Éditions de l'Olivier
★★★★★ (j'adore!)
Hector
Vickery, prof de fac, vient d'obtenir la mutation dont il rêvait
depuis longtemps : il s'envole avec sa femme Sylvie et son fils
Lester vers les États-Unis, direction Earl University en Caroline du
Nord. Une nouvelle vie s'annonce pour la petite famille, loin d'une
Europe encore sous le choc de l'attentat de Charlie Hebdo… Bref,
prendre un peu de distance ne peut pas faire de mal…
« Ils
allaient quitter la France, quitter Paris, les
insolubles problèmes de stationnement, les visages moroses, les
bousculades dans le métro, les minutes de silence. La peur d'un
nouvel attentat islamiste. Le passage honteux de l'incrédulité au
fatalisme. Ils abandonneraient le vieux pays fatigué et divisé pour
une contrée neuve et pimpante. »
Hector
va très vite s'adapter à son nouvel environnement, c'est le moins
que l'on puisse dire... En revanche, Sylvie, personnage étonnant,
partisane de la non-action, vit tout cela avec une certaine
passivité, ce qui lui permet d'observer de loin tout le petit manège
de la vie sociale à laquelle elle va, plutôt à contrecoeur, devoir
participer. Quant à Lester qui s'est rebaptisé « Absalom
Absalom » lorsqu'il survolait l'Atlantique, il va évoluer
d'une façon pour le moins inattendue…
Une
année donc où chacun d'eux va s'observer, observer les autres et
tenter, peut-être, de comprendre ce qu'il est vraiment…
Quel
délice que ce roman ! J'ai trouvé dans le personnage de Sylvie
- dont le lecteur partage le point de vue - un mélange d'Oblomov et
de Meursault, avec une petite touche d'absurde qui m'inviterait même
à chercher du côté de Ionesco. En effet, cette femme, adepte du
dogme du non-agir, ne fait rien ou pas grand-chose, mais attention,
« cela n'est pas le signe d'une défaillance, d'une
situation humiliante, mais d'une éthique, d'un choix de vie. »,
j'irais même plus loin en parlant d'art de vivre... Elle observe son
fils, son mari, les gens. Et cette posture distante et immobile
qu'elle adopte lui permet d'avoir un regard assez juste et très
lucide sur le monde agité qui est le nôtre, un regard en tout cas
qui sait dépasser les apparences...
Le
jeu social, dont elle a l'impression de ne pas connaître les codes,
la fatigue. La mode ne l'intéresse pas. Plaire n'est pas son souci.
Sylvie, en société, n'est rien sinon la femme d'Hector ou la mère
de Lester. Rien ou pas grand-chose : « Je ne suis
rien » se répète-t-elle en silence et cette phrase
« l'apaise, l'isole, la protège ». Mais, comme
elle aimerait l'expliquer aux autres, « c'est là, dans
cette aliénation, que se déploie sa liberté. » Elle est
une femme libérée, mais pas dans le sens où on l'entend
actuellement, non, elle est libérée parce qu'elle ne travaille pas,
n'a ni amis ni relations et donc pas de jeu social auquel se plier.
Elle est heureuse dans « une vie dégagée de tout lien,
presque sans matérialité. » Agnès Desarthe n'est-elle
pas en train de se demander si la femme moderne a pris ou non le bon
chemin pour se libérer ? La question est posée en tout cas.
« Pas
d'impatience chez toi, pas de volonté de prouver quoi que ce soit.
C'est l'humilité première, primaire, le douloureux et nécessaire
constat de l'incapacité » commente une de ses proches.
Il
y a quelque chose de profondément vrai en elle, c'en est fascinant !
Alors,
un peu désoeuvrée, sur les conseils de son mari, elle se rend à
l'Alliance Française pour chercher « des brochures »…
Pendant
ce temps, Lester, je veux dire Absalom Absalom, prie pour ses
parents. A-t-il raison de les sentir en danger ? « Protégez-les
de la violence du monde, de la tristesse. » Quelle belle
lucidité là aussi !
La
chance de leur vie est un roman très riche
(les strates de lecture sont nombreuses) qui nous amène à réfléchir
aux divers problèmes que rencontre notre société actuelle, en
pleine mutation. Les thématiques abordées sont multiples :
couple, fidélité, amour, place des femmes, sens de la vie,
éducation, monde surconnecté, violence… mille questionnements ou
pistes de lecture qui peuvent donner lieu à plusieurs interprétations possibles… N'est-ce pas là le signe d'un livre
riche, profond, (et en même temps si drôle, j'ai omis de le dire!)
sur lequel on pourrait discuter bien des heures ?
Et
surtout, il présente des personnages complexes, un brin hermétiques,
plutôt attachants et bien décalés… comme on les aime !
Un
roman qui restera, c'est certain !
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