier 2025

L'hospitalité au démon de Constantin Alexandrakis

Éditions Verticales
★★★★★

 Quel texte ! Immédiatement, la question que je me pose est : quel degré de souffrance, d’impuissance et de solitude faut-il atteindre pour écrire un récit comme celui-ci ? L’auteur, Constantin Alexandrakis, a subi lorsqu’il était jeune « de menues atteintes sexuelles, discontinues, quelque part entre 9 et 14 ans. » Maintenant qu’il est père, son angoisse, sa terreur absolue, son impensable est de reproduire la violence, d’avoir des gestes déplacés par rapport à son propre enfant. Il veut être sûr de ne jamais faire subir ce que lui a subi, ne jamais devenir démon à son tour. C’est un homme qui doute, s’interroge, lutte, débat avec sa conscience sans relâche pour calmer ses démons intérieurs qui l’empêchent de vivre : il consulte, demande de l’aide, entame une psychanalyse, se tourne vers une association. Dans une société sensibilisée à la question de la violence sexuelle, il devrait trouver une écoute bienveillante, un soutien. Alors, il parle, il dit son effroi, son désarroi, son dégoût, sa haine. Il est franc, honnête, se dévoile, ose dire la vérité. Il raconte son problème avec sa masculinité, lit les textes d’autres victimes, fouille, cherche des témoignages, essaie de comprendre comment la société a pu laisser faire ça. Il replonge dans un passé mythologique pour tenter de saisir l’origine du mal, puise inlassablement dans la littérature, le cinéma, la musique... Il essaie de dresser une cartographie du « Grand Continent des Violences Sexuelles. » Il découvre que la pédophilie est partout et qu’elle traverse les époques. Il analyse cette société des années 80 où les pédophiles ne se cachaient pas, une société qui aveuglément offrait l’hospitalité au démon. Depuis, il y a eu MeToo, les temps ont changé. Et pourtant… Est-ce qu’un homme peut exprimer ouvertement ses cauchemars, avouer ce qui lui pourrit la vie ? Est-ce que quelqu’un est susceptible de l’aider à vaincre la bête qui le ronge ?

Jamais je n’ai lu un texte aussi torturé, aussi habité. Chaque phrase se fait l’écho d’une peine absolue et terrible. Lire ce texte, c’est entrer dans un monde étrange nourri de mythologie nordique, une espèce de Danemark imaginaire et bien pourri, froid et bien glauque… La langue est extrêmement inventive, originale, drôle souvent. Elle claque, cogne, pulse. Elle est d’une vivacité, d’une énergie terrible et puissante. Les métaphores percutent, les niveaux de langue s’entrechoquent, les néologismes fusent. Même la typographie s’affole, les lettres s’épaississent, les caractères spéciaux se mélangent… Quelle incroyable créativité ! Un texte dur, terrible et fou qui bouscule et laisse K.O.







 

vendredi 17 janvier 2025

Le syndrome de l'Orangerie de Grégoire Bouillier

Éditions Flammarion
★★★☆☆

 Autant le préciser tout de suite, c’est la première fois que je lis un texte de Grégoire Bouillier et pour tout dire je comprends que l’on puisse adorer ou détester. J’ai eu quant à moi l’impression de passer un moment agréable avec un vieil ami un brin complaisant, un peu radoteur sur les bords, parfois lourdingue, au demeurant sympathique, attachant et souvent très drôle. J’étais contente de le retrouver tous les soirs et de lire ses analyses autour des Nymphéas de Monet et de son fameux syndrome de l’Orangerie, à savoir un grand sentiment de malaise lorsqu’il est allé contempler les Grands Panneaux… Enfin, quand je dis « ses » analyses, ce sont à vrai dire les trouvailles des autres qu’en excellent compilateur il a faites siennes (il ne s’en cache pas vraiment d’ailleurs) mais ce n’est pas grave, on ne lui en voudra pas. Et surtout, on n’aurait certainement pas lu avec autant de plaisir et d’humour les écrits des copains ! Bref, j’ai aimé me laisser embarquer dans les analyses percutantes dont il se fait l’écho. J’ai adoré ses digressions et ses parenthèses à gogo. En cela je crois qu’il bat, et de loin, notre Jaenada, assez doué dans ce domaine. Je pense qu’il va très vite me manquer et j’ai hâte de découvrir ses « Dossiers M » qui m’intriguent beaucoup.


 

samedi 11 janvier 2025

Cabane d'Abel Quentin

Éditions de l'Obervatoire
★★★★★

 En 1972, quatre jeunes scientifiques, spécialistes de mathématiques, économie et informatique, réunissent leurs compétences pour publier une étude intitulée « The Limits to Growth» (Les Limites à la Croissance) : les activités de l’homme sur la terre détruisent la planète. Voilà, c’est dit. Il faut donc renoncer non seulement à la croissance économique mais aussi démographique au risque d’un effondrement général vers 2050 c’est-à-dire demain.

Des choses qu’on sait et qu’on vit maintenant, chaque jour. Notre modèle de société actuel épuise les ressources de la terre, perturbe le climat, crée des inégalités. Il faut donc redéfinir un nouveau modèle économique, freiner la surconsommation et l’usage abusif des matières premières, sinon nous connaîtrons crises, famines et conflits.

Abel Quentin précise dans une note aux lecteurs que si le « rapport 21 » dont il parle dans « Cabane » s’inspire de celui de 1972, les personnages, eux, ont été inventés de toutes pièces. On se doute que l’auteur a dû s’intéresser de près à Donella et Dennis Meadows, William Behrens et Jørgen Randers pour créer le couple américain du roman : Mildred et Eugene Dundee, le Français Paul Quérillot et le Norvégien Johannes Gudsonn.

Nous découvrons la façon dont le rapport a été élaboré et les tensions qu’il a provoquées au sein du groupe des scientifiques. (Quand on pense que ça fait 53 ans qu’on dispose d’informations claires et nettes sur le sujet et que nous peinons à enrayer le phénomène, j’avoue que cela laisse pantois.) Bref...

Mais l’originalité du roman réside surtout dans le fait qu’il s’intéresse à la façon dont les quatre protagonistes ont réagi lorsqu’ils ont pris conscience du terrible constat que leur étude venait de mettre à jour. En effet : comment fait-on pour continuer à vivre normalement quand on a 25 ans et que l’on vient de découvrir que la planète ne va pas tenir le coup encore bien longtemps, et ce à une époque où la terre entière n’en a absolument rien à faire (pire que maintenant, c’est dire!) ? J’ai adoré les portraits de ces personnages que je trouve tragiques dans la mesure où ils sont détenteurs d’une horrible vérité et donc d’une trop lourde responsabilité pour eux.

Chacun d’eux réagira à sa manière...

« Cabane » est un roman passionnant, terrible, satirique, qu’on lit comme un roman policier et qui donne vraiment envie de réagir. On apprend plein de choses sur l’histoire de l’écologie et Abel Quentin est un génial vulgarisateur qui nous donne accès à des concepts scientifiques, philosophiques et écologiques essentiels. C’est ce type de livre qui donne envie de vivre autrement. Ça calme comme on dit !

Un vrai coup de coeur !