Editions Serge Safran
1985, Russie post - soviétique: Bakatov
et le narrateur, Gloucester, sont placés dans une pouponnière. L’un a le crâne
déformé et bave constamment tandis que l’autre est bossu. Bel héritage de
l’alcoolisme parental sans doute…
Moqués et chahutés, ils parviennent
tant bien que mal à apprendre à lire et à écrire.
A six ans, ils sont transférés
dans un pensionnat spécialisé : La Guirlande. « Le pensionnat
accueillait un peu plus d’une centaine d’enfants, une quinzaine ou une
vingtaine de trisomiques, une douzaine d’hydrocéphales avec des crânes de
potiron; des dystrophiques avec des ventres renflés d’arachnide, des corps
étiques, des membres osseux, une vingtaine environ ; sans oublier toute
une masse d’oligophrènes à des degrés divers. Tel était l’imbécile contingent
du pensionnat spécial « La Guirlande » ou, selon la poétique
dénomination du directeur, « Les Grosses Têtes ». On voit tout de
suite l’humour du bonhomme !
Une nourrice place un bonnet de
tricot sur la bosse de Gloucester tandis que Bakatov se calme en se rongeant
les ongles, toujours de la même façon : de l’auriculaire au pouce. Lorsqu’il
recrache les demi-lunes translucides sur du papier journal, il se penche
au-dessus, et devine l’avenir. Un vrai cérémonial. Un jour que Gloucester
voulut en savoir plus, il vit parmi les ongles un puits noir attirant et un
chien terrible qui lui fit perdre connaissance.
Depuis, il a compris : il
laisse son ami, l’idiot visionnaire, se livrer seul à son rituel et ne
s’approche surtout pas.
La vie n’est pas excitante dans
cet orphelinat où les enfants « mouraient en silence, sans se faire
remarquer ». Ils sont enterrés, les uns après les autres, dans le petit
cimetière, « fierté domestique d’Ignat Borissovitch » qui prend grand
soin des petites tombes.
Le narrateur tue le temps en
cherchant à dévisser les boules à la tête et au pied de son lit. Bakatov s’y
met lui aussi puis décroche au bout de deux ans, jugeant l’activité dépourvue
de sens. Pourtant, Gloucester considère que « dévisser
l’indévissable » peut avoir « un sens profond »… Quand on
s’ennuie…
Parfois, lorsque les jeunes
chercheurs de l’Institut de médecine travaillent sur des questions de pédagogie
pour les handicapés mentaux, les cours deviennent passionnants. Puis, les
maîtres habituels reprennent le flambeau et « après être allés boire un
coup avec Ignat Borissovitch, ils passaient l’essentiel de la leçon immobiles et
muets près de la fenêtre. Certains, au contraire, s’animaient et au lieu de
géographie ou de botanique, comme prévu, ils se mettaient à nous parler de
l’existence, à faire des confidences, comme s’ils avaient eu le vide en face
d’eux. »
Ce terrible quotidien bien noir
raconté sur un ton satirique et faussement léger parfois rappelle de façon
effrayante ce qu’ont pu endurer des milliers d’enfants et d’adolescents
handicapés livrés à la perversion de leurs soi-disant éducateurs dans certains
pays totalitaires…
Pour s’échapper de cet univers
glauque et vulgaire, Gloucester lit de la poésie, tombe amoureux des vers et un
jour, poussant une porte inconnue, il découvre un piano…
Étrange histoire, me direz-vous.
Effectivement, ce petit roman nous entraîne dans le parcours initiatique de
deux enfants inséparables et volontaires au cœur d’un univers extrêmement réaliste
et fantastique à la fois, volontiers grotesque.
On découvre un quotidien de
violence, de débrouille dans une ville livrée aux truands, un univers hostile
où tout est manipulation et où terminent broyés les êtres sensibles.
A cela, se mêlent heureusement de
nombreux éléments irrationnels et poétiques qui confèrent à cette fable une
dimension quasi mythique.
Avec, en plus, de l’humour, celui
du désespoir sans doute ! Un vrai texte russe, selon moi…
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