Éditions du Rouergue
Souvenez-vous du terrible livre
d’Alexandre Seurat: La Maladroite
(éditions du Rouergue août 2015) qui
racontait comment, malgré les multiples signalements des institutrices, les
démarches des services sociaux et de la gendarmerie, une petite fille, maltraitée
par ses parents, avait fini par succomber sous les coups de ces derniers. Ce
texte m’avait beaucoup touchée et j’en garde encore une profonde impression de
malaise face à l’inefficacité des uns et des autres pour sauver une enfant en
danger. Je ne condamne personne, ce serait trop facile, néanmoins, face à
l’horreur absolue, on se dit toujours que le pire aurait pu être évité.
Lorsque j’ouvre Défense légitime dont le
sous-titre est : « Défendre
un homme que l’opinion considère comme un monstre. Le récit bouleversant d’une
avocate », je ne sais rien du lien entre le livre de Seurat et celui
que je m’apprête à lire. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir que le
« monstre » dont il s’agit n’est autre que le père de la petite.
Sur le coup, je l’avoue, je
m’interroge sur la poursuite de ma lecture. Je ne pense qu’à l’enfant et à tout
ce qu’elle a subi et suis tout à fait incapable d’entendre parler de l’autre,
celui que je ne veux même pas nommer tellement il ne mérite plus de l’être.
J’ai le livre entre les mains et les mots de l’avocate qui m’accompagnent. Sans
eux, j’aurais abandonné, sans eux, j’aurais tout lâché, incapable, seule, d’y
voir plus clair, refusant la moindre explication qui ouvrirait une voie vers
l’autre que je me refuse à voir. Non, c’est au-delà de mes forces.
Et pourtant, aidée, guidée, tenue
par les mots de Véronique Sousset, l’avocate du « monstre », j’avance
vers quelque chose qui me semble être une forme de lumière encore bien floue.
C’est difficile, j’ose à peine regarder où je mets les pieds mais j’y vais.
Qui est-elle, cette femme,
l’avocate ? Oh, surprise ! Elle est comme moi, pas plus capable
de supporter l’insupportable que moi.
Non, elle n’est pas une superwoman. Elle s’interroge : « Comment défendre ce que l’opinion nomme un
monstre ? », comment regarder celui qui se trouve en face de vous
et qui a commis le pire ? « Monstre,
un des rares mots de la langue française qui ne rime avec aucun autre. Du latin
« monstrum » : phénomène singulier avant que de désigner un être
qui fait horreur. Je n’en avais jamais côtoyé de si près. J’ai fait sa
connaissance. Rien n’efface cette expérience. Abasourdie, on baisse le regard
dans un premier temps, puis on lève la tête pour lui faire face. »
Elle doit accepter d’être pour les autres « l’avocat d’un salaud » et logiquement, devenir aussi « le salaud d’avocat », accepter
« d’entendre l’inaudible »,
accepter d’écouter, d’échanger avec lui, celui qui se tiendra de l’autre côté
de la table. Corps séparés, éloignés, tenus à distance. Lire les dossiers, voir
les photos, assister à la reconstitution des faits. « Des heures de questions préparées, de confrontations, pour savoir qui,
quand, où, comment, rarement pourquoi. », « Éreintée de cette plongée dans les entrailles de l’humanité, secouée pour
avoir ainsi frôlé les bords de votre gouffre, j’ai bien failli chuter. »
Elle avance comme une funambule sur un fil, je la suis difficilement, mets mes
pas dans les siens, je l’imite mais je tremble. Je regarde ses mains, elle
aussi tremble : « Je sens
bien que si je me penche sur elle (la petite), je ne pourrai plus vous
accompagner. Votre fille est une flamme qui brûle où mes certitudes peuvent
aussi se consumer. »
Elle se doit de rester concentrée, maîtriser
son corps, ses émotions. « Pourquoi
est-ce vous qui reprenez le dossier ?, ne me demandez-vous pas. Je ne vous
réponds pas : « Parce que personne n’en veut au barreau. »
Ma consoeur a abdiqué pro domo, car comme à tant d’autres, vous faites
horreur. » L’avocate est commise d’office, on s’interroge sur sa
décision de défendre celui qui a « frappé,
insulté, séquestré » et tué son enfant. Pourquoi accepter de le
défendre ? Pour comprendre, refaire le parcours du début, de son début à
lui, l’homme, de son enfance à son enfant. Chercher la parcelle d’humanité
certainement enfouie en lui, la ramener à la surface pour qu’avec le temps, le
monstre redevienne homme. « C’est
quoi une juste peine ? La juste peine c’est une peine utile, qui répond à
ce double objectif : punir et prévenir. Elle devient alors l’instrument
possible d’une réadaptation à la société, c’est à ça que doit servir la
prison. Car « faire sa peine » comme on l’entend, ce n’est pas
laisser s’égrainer le temps, des années comme des bâtons alignés que l’on raye
sur un mur de cellule. Faire sa peine, c’est s’en emparer. La prison sera le
lieu où Monsieur va continuer le chemin qu’il a commencé vers nous. »
Madame, sachez que non seulement
vous avez été lue mais aussi que vos mots viendront dorénavant éclairer ma
pensée. Je ne suis pas certaine de marcher toujours bien droit et je crains
même quelques rechutes, alors, croyez-moi, je ressortirai votre livre et
relirai ces lignes qui m’ont empêchée de renoncer « à la foi que l’on doit garder en l’homme. »
Merci.
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