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mardi 26 juillet 2016

Les Ongles de Mikhaïl Elizarov


Editions Serge Safran

1985, Russie post - soviétique: Bakatov et le narrateur, Gloucester, sont placés dans une pouponnière. L’un a le crâne déformé et bave constamment tandis que l’autre est bossu. Bel héritage de l’alcoolisme parental sans doute…
Moqués et chahutés, ils parviennent tant bien que mal à apprendre à lire et à écrire.
A six ans, ils sont transférés dans un pensionnat spécialisé : La Guirlande. « Le pensionnat accueillait un peu plus d’une centaine d’enfants, une quinzaine ou une vingtaine de trisomiques, une douzaine d’hydrocéphales avec des crânes de potiron; des dystrophiques avec des ventres renflés d’arachnide, des corps étiques, des membres osseux, une vingtaine environ ; sans oublier toute une masse d’oligophrènes à des degrés divers. Tel était l’imbécile contingent du pensionnat spécial « La Guirlande » ou, selon la poétique dénomination du directeur, « Les Grosses Têtes ». On voit tout de suite l’humour du bonhomme !
Une nourrice place un bonnet de tricot sur la bosse de Gloucester tandis que Bakatov se calme en se rongeant les ongles, toujours de la même façon : de l’auriculaire au pouce. Lorsqu’il recrache les demi-lunes translucides sur du papier journal, il se penche au-dessus, et devine l’avenir. Un vrai cérémonial. Un jour que Gloucester voulut en savoir plus, il vit parmi les ongles un puits noir attirant et un chien terrible qui lui fit perdre connaissance.
Depuis, il a compris : il laisse son ami, l’idiot visionnaire, se livrer seul à son rituel et ne s’approche surtout pas.
La vie n’est pas excitante dans cet orphelinat où les enfants « mouraient en silence, sans se faire remarquer ». Ils sont enterrés, les uns après les autres, dans le petit cimetière, « fierté domestique d’Ignat Borissovitch » qui prend grand soin des petites tombes.
Le narrateur tue le temps en cherchant à dévisser les boules à la tête et au pied de son lit. Bakatov s’y met lui aussi puis décroche au bout de deux ans, jugeant l’activité dépourvue de sens. Pourtant, Gloucester considère que « dévisser l’indévissable » peut avoir « un sens profond »… Quand on s’ennuie…
Parfois, lorsque les jeunes chercheurs de l’Institut de médecine travaillent sur des questions de pédagogie pour les handicapés mentaux, les cours deviennent passionnants. Puis, les maîtres habituels reprennent le flambeau et « après être allés boire un coup avec Ignat Borissovitch, ils passaient l’essentiel de la leçon immobiles et muets près de la fenêtre. Certains, au contraire, s’animaient et au lieu de géographie ou de botanique, comme prévu, ils se mettaient à nous parler de l’existence, à faire des confidences, comme s’ils avaient eu le vide en face d’eux. »
Ce terrible quotidien bien noir raconté sur un ton satirique et faussement léger parfois rappelle de façon effrayante ce qu’ont pu endurer des milliers d’enfants et d’adolescents handicapés livrés à la perversion de leurs soi-disant éducateurs dans certains pays totalitaires…
Pour s’échapper de cet univers glauque et vulgaire, Gloucester lit de la poésie, tombe amoureux des vers et un jour, poussant une porte inconnue, il découvre un piano…
Étrange histoire, me direz-vous. Effectivement, ce petit roman nous entraîne dans le parcours initiatique de deux enfants inséparables et volontaires au cœur d’un univers extrêmement réaliste et fantastique à la fois, volontiers grotesque.
On découvre un quotidien de violence, de débrouille dans une ville livrée aux truands, un univers hostile où tout est manipulation et où terminent broyés les êtres sensibles.
A cela, se mêlent heureusement de nombreux éléments irrationnels et poétiques qui confèrent à cette fable une dimension quasi mythique.

Avec, en plus, de l’humour, celui du désespoir sans doute ! Un vrai texte russe, selon moi…

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