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dimanche 21 juin 2020

Dans les geôles de Sibérie de Yoann Barbereau


 Éditions Stock
 ★★★★☆ (glaçant)


Je ne sais pas vous mais moi, si l'on me proposait un poste de directrice de l'Alliance Française à Irkoutsk, capitale de la Sibérie orientale, tout près du lac Baïkal, eh bien, je n'hésiterais pas une seconde (oui, je développe actuellement une certaine obsession pour certains lieux dont le lac Baïkal autour duquel je pense un jour ou l'autre aller traîner mes vieilles chaussures de marche.) Mais ce n'est pas à moi que l'on fit cette belle proposition mais à un certain Yoann Barbereau qui prit ses cliques et ses claques et s'empressa de partir avec sa fiancée russe (ça tombait plutôt bien) et sa fille… Comme ce genre de fonction suppose une bonne capacité d'absorption et de digestion (ce qui est dans mes cordes, jusque là, ça va)… ainsi qu'une langue bien pendue (je suis tout sauf une taiseuse), je pense qu'à la condition de ne pas prononcer un mot de russe (pure hypothèse très peu probable mais au pays de Gogol, tout est envisageable), je serais tout à fait à la hauteur…
Hélas, personne ne m'a jamais proposé un si joli poste et finalement, ce n'est peut-être pas plus mal car voyez-vous, le risque quand même, c'est de finir au fond d'une prison (bon, je sais, la Sibérie, le goulag… mais évitons les amalgames fâcheux) ou dans un asile de fous, voire coincé dans un appart, un bracelet électronique à la cheville…
Eh oui, c'est ce qui arriva à notre pauvre Yoann Barbereau, oui le directeur de l'Alliance française à Irkoutsk – je répète pour ceux qui ne suivent pas - victime de ce qui en Russie se présente comme une activité, comment dire, pas quasi officielle mais presque : le kompromat…
Quèsaco ? Grosso modo, il s'agit de piéger une personnalité en lui mettant dans les pattes quelque irrésistible jolie poupée de porcelaine aux yeux clairs puis de prendre quelques photos de ladite personnalité occupée à jouer avec ladite créature ou bien de mettre fin à la carrière prometteuse d'une personnalité en vue (tiens, ça vous rappelle quelque chose, on dirait…) en l'accusant de viol, par exemple, sur mineur(e), encore mieux. C'est précisément ce que vécut notre jeune directeur arrêté un beau matin au sortir du lit pour viol sur sa propre fille en particulier et pédopornographie en général. Rien que ça. Inutile de vous décrire le côté kafkaïen de l'affaire…
On a beau ensuite tenter d'expliquer aux gentils messieurs qui prennent soin de nous écouter qu'il doit y avoir une légère erreur sur la personne, rien n'y fait. Vous êtes pris au piège, écrasé, mis en bouillie, détruit et si personne ne s'intéresse à vous ailleurs dans ce vaste monde, on peut penser que vous pouvez dire adieu à votre cher plancher des vaches (avec l'aide ou pas de la DGSE qui face aux Russes semble avoir un peu de mal à se faire comprendre). Il faut compter rester là-bas quinze ans minimum, j'allais dire « au chaud » mais en Sibérie, ce n'est pas franchement le cas (eh, quand même, – 40 l'hiver… je n'irai pas en hiver, c'est sûr, à moins que dans mon Décath' d'à côté, ils se mettent à vendre des doudounes ultra performantes mais même, n'insistez pas et pourtant, ce putain de lac en hiver…) Bon, restons polie et revenons à notre Ivan ou Vania ou Vanka ou bien encore Vanechka (d'accord j'arrête, la littérature russe vous pompe précisément à cause de ces petits jeux sur les noms, donc ok ok ) Yoann : qu'a-t-il fait pour mériter ça, me direz-vous ?
Eh bien le problème, c'est qu'il n'en sait rien. Ou pas grand-chose. Bon, il a un peu batifolé avec la femme d'un notable d'Irkoutsk (mais elle était très très consentante)… C'est pas bien mais ça ne vaut pas 15 ans de Sibérie quand même… Ok, il était copain avec des gens plutôt opposés à notre ami Poutine… Ca arrive… En tout cas, ce qui est sûr, c'est que quelque chose n'a pas plu à quelqu'un et notre Yoann pense que c'est un coup monté par le FSB. (S'il vous plaît, les services secrets russes, ne lisez pas ce qui suit… je veux bien faire une p'tite rando du côté du Baïkal mais je veux aussi rentrer chez moi… J'ai quatre mômes, deux chiens et un poisson rouge qui m'adorent et qui ont encore un peu besoin de moi dans la vie (plus pour longtemps mais quand même)) donc le FSB ? Service Fédéral de Sécurité de la Fédération de Russie (ouh là là… j'ai déjà la trouille, tiens), frère jumeau du KGB soviétique : contre-espionnage, surveillance des frontières, opérations anti-terroristes, lutte contre la corruption et le crime organisé (toussa toussa nous dit Wiki). Officiellement du moins. Ils fonctionnent en lien étroit avec toute la sphère politique et économique. Bref… On peut imaginer quelques légères interactions… interférences (je ne sais pas comment dire moi et je veux rester polie - je veux rentrer chez moi...) entre des mondes qui se côtoient, dirons-nous, le tout pouvant coûter cher aux petits damoiseaux de passage qui ont tapé sur les nerfs d'un petit notable irkoutskien… Ils sont un peu nerveux là-bas (le froid, ça ne détend pas… La vodka, par contre…)
Bon allez, je ne vous révèle pas l'histoire de notre Yoanntchik qui en a des vertes et des pas mûres à raconter (encore un exemple où le réel dépasse très franchement la fiction) : entre des rencontres improbables avec des prisonniers aux trognes incroyables et aux destins bien sombres, des fous au grand coeur et à l'âme perdue à jamais, des tarés des chemins enivrés jusqu'aux os et toujours prêts à en découdre, entre des BlaBlaCar nocturnes et des Airbnb salvateurs, des téléphones portables laissés ici et là, des leurres improbables, des perruques folles et des aides précieuses restées anonymes, il faudra une résistance incroyable à Yoann Barbereau pour fuir l'enfer.
Sans la littérature et l'écriture, rien n'eût été possible car avant que de libérer le corps, il faut à l'âme un certain espace pour pouvoir se mouvoir, des mots qui comblent les vides, qui réchauffent et qui rassurent. Chapeau quand même ! Une sacrée aventure qu'il vous faut, cher lecteur, absolument découvrir !
Promis, avant de partir j'apprendrai quelques vers de Marina Tsvetaïeva ou de Sergueï Essénine. On ne sait jamais...


                                     

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