Éditions Actes Sud
★★★☆☆(J'ai aimé, sans plus)
Au
début, le livre m'a déplu, tout m'a déplu : le prénom du
personnage principal, Jeanne, très en vogue actuellement - trop
d'ailleurs - : qui donnait à sa fille le prénom Jeanne dans
les années 75 ? Personne ! Alors, elle, elle s'appelle
Jeanne et elle a quarante et quelques années. Elle a de la chance
d'avoir un si beau prénom. Je l'imagine pensive - les Jeanne sont
pensives - et calme. Elle porte un foulard vert et un gilet gris
pas très neuf. Oui, je la vois bien comme ça. Elle est émerveillée
par le monde, les petites choses du monde, la lumière, un renard,
des abeilles qu'elle prend le temps d'observer, parce qu'elle a le
temps, Jeanne.
Elle aime aussi l'art contemporain, les performances
et son mari est un gentil abruti qui refait toute la cuisine, lui
ramène des macarons tous les mardis (je pleure) et met des sous de
côté pour aller en Grèce.
Bref, tout ça m'a énervée, peut-être
parce que je n'y croyais pas, tout me semblait sonner faux. Un
peu/beaucoup cliché, quoi. D'abord, j'aurais préféré qu'elle
s'appelle Stéphanie, Sandrine ou Nathalie comme tout le monde à cet
âge-là, qu'elle n'ait pas ce doux air
rêveur-ailleurs-jevoisdeschosesquepersonnenevoit, qu'elle se tue au
travail au boulot ET
à la maison plutôt que de regarder les coccinelles se promener sur
le rebord de la fenêtre ou les trains passer et qu'elle se réjouisse
au moins UN PEU de côtoyer un homme qui l'aime et qui refait chaque
année une pièce de la maison et sans râler en plus !
Ingrate ! Tu préfères quoi, toi, comme teinte pour la
cuisine ? Je ne sais pas, je vais réfléchir cette nuit…
Quand il n'y a plus qu'à choisir la couleur, ça va !
Grrrrrrrr !
Jalouse
moi ? Ben OUI, peut-être, certainement même : 1. Parce
que je ne m'appelle pas Jeanne, 2. Parce que j'ai intérêt à ne pas
avoir les deux pieds dans le même sabot avec ma marmaille et le
boulot, 3. Parce que les jolies-belles choses de ce monde, je n'ai
pas le temps de les contempler, voire je les écrase en marchant
dessus (non intentionnellement bien sûr - attention chez moi,
défense de tuer les araignées, elles sont énormes, peuvent rester
six mois dans un coin, bien tranquilles, mais on n'a pas le temps de
se causer elles et moi, chacun son taf), 4. Parce que j'aime l'art,
contemporain et tout et tout mais de là à ce qu'il ait une
influence sur ma vie… (sauf la littérature, bien sûr), j'en
conclus donc que je suis hyper insensible.
Résumons :
mon nom est nul, ma vie est nulle, je n'ai aucune sensibilité et
l'art me laisse de marbre.
C'est
pourquoi, Jeanne m'a énervée.
Mais,
comme je ne suis pas du genre à ne pas finir un livre, je suis allée
jusqu'au bout et… est-ce la simplicité de l'écriture qui m'a
touchée ou la Jeanne et son malaise existentiel qui ont fini par
m'avoir ? Je ne sais pas mais je me suis retrouvée complètement
chamboulée (comme quoi, je ne suis pas si insensible que ça, na!),
en pleurs, vidée… Les dernières pages m'ont bouleversée, je les
ai trouvées tout simplement très belles et je me dis que comme une
idiote, dès le début, j'aurais dû me laisser aller. Au lieu de ça,
j'ai fait la fière, j'ai voulu résister (pourquoi ? Faudrait
creuser… Un peu de frustration ? Il faudra que j'en parle à
mon psy !) Bon, en tout cas, me voilà bien ! Depuis que
j'ai refermé le livre, je pense à Jeanne souvent, comme quoi…
Que
je vous présente enfin le sujet (comme vous êtes patient!)
Donc
Jeanne - quel beau prénom quand même…- s'ennuie. (Ses grandes
filles sont parties, elle ne semble pas partager grand-chose avec son
mari, son boulot n'est pas bien passionnant MAIS, ses grandes filles
vont bien (et c'est déjà pas mal), son mari l'aime (c'est
appréciable aussi) et elle a un emploi (ce n'est pas donné à tout
le monde) : alors quoi ? Fatiguée d'être heureuse, la
nouvelle Bovary ? Une petite dépression qui s'annonce ? En
tout cas, parfois les petites choses en entraînent de plus
importantes (l'effet papillon, c'est ça?) : un coup de vent et
un cadre se décroche, le verre se brise et une photo s'échappe.
D'une de ses filles ? Non, pas du tout, c'est une photo de
Marina Abramović.
Quoiiii, vous ne connaissez pas cette artiste mondiAAlement connue ?
