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lundi 8 mai 2017

Fairy Tale d'Hélène Zimmer


  Éditions P.O.L

Je ne le fais jamais, non, je ne lis jamais avant l’œuvre elle-même la quatrième de couv’. Je ne sais pas pourquoi, cette fois-ci, elle a comme attiré mon regard. Je vous la livre ici :
« Fairy Tale, c’est ce qu’il reste de l’amour après la conception des enfants et la répartition des tâches.
-  Et l’autre enculé là… Mouret… Avec son avertissement de merde… Il croit qu’on est à l’école le gars. Il croit qu’il peut arrêter de payer nos heures sup comme ça. Il a vu ça où lui ? Je pensais pas que je dirais ça un jour mais Frédéric il me manque finalement.
- C’est qui Frédéric ?
- Frédéric… Mon ancien chef… Je m’appelle Coralie au fait. Je suis la mère de tes gosses. Tu sais, la chatte que tu remplis quand t’es au calme chez toi. »
Fairy Tale, c’est ce qu’il reste de Coralie. »
Voilà, tout est dit.
Le sujet ? Comme dans une tragédie, il est simple : Coralie est la compagne de Loïc, ils ont trois enfants, Popo, Titi et Lulu. L’aînée a onze ans. Ils habitent un pavillon dans une ville sinistrée. Loïc n’a plus de travail depuis deux ans et Coralie est vendeuse au rayon fêtes (!) chez Bonnin : vérification des commandes, réassort, présentation des produits, conseil aux clients. Une pizza rapide le midi dans la zone commerciale, un patron harceleur, des tensions avec les collègues. Une heure de trajet. Les enfants, les repas de nouilles, le zapping TV vide de sens, les tensions de la journée qui suintent, dégoulinent de partout, les vacances en mobil-home où l’espace se resserre encore davantage sur des protagonistes empêtrés.
J’arrête là, vous imaginez la suite. Alors, voir Loïc ne rien trouver, ne rien chercher peut-être, c’est dur. D’autant que dans trois semaines, il ne touchera plus ses indemnités chômage. Alors, quand Coralie tombe sur une émission de télé-réalité, Fairy Tale, qui se propose de trouver du travail aux chômeurs de longue durée, elle inscrit Loïc, sans le lui demander. La bonne fée de l’émission va-t-elle changer la vie de Coralie et des siens ?
Lorsque vous entrez dans ce roman Fairy Tale, terrible antiphrase, vous êtes littéralement happé, soufflé, emporté, vous vous cognez à chaque mot, chaque phrase vous pousse brutalement, vous met à terre, vous plaque, vous claque. Vous pénétrez dans le terrible univers de la tragédie. Fairy Tale ressemble à une pièce de théâtre et les répliques, les dialogues, sur un rythme effréné, sifflent, piquent, griffent, giclent. Les mots sont crus, bruts, hard. Ils ne sont pas dits - car on ne parle pas dans Fairy Tale - mais beuglés, hurlés, crachés, vomis.
Et pourtant, on les sent encore loin d’exprimer toute la violence subie par des individus broyés. Une violence terrible, celle de la souffrance pure, celle de la chute que l’on ne peut arrêter, celle de Coralie qui pige tout, qui voit tout, qui tente tout mais qui ne parvient pas à éviter le mur. Se fracasser, telle est l’issue inéluctable. Une vraie tragédie où on avance droit dans le pire, englué dans un cauchemar sans fin.
Un texte d’une puissance rare. J’allais écrire « une vraie claque » mais c’est bien pire que ça. C’est une sorte de précis de décomposition, de pourrissement, d’extinction pour mimer des titres à la Thomas Bernhard. Coralie s’enfonce dans la vulgarité d’un réel abject, sordide, où les gens chaque jour creusent leur trou, piégés par des problèmes matériels. Il suffit de regarder autour de soi… Que dis-je, il suffit de se regarder. Chacun reconnaîtra ici une part de son quotidien, l’usure de la vie, l’aliénation du travail, le combat qu’il faut mener sans relâche pour tout assumer et la lassitude qui fait qu’à un moment donné, ce n’est même plus la peine de lutter. On baisse les bras, on se dit que c’est foutu. Écrasé, piétiné, en miettes, on sait que l’on ne se relèvera pas.
Et cette violence, avant de se traduire par les gestes, passe par les mots. L’auteur dit que c’est par eux que s’exprime la psychologie des personnages. Ils sont en effet saisissants de vérité : je vous assure, l’effet de réel est impressionnant. On y est. Ça fuse dans tous les sens. Coralie encaisse et s’affaisse toujours un peu plus. Elle n’existe plus que pour les autres : son mari, ses enfants, son patron, ses collègues, ses voisins.
Victime de son quotidien, de ses multiples casquettes, de la fatigue qui s’accumule, elle ploie, tangue, s’enlise. Les pieds dans des sables mouvants, elle se débat et ne fait que s’enfoncer davantage. Combien de temps va-t-elle encore tenir ? Fairy Tale, dit Hélène Zimmer, est « ce qui reste de Coralie une fois qu’elle a rempli toutes ses fonctions » c'est-à-dire pas grand-chose.
J’ai lu ce texte dans la journée du 7 mai. L’angoisse qui m’a serré la gorge jusqu’au soir était terrible. Je me suis dit que cette violence des mots, de la vie, cette réalité sociale, on allait la retrouver dans les urnes, que ce désespoir, un jour, nous éclaterait en pleine face. Et j’avais peur.
Le soir, le résultat est tombé. Soulagement, bien sûr. Immense soulagement.
Mais, très vite, j’ai repensé à Fairy Tale, à Coralie.
J’ai pensé à ceux qui n’en peuvent plus et n’ont que la violence pour le dire.

Il faudra faire attention à eux. Sinon, le mur, il est pour nous.

2 commentaires:

  1. Waouh ! Ta critique reflète ce que tu décris du roman, visiblement une vraie claque, et bien plus d'ailleurs ...
    Je le note expressément même si je vais attendre un peu avant de le lire, j'enchaîne un peu trop les sujets graves en ce moment ...

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