« Il voulait que je sois
notre mémorialiste. »
Comme les souhaits des pères sont
parfois lourds à porter pour les fils !
Ce récit -très certainement
autobiographique- commence par la maison familiale que l’on vide après la mort
du père, communiste, rouge, pur et dur. Le narrateur découvre des feuillets où
son père a noté ce qu’il comptait retenir de la vie de son fils : son
mariage, la naissance de ses petits-enfants ? Non, son adhésion à la CGT,
son élection au comité d’entreprise…
Une colère indescriptible gagne Carl qui n’a
qu’un désir : tout détruire, tout effacer. A la benne les portraits de
Marx, Lénine, les vieux Huma, les
drapeaux rouges, les photos des soldats chiliens, de la sœur portant un foulard
à l’effigie de Castro, du narrateur en Allemagne de l’Est ! « Rien ne doit
survivre. »
Au risque de se sentir coupable…
« Je ne serais jamais un bon
fils. L’oubli, le renoncement étaient la preuve que ce qui avait constitué mon
enfance, l’endoctrinement, la croyance en l’absolue vérité des causes que je
devais défendre, les réprimandes à la moindre déviation et ma culpabilité de
n’être jamais assez communiste, pouvait s’effacer, disparaître, sans que la vie
s’arrête ni même que cela en modifie le cours. Une désertion, voilà ce que
j’éprouvais. Une désertion. »
Parlons du père : « Son
communisme était charnel, instinctif. Il l’était comme d’autres sont Juifs,
Pieds-noirs ou Corses. Avec emphase et totalement. » Il ne supporta ni la
chute du mur de Berlin, ni la Révolution de velours, ni l’exécution des Ceausescu : le monde
auquel il avait cru s’effondrait.
Je ne peux m’empêcher de penser au film de
Wolfgang Becker Good Bye Lenin ! (2003)
dans lequel Alex veut absolument sauver sa mère, militante communiste de RDA,
dévouée corps et âme, plongée dans le coma et qui se réveillera l’été 1990,
alors que le Mur est tombé. Un choc émotionnel et c’est la mort. Alors, le fils
trouvera mille subterfuges pour protéger sa mère : reconstituer
l’intérieur d’un appartement de l’Est, retrouver des vieilles boîtes de conserves…
C’est exactement ce dont aurait eu besoin Pierre, le père de Carl…
Pierre impose le communisme à sa
famille. Son fils s’appellera Karl, francisé en Carl par l’employé de mairie.
L’enfant grandit avec les portraits de Marx et de Lénine, persuadé que ce sont
de lointains aïeux. Ils vivent de peu et donnent à ceux qui ont besoin. Acteur,
le père trouve quelques rôles par-ci, par-là.
Carl offre des dessins de
Communards sur une barricade pour la fête des pères et suit ses parents aux
manifs du dimanche. On marche pour la paix, contre la guerre du Vietnam en
criant « Nixon assassin ! ». Bien sûr, on ne rate pas la fête de
l’Huma. Carl apprend « la
géographie par les insurrections et les guérillas. » A table, on écoute
les informations. Si elles sont mauvaises, les assiettes volent, heureusement
la météo marine est un havre de paix… « J’ai eu peur toute mon
enfance » avoue le narrateur. Tout était menace : « la bombe,
les capitalistes, de Gaulle, le voisin raciste » et le père, qui boit et
se bat. Heureusement, parfois, il part en tournée.
Les films de de Funès sont interdits,
trop réacs, de même que « la lecture de Tintin, trop raciste, de Lucky
Luke, trop américain, d’Astérix,
trop gaulliste. » Les héros de l’enfant seront Guy Môquet, Manouchian, Gagarine,
Brecht.
Le coca est interdit et les
livres d’histoire préférés au Monopoly et à tous les autres jeux d’ailleurs. On
n’est pas là pour rire. Jusqu’à ce qu’un oncle s’aventure à en offrir un. Scène
mémorable. Le père se met à jouer et triche : il vole de l’argent à la
banque. Carl a honte pour lui : où sont passées les belles valeurs qu’il a
inculquées à ses enfants ? A force de tricher, il gagne et lance à son
fils ahuri : « Tu viens de comprendre ce qu’est vraiment le
capitalisme. Tâche de ne pas l’oublier. » Rude leçon.
Plus tard, Carl se sauvera par
l’écriture, seul moyen d’échapper un peu à tout cela, d’alléger un peu le poids
du fardeau…
Ce très beau texte de Carl
Aderhold s’interroge sur « les destinées des fils qui se chargent des
rêves des pères. », cette transmission qui doit s’accomplir au risque de
décevoir le géniteur, cette mémoire qui ne doit rien omettre de l’histoire
familiale.
Jusqu’à la chute parce que le
poids du passé est trop lourd et que faire un pas en avant est devenu
impossible.
Quel héritage léguer à nos
enfants ? Peut-on les aimer et leur transmettre nos valeurs sans pour
autant peser sur leur vie ?
Des pages superbes, émouvantes et
drôles, qui nous disent de ne pas trop charger leurs valises si l’on veut qu’ils puissent encore
avancer…
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