Rassurez-vous, moi non plus (mais je me suis rattrapée et je suis
allée voir sur Internet TOUTES ses prestations, pardon, ses
performances.) C'est un professeur qui avait présenté à la classe
de Jeanne cette artiste (comme quoi, on mesure mal la responsabilité
des enseignants…) et soudain, Marina Abramović
refait irruption dans la vie de notre héroïne - ou alors Jeanne
l'avait en elle depuis bien longtemps, je crois plutôt à cela - et
celle-ci de s'interroger soudain sur le sens de son train-train en
particulier et de la vie en général, avec de vastes questions
comme : « J'ai bientôt passé la moitié de ma
vie, et je me demande ce que je vais faire de l'autre. »
(c'est pas bon de s'interroger comme ça, ah non!) et l'on sent que
petit à petit, elle se détache et plus elle s'éloigne de notre
monde, plus elle se passionne pour le travail de
l'artiste-performeuse (matrice/mante?) et va même jusqu'à lui
écrire, régulièrement.
Marina
Abramović (à travers
différentes performances que je vous laisse découvrir - bon, c'est
vrai, je n'ai pas tout compris du projet) semble vouloir tester les
limites : de son corps (en le flagellant, en le coupant, en le
congelant, en restant des heures dans la même position, en risquant
de mourir...), de son esprit (en supportant la douleur, en
communiquant avec l'autre par le regard, - cette performance appelée
The Artist is present, MoMA, 2010 m'a vraiment impressionnée,
si si ! -, en se séparant de l'être aimé…)
Bref,
comme vous l'avez compris, Abramović
n'est pas dans le train-train, elle, c'est le moins que l'on puisse
dire, et surtout, elle OSE, elle FAIT et n'attend pas. Alors Jeanne
s'interroge : « Ça t'arrive des fois de
penser aux choses qu'on aurait dû faire et qu'on n'a pas faites ? »
demande-t-elle à son amie Suzanne (encore un beau prénom pour la
copine, grrrrr!). « Ce que vous faites me console de moi. »
écrit-elle à Marina… C'est beau ça, hein ?
Devant
la face médusée de son mari qui, pendant sa pause bière et entre
deux coups de pinceau, essaie de comprendre l'intérêt grandissant
de sa femme pour cette artiste, celle-ci tente de lui
expliquer : « Il y a une force en elle qui libère
ceux qui la regardent. »
Et,
c'est VRAI, il n'y a qu'à voir l'état dans lequel se mettent
certaines personnes dans la performance dont je vous parlais tout à
l'heure où il s'agit seulement, dans un face-à-face, de la regarder
sans rien dire. L'intensité de son regard donne VRAIMENT
l'impression que non seulement elle vous voit, vous prend en
considération mais aussi qu'elle vous comprend et je veux bien
croire que des gens insuffisamment regardés craquent !
Bon,
je vous vois sourire et vous demander : et moi, finalement,
suis-je suffisamment regardé ? A vous de voir…
En
tout cas, Jeanne va avoir l'opportunité de changer de vie -
comment ? Suspense… et que va-t-elle faire ? Suspense
aussi ! « J'ai l'impression qu'il y a deux Jeanne en
moi, une qui a eu envie de cette vie calme et bien rangée et l'autre
qui voulait être différente. La première a été la plus forte.
Mais j'ai besoin, de temps en temps, de sentir en moi la présence de
l'autre. »
Voilà
le problème…
Alors
moi, quand c'est comme ça et que mes pensées commencent à
s'envoler comme celles de Jeanne et que je me dis que… et peut-être
aussi que…., bref quand je sens que le danger existentiel rôde,
alors je passe à l'action : aspirateur, tondeuse, lessive,
repassage.
Et
voilà, le tour est joué ! C'est ma recette-bonheur. Elle est
simple, gaie, sans prétention, pas chère et terriblement efficace.
Finalement, c'est pas ça qu'on appelle une performance ? Si ?
Je
savais qu'au fond, j'étais une artiste !
J'ai beaucoup aimé la sensibilité de ce roman. Et j'ai bien aimé aussi ton billet !
RépondreSupprimerDe Claudie Gallay, j'avais lu et aimé son premier roman "Seule, Venise". Beaucoup moins le suivant "Les Déferlantes". Depuis, je l'ai oubliée.
RépondreSupprimerPeut-être vais-je y revenir avec celui-ci ?
Merci et bravo pour ce billet si bien écrit,
Jean-François Mézil
j'adore cette auteur, mais j'ai commencé ce livre et ... l'ai rendu après seulement quelques pages à la biblio... je crois que ce n'est pas le type de livre qu'il me faut en ce moment ( je cherche des titres qui déménagent!!!) mais je recommencerai surement plus tard!
RépondreSupprimerJe comprends ce que tu veux dire: as-tu lu La serpe de Jaenada ou La disparition de Josef Mengele d'Olivier Guez? Je pense que ces deux titres pourraient davantage te plaire! Tiens-moi au courant!
RépondreSupprimerces deux titres déménagent-ils?
SupprimerJe ne sais pas précisément ce que tu entends par "déménagent" mais si tu recherches des romans où se mêlent réflexions et actions alors, oui, là, tu as du lourd... Et de quoi méditer par la suite...
Supprimerj'ai un peu de mal à lire des livres qui se passent autour de la guerre mondiale ces dernières années..;
SupprimerAlors, lance-toi dans La Serpe!
SupprimerJ'ai beaucoup aimé votre commentaire lu sur Babelio et votre humour.
RépondreSupprimerMad.
Merci Mad pour votre gentil message... Ah l'humour... indispensable à la vie, non?
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