Clara, vingt-trois ans, étudiante
en lettres, prépare un mémoire. Elle a obtenu un rendez-vous avec Norman Jail,
un vieil homme qui n’a publié qu’un livre alors qu’il avait vingt et un ans et
qui ensuite a passé toute sa vie à écrire sans jamais rien envoyer à un
éditeur. Clara est intriguée par cet homme qui reçoit peu. Elle a préparé ses
questions sur les affres de la création littéraire et les pose une à une,
écoutant religieusement les réponses du grand homme. Et lui, il parle, parle, (s’écoute
parler ?), revient sur ses mots, se contredit, se corrige, a le sens de la
formule et le goût des jeux de mots. Il a été « employé aux
écritures » dans une grande compagnie maritime. Comme il le précise :
il n’a fait qu’écrire mais « cela n’a jamais été son métier ».
Pourtant, il a écrit un chef-d’œuvre, mais on le lui a volé. Alors qu’il était
jeune, une femme est partie avec Les foulures lentes sous le bras, livre dans
lequel, selon lui, il avait « atteint une sorte de perfection ».
Finalement, toute sa vie, il a été à la recherche de ce livre disparu,
rédigeant des centaines de carnets sans jamais les montrer et accumulant les
versions du chapitre un sans être capable de passer au second.
Seule Dahlia, une chatte noire, semble pouvoir approcher l’écrivain, qui- égoïsme ou don de soi ?- fait passer l’écriture avant tout.
Seule Dahlia, une chatte noire, semble pouvoir approcher l’écrivain, qui- égoïsme ou don de soi ?- fait passer l’écriture avant tout.
Clara relance la
conversation : un écrivain n’est-il pas forcément déçu par ce qu’il
écrit ? Un roman est beau tant qu’il n’est pas écrit, précise Norman mais,
dès que l’on veut coucher les mots sur le papier, ils deviennent
« clopin-clopant, déjà usés, lessivés, fatigués, jamais là où il faudrait
quand il faudrait. La vie est dure avec les mots. » Le romancier
avoue : « J’ai épousé l’écriture, on s’est beaucoup
trompés. »
La jeune femme s’entête, elle
veut percer le mystère de cette écriture : d’où lui vient cette force, ce
besoin impérieux, intime, de noircir des feuillets ? Il faut remonter à
l’enfance : « J’écris les mots qu’on ne m’a pas dits. Je me
raconte les histoires qu’on ne m’a pas racontées. » L’écriture remplit un
vide, un creux, un trou. Elle compense l’absence, elle est père et mère : « Je
nais de mon encre. » L’entretien se poursuit alors autour d’un repas et
d’une balade en bord de mer. Il revient alors sur cette écriture née d’un manque,
d’une souffrance : « J’ai rempli des pages avec mes mots parce
que la vie ne me remplissait pas ».
Que cache cet homme qui
souffre et qui murmure : « Je ne suis pas certain d’aimer
écrire ; comme je ne suis pas certain d’aimer respirer. » ? Dans
l’un et l’autre cas, il n’a pas le choix. Il faut. Ecrire, explique-t-il, ce
n’est pas que souffrir, c’est surtout être souffrant : « L’écriture
vient du désastre…Le bonheur se passe de mots. »
Clara va-t-elle percer le mystère
de cet homme qu’elle interroge, qui semble se prêter au jeu, qui la regarde
d’un air étrange parfois ? Dans quelle prison celui qui s’est inventé un
nom - jail - s’est-il enfermé ? Pourquoi cet ours solitaire au cœur lourd
lui a-t-il ouvert sa porte ? A elle, Clara, celle qui l’écoute, le
regarde, baisse les yeux parfois. Dit-il la vérité ? A-t-elle conscience
d’écouter des mensonges ou le pense-t-elle sincère mais jusqu’où ?
Réinvente-t-il l’histoire, son histoire et celle des autres ?
J’ai beaucoup aimé ce livre d’Eric
Fottorino, à la fois essai sur la création littéraire, roman à suspense et
poème qui nous tient en haleine jusqu’au bout, au cœur des êtres et de leurs
secrets.
Un très beau texte, sensible,
mélancolique, qui dit la passion des mots et les tourments qu’ils infligent, qui
laisse entendre la voix de l’homme qui tente de se réécrire et qui pour cela
crie, celui qui s’est rendu compte un jour : « que le mot écrire
contenait toutes les lettres du mot crier et qui conclut que « sa vie
a été un cri parfait. »
Un crime parfait ? Non, un
cri parfait…
ton billet est très complet.
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