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samedi 6 septembre 2025

La collision de Paul Gasnier

Éditions Gallimard
★★★★★

 Le 6 juin 2012 à 17 heures 13, Paul Gasnier a perdu sa mère, cycliste, fauchée très brutalement par la roue avant d’une KTM 654, moto hyper-puissante qu’un gamin de 17 ans du quartier de la Croix- Rousse à Lyon, sous l’emprise de stupéfiants, a été incapable de maîtriser.

Dix ans plus tard, refusant de sombrer dans la haine de l’autre, de se répandre dans des discours racistes qui s’accompagnent généralement d’un repli identitaire voire d’un désir de vengeance, l’auteur, devenu journaliste, va tenter de comprendre, d’analyser dans le détail, loin de tout manichéisme, ce que peut signifier cette collision. Est-elle le signe d’une fracture de la société ? Comment le gamin en est-il arrivé là, à se lancer dans un rodéo urbain au risque de tuer ? Quel est son parcours, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné, où ça a coincé ? Il se lance dans un enquête quasi sociologique, une espèce d’autopsie de l’accident, interroge la famille du jeune homme puis un éducateur, pour tenter de comprendre. D’un côté, Saïd, un gamin issu de l’immigration, un ancien dealer attiré par les gains rapides, multirécidiviste fasciné par la figure d’un grand frère, et de l’autre, une intellectuelle bourgeoise architecte et professeure de yoga. Est-ce que, quand l’un et l’autre se rencontrent, cela doit déboucher sur la mort ? Quel est le poids du déterminisme social ? Est-ce possible de le nier ? Était-il possible d’éviter ce drame ? L’auteur s’interroge aussi sur le système judiciaire français : il rencontre un policier, un avocat, un juge qui vont lui donner leur point de vue sur ce drame que personne n’a oublié.

Mais ce que j’ai trouvé vraiment intéressant dans ce texte, c’est son questionnement sur l’attitude à adopter quand on perd un être cher si brutalement dans un accident . Militer pour l’extrême-droite et hurler « ça suffit » durant les meetings ? Ou bien cheminer vers l’autre, tenter de comprendre qui il est, d’où il vient, rencontrer sa famille et peut-être, le rencontrer ? Est-il possible d’avoir une telle force, une telle sagesse ? Jusqu’où peut-on aller vers l’autre, vers celui qui ne nous ressemble en rien, vers celui qui a tué ?

Ce qui est fascinant dans ce texte, c’est la ligne de crête sur laquelle ce jeune journaliste évolue sans cesse au risque, à tout moment, de tomber. On voit d’ailleurs ses errements à travers ses réflexions, ses interrogations et cette souffrance toujours là, l’émotion qui risque de brouiller le jugement et le besoin évident de parler de celle que l’on a perdue, de dire toute la tendresse, l’admiration et l’immense amour que l’on a pour elle. Bouleversant.

Avec beaucoup de finesse et de pudeur, il dresse le portrait de sa mère mais aussi celui de Saïd, le garçon qui l’a tuée. Il étudie le parcours de ces deux personnes que tout oppose.

Ce texte, à la fois politique et très intime, admirable de beauté tant par la forme que par le message qu’il transmet, devrait être lu par tous car il est une magnifique leçon de vie.  


 

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