Éditions Gallimard
J’avais croisé l’auteur au Salon
du Livre Paris 2017, j’avais pensé à son récit qui m’attendait et que je
n’avais pas encore lu. Voilà où en était l’état de « mes
connaissances » lorsque j’ai ouvert Un
saint homme.
Un saint homme…
Il est en effet parfois des
occasions heureuses : le 2 février 1988, alors que sur les ondes de France
Inter, Anne Wiazemsky vient de présenter son premier roman Des filles bien élevées, un homme l’appelle. Elle le
reconnaît immédiatement, c’est le père Deau. Il fut son professeur de français
et de latin au Colegio Francia de Caracas. Anne avait quatorze ans, lui vingt-cinq.
Leur relation est immédiatement très forte : l’homme semble fasciné par
cette jeune fille avec laquelle il aime discuter. Il aime « son cœur ardent et impétueux », sa
force de caractère, sa maturité. Il la regarde composer ses rédactions et la
décrit sur plusieurs feuillets alors qu’elle travaille. Elle est déjà celle qu’il
nomme « un chef-d’œuvre du Seigneur »
ou bien « l’enfant de mon cœur ».
Puis, Anne quitte brutalement le
Vénézuela : le père Deau lui écrit mais les réponses d’Anne se font rares.
Elle vit autre chose à Paris. Très peiné, il finit par se dire qu’ils sont
peut-être trop différents pour se retrouver. Il part en mission au Cameroun où
il partage la pauvreté des gens qu’il rencontre. Lors d’une séance de cinéma en
plein air, il découvre sur le drap qui tient lieu d’écran la jeune Anne dans le
film de Robert Bresson : Au
hasard Balthazar. C’est à Bordeaux où il est muté ensuite qu’il se
renseignera pour savoir ce qu’est devenue Anne. Mais encore une fois, il se dit
que des vies si différentes ne peuvent se rejoindre. Or, ce 2 février 1988, il
a Anne au bout du fil et compte bien la revoir !
Ils se retrouvent à Malagar où il
lui avoue être allé plusieurs fois : « Je pensais plus à vous qu’à lui [François Mauriac] » dit-il à
Anne. « Je m’en veux de vous avoir
abandonné » lui avoue-t-elle bouleversée. Le père Deau l’interroge sur
sa famille, ses activités d’écrivain mais ne lui pose aucune question sur son
passé.
Ils se revoient. Il est toujours
là, présent, fidèle, disponible pour elle. Il ne lui refuse jamais rien.
Lors des conférences d’Anne à la
libraire Mollat, il est toujours assis devant et la défend avec ferveur contre
ceux qui l’accusent de dévoiler des secrets de famille. Il avoue même avec
fierté qu’il est peut-être à l’origine de son goût pour l’écriture…
Leurs retrouvailles sont toujours un moment de
grand bonheur. Et le père Deau ne peut que s’exclamer « Déjà ? » lorsqu’il la voit
repartir vers ses occupations parisiennes.
J’avoue que lors de cette lecture,
je cédais bien sûr au plaisir de retrouver Anne Wiazemsky, cette famille hors
du commun, la propriété de Malagar, j’aimais les considérations de l’auteur sur
l’écriture, l’amour, le temps, la solitude, la douleur… Le tout empreint d’une
certaine tristesse et d’une grande pudeur.
Mais souvent, j’avais le
sentiment que les mots ne disaient pas l’essentiel, que cet essentiel, il
fallait le chercher, qu’il était ailleurs, dans les silences peut-être…
Je poursuivais ma lecture
toujours intriguée par cette relation si forte, cet attachement presque
démesuré d’un homme d’Église pour une jeune fille puis pour une femme qui ne
croit plus depuis longtemps, qui fréquente des hommes tout en voulant protéger
son indépendance, une femme dont il aurait pu condamner le mode de vie, le travail,
les engagements. Ce qu’il ne fit jamais.
Et soudain, j’eus comme un
éblouissement : cet « essentiel » que je cherchais était là
devant moi, bien visible : il l’aimait, tout simplement. Ne voyez rien
de condamnable derrière ces mots : rien ne peut les condamner. Ils sont
purs, entiers et beaux. Il l’aimait d’amour,
me direz-vous ? Aime-t-on d’autre chose ?
Je compris enfin que je venais de
lire une magnifique histoire d’amour, un don de soi à l’autre, un sentiment que
l’on porte toute sa vie au fond de son cœur, quoi qu’il arrive…
C’est peut-être une lecture, ma lecture, mais c’est ce que ce très beau texte m’a livré de cet
homme. Un homme qui aimait, infiniment.
Un saint homme.
Très belle critique, ce que tu écris à la fin est très émouvant.
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