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mercredi 24 mai 2017

Autisme de Valério Romão


 Éditions Chandeigne

Le petit Henrique vient d'être renversé par une voiture : ses parents Rogerio et Marta se précipitent aux urgences, rejoints rapidement par les grands-parents. Et c'est l'attente. Normal, me direz vous, aux urgences, on attend.
Sauf que là, on n'entre pas, on reste éternellement dans la salle d'attente, aucun médecin ne vient vous chercher, vous donner des explications, aucune infirmière ne vient soulager votre peine, vous rassurer. Il y a bien un interphone avec un code mais on ne le connaît pas, il y a bien un vigile qui surveille mais il demeure inflexible. Et l'on peut bien sonner, frapper, pleurer, crier, hurler, ça ne change rien. On reste à la porte sans trop savoir ce qui se passe derrière, si l'enfant renversé est encore vivant, s'il appelle, s'il souffre, si on est en train de l'opérer . Rien. On ne sait rien.
Le lecteur se trouve plongé alors dans un univers kafkaïen, métaphore de ce que vivent les parents confrontés à la maladie : l'autisme, en l'occurrence . Henrique, en effet, est autiste et vit presque coupé du monde, c'est ce que nous apprennent les flash-back qui viendront entrecouper la narration de cette attente sans fin aux urgences.
En effet, Henrique est un enfant différent : pas de communication, pas de mots prononcés, pas de volonté, pas de désirs. Un seul plaisir : faire tourner les objets sur eux-mêmes, des petites voitures par exemple et regarder en boucle les dessins animés . Ses mains s'agitent quand il est submergé par l'émotion. Et ses parents ressentent la terrible impression de ne pas entrer en contact avec lui, de ne pas avoir le code d'entrée, autrement dit, de rester à la porte. Comment être parent quand on n'est jamais appelé papa ou maman ? Comment tenir le coup au quotidien pour solliciter l'enfant des heures et des heures tous les jours ? Comment continuer à faire vivre son couple sans s'user, sans sombrer dans le désespoir, sans s'en vouloir et en vouloir à la terre entière ? Comment ne pas s'isoler ? Vers qui se tourner pour avoir de l'aide de médecins et de psychologues compétents ou de structures sans tomber dans les filets des charlatans prêts à profiter de la détresse de parents complètement perdus et prêts à croire au miracle ? Comment être tout simplement aidé, accompagné, soutenu ?
Et la porte des urgences ne s'ouvre toujours pas, impossible de franchir cette paroi de verre et la détresse de la famille s'accentue, à chaque heure, à chaque minute, frisant la folie et l'incompréhension la plus profonde. Cette image de la porte fermée montre à quel point le fait de ne pouvoir communiquer avec son enfant est vécu comme un martyre.
On reste à la porte de ce qui nous tombe dessus soudain et qu'il va falloir admettre : l'enfant qui est le nôtre n'est pas comme les autres. Après viendra le terrible diagnostic. Véritable couperet.
Autisme est un livre puissant parce qu'il dit la détresse infinie des protagonistes à travers une écriture au rythme souvent heurté, brisé, des phrases parfois longues et tortueuses, des passages versifiés, une langue à la fois soutenue et relâchée. Les mots parfois crus, violents reflètent le quotidien des familles, une épreuve, une lutte chaque jour renouvelée, une vie prenant la forme effrayante d'un mythe de Sisyphe infernal.
L'auteur, père d'un enfant autiste, n'a pas souhaité écrire un témoignage. Il a préféré la fiction pour exprimer sa douleur et raconter son expérience personnelle. Il dit que ce roman est « emprunté à sa vie ». Le genre du roman permet plus de distance par rapport au vécu de l'auteur et surtout autorise parfois certains passages comiques (et néanmoins désespérés) qui auraient été déplacés voire impossibles dans un témoignage.
Un texte dont la fin vous laisse totalement anéanti par l'émotion.

Magnifique et poignant.

1 commentaire:

  1. Intéressant, et ta critique, très émouvante, semble en dire long sur la puissance de cette histoire. Je le note, merci.

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