Éditions Verdier
C’est un livre de silences, de
nombreux silences.
Parce que, parfois, il n’y a pas
de commentaires à faire, pas d’explications à donner. C’est monstrueux, c’est
fait. On aimerait mieux penser à autre chose, à de belles choses, mentir aux
enfants, leur dire que ça ne s’est pas passé, que personne n’aurait été capable
de faire ça, personne. Mais non, ça a eu lieu et il faut en parler.
Simone Lagrange, déportée enfant
à Auschwitz-Birkenau en septembre 1945, témoigne face à des lycéens. Silence. Les élèves sortent, muets,
stupéfaits.
Grichka Vyssotski, lui, ne sort
pas. Un rideau de cheveux cache son visage.
Et, puis, il y a d’autres
silences…
Muet à l’école, l’adolescent le
sera tout autant à la maison. Etranger à sa mère, étranger à son père. « Grichka-sans-voix,
réveille-toi » a-t-on envie de lui crier aux oreilles. « Fantôme
d’enfant sans histoire, sans route tracée sous ses souliers. »
La mère, elle, n’est pas
silencieuse mais sa logorrhée affolée masque sa peur, sa gêne.
Le père ne dit rien.
Babou, la grand-mère « coud,
brode, tricote », elle rit aussi mais se tait sur son secret, bien caché,
bien gardé.
Enfin, Madame Kerouani, la
narratrice, professeur dont le métier est de parler, d’expliquer, ne peut pas entrer en scène toute seule, sur
l’estrade, devant les élèves. Parfois, elle bloque. Elle ne peut pas dire ce
qui la ronge vraiment. Alors, elle cite les vers des autres, elle s’accroche
désespérément à une parole qui n’est pas la sienne, une parole porteuse de sa
douleur de femme qui vieillit, de femme seule et orpheline bientôt.
Et ces silences, tous ces
silences, se mêlent, s’emmêlent : échos de peines, la voix se perd, la
bouche se tord, le son se meurt…
Alors, qui parle dans ce livre,
d’où viennent les mots qui surgissent ?
Du chœur. Du chœur ? Ah,
bon, c’est une tragédie ? Oui, un peu.
Il explique, le chœur, il donne
des conseils. C’est son rôle.
« Prends garde aux enfants
fous ».
Il dit qu’il faut arrêter de se
battre, il dit qu’il faut « déposer les armes ». C’est la
sagesse du cœur. Il invite à sortir du miroir, aller plus loin, vers l’autre.
Et puis, il a ce qui va sauver le
monde. Quoi donc ? La littérature, voyons, l’aviez-vous oubliée ? Le
théâtre. Lieu de paroles. Grichka Vyssotski veut lire. Et faire du théâtre,
avec Madeleine. Alors, soudain, « Grichka parle sans s’arrêter », il
est torrent, il est déluge. Il est un homme qui « sort de l’ombre à
présent ».
Et les autres suivront…
Plusieurs voix qui taisent leurs
souffrances, leurs blessures enfouies, leurs secrets étouffés. Et puis, tout à
coup, c’est une poésie du jaillissement, une renaissance, une course vers la
lumière, pour respirer enfin, vivre, remonter à la surface par la force des
mots, par la puissance du verbe, de la littérature.
L’enseignante meurtrie, qui n’y
croit plus, prononcera les formules magiques, celles qui font encore lever la
tête de quelques-uns et le miracle aura lieu…
- Il faut qu’on parle, dira le
père…
En cette veille de rentrée, je ne
peux m’empêcher de dédier cette chronique sur ce texte magnifique de Laure des
Accords à toutes celles et ceux qui dans quelques jours vont se retrouver
devant des enfants dont il faudra délivrer la parole afin que naisse en eux le
plaisir du texte littéraire, qu’ils en goûtent les mots, les phrases, les sons,
les sens, qu’ils s’en nourrissent et qu’ils en vivent. Et qu’ils en soient
heureux…
« De mon corps à leurs voix
je sens dessous mes bras grandir comme à l’aisselle d’une feuille de tendres
rameaux, jeunes, vigoureux, volubiles, et tout au bout, translucides et coriaces,
des bractées aux couleurs argentées, des fleurs avortées, des mots qui me
transportent.
Je veux encore une fois, une
dernière fois, leur donner de la parole. »
une lecture qui à l'air poignante.. pas sure que je pourrais y faire face ...
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