Éditions du Rouergue
★★★★★ (J'ai adoré)
Madame
Corenblit, page 183, vous prêtez à votre lecteur l'idée que
l'écrivain a dans ce livre « … mélangé la réalité
avec sa drôle d'imagination qui lui fait raconter des trucs tordus
pour donner des peurs rétrospectives aux lecteurs tranquilles qui
essaient de vivre mieux que les personnages perdus des
romans qu'on veut bien leur proposer. »
Eh
bien, sachez, Madame, qu'à aucun moment, je ne me suis dit :
tiens, n'importe quoi, elle veut nous faire peur celle-ci, rien à
voir avec la réalité de l'école tout ça, encore une alarmiste,
une râleuse comme il y en a tant dans ce milieu, une qui est
toujours dans la rue les jours de grève, une qui veut encore
révolutionner le système, une qui..., une qui..., une qui…
Non,
hélas, de tout coeur, j'aurais préféré ne pas croire à ce que
vous racontez, ranger le livre sur l'étagère des « romans »
et passer rapidement à autre chose…
Mais,
dans quelques jours, Madame Corenblit, ce sera ma 29ème rentrée,
certes pas à l'école primaire mais au collège et croyez-moi, des
Ryan, des Michel, des Dimitri, des Myriam, mes collègues et moi les
avons devant nous chaque année, comme vous les décrivez et nous les
accueillons comme ils sont, nous donnant corps et âme pour qu'ils
aient le plaisir d'être en classe, pour qu'ils viennent à l'école
avec le sourire, qu'ils en repartent avec une autre façon de voir le
monde et nous l'espérons, le coeur plein de confiance en l'avenir.
C'est
pourquoi, Madame Corenblit, j'ai trouvé votre livre magnifique, très
juste et nécessaire. Je ne vous cache pas qu'il m'a beaucoup
touchée. Parfois j'ai dû m'arrêter dans ma lecture tellement je
sentais l'émotion me gagner.
Merci
de rappeler à ceux qui ne travaillent pas dans l'Éducation
Nationale ce qu'est l'école aujourd'hui, les difficultés que l'on
rencontre en tant qu'enseignant et notamment jeune enseignant,
trimbalé à droite à gauche, sur plusieurs écoles à la fois, à
des kilomètres de distance, placé sans aucune expérience devant
des enfants cabossés par la vie et usés par les écrans, mal formé,
mal considéré, très peu reconnu ou respecté, démuni face à un
sentiment d'absurdité et de perte du bon sens, dans l'obligation
d'appliquer des réformes ou des méthodes d'apprentissage dont
l'efficacité reste à prouver, soumis à une terminologie ridicule
et absconse ou à des sigles indéchiffrables, accablé par
l'accumulation de tableaux ou paperasses inutiles à remplir - comme
si c'était ça l'essentiel du métier -, luttant contre des rythmes
scolaires insensés, pleurant après des horaires « peaux de
chagrin » (quatre heures, ma bonne dame, quatre pauvres petites
heures par semaine en troisième pour enseigner le français, à
savoir, la compréhension de texte, la grammaire, l'expression écrite
et orale, l'orthographe, la conjugaison, le vocabulaire et si
possible un peu de lecture de l'image ou de l'analyse filmique si on
a le temps…) et malgré tout, se battant coûte que coûte, montant
des projets en veux-tu en voilà, retravaillant les cours parce que
Dimitri n'a rien compris ou que Myriam n'a visiblement pas été
intéressée, rencontrant des parents fatigués, dépassés parce que
les modes de vie ont en quelques années beaucoup changé et qu'ils
n'y comprennent plus rien, et nous, à dire vrai, pas beaucoup plus
et pourtant, on est là, on ne lâche pas, on réexplique que les
écrans doivent être éteints le soir, les portables posés dans
l'entrée, on rappelle qu'une demi-heure de lecture avant de se
coucher, c'est pas mal, que travailler dans le silence, c'est mieux,
que dormir au moins huit heures par nuit permet de ne pas s'effondrer
sur sa table le lendemain en classe...
Pour
toutes ces raisons, Madame Corenblit, j'ai beaucoup aimé votre
livre, votre personnage, Emma, professeur des écoles, qui
s'accroche, qui en veut, qui résiste et essaie de comprendre. Une
Emma « Antigone », entière, intransigeante, refusant les
misérables compromis, prête à rentrer dans le lard de ceux qui
disent que ça ira, que c'est pas terrible mais bon, on fera avec…
J'ai
aussi trouvé très juste le personnage du directeur, monsieur
Aucalme, qui fait ce qu'il peut, le pauvre homme, et qui visiblement,
à la fin, n'en peut plus. Je l'ai aimé parce qu'il est très
humain, il ne veut pas faire de vagues (d'ailleurs Emma le traite de
« lâche »), il essaie d'arranger les choses mais il
s'use et la scène finale de son départ à la retraite, toute en
retenue, est magnifique .
Non,
la réalité n'est pas simple, oui, il faut se battre, pour eux,
j'allais dire malgré eux, parce que plus tard, ils seront les
premiers à courir vers nous, comme vous le dites si bien dans le
livre, en nous appelant par notre nom, redevenant soudain l'enfant ou
l'adolescent qu'ils étaient, nous avouant, un peu essoufflés, les
joues rosées, un vaste sourire aux lèvres, à quel point l'exposé
sur tel bouquin, le poème qu'ils avaient écrit puis lu devant la
classe ou le rôle qu'ils tenaient dans telle pièce de théâtre,
ils ne l'ont jamais oublié - et ça, c'est du vécu et rien que pour
ça, ça vaut le coup !
Merci Madame Corenblit d'avoir mis toutes ces choses, les belles et les
moins belles, dans ce magnifique livre plein de désespoir, de joie,
de violence, de poésie, d'humour et de rire.
A
coup sûr, je penserai à vous lundi lorsque je me retrouverai devant
mes futurs « attachiants », heu, pardon, attachants !
Forcément celui-là je le prends ;)
RépondreSupprimerCoucou Mylène,comme je suis contente de te lire! Oui, bien sûr, ce livre est fait pour toi! Du vécu! J'espère que tout va bien de ton côté et que ta rentrée s'est bien passée! Bonnes lectures à toi et à bientôt!
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