Éditions Zoé
Cheminé par monts et vaux
Lumineux-
Traversé des lacs
morts-et les ondes prisonnières
M’ont chuchoté
Un secret
Antonia
Pozzi, Névés
Le garçon a trente ans et se
sent « à bout de force ». On n’en saura pas plus sinon que tous
ses projets semblent anéantis et l’idée de l’avenir, une chose bien farfelue.
Lui qui écrivait n’écrit plus,
lui qui lisait ne lit plus. Enfin presque.
Il ressent encore quelque
attirance pour ces auteurs qui ont un jour tourné le dos au monde, à la
civilisation, pour vivre plus intensément, se mesurer au monde, le vrai :
Henri David Thoreau, bien sûr, avec Walden,
John Muir (naturaliste américain du XIXe militant pour la protection de la
nature), Elisée Reclus (géographe anarchiste du XIXe siècle) et Mario Rigoni
Stern. L’homme n’a pas « remis les pieds à la montagne » depuis dix ans et
ses quelques économies lui permettraient de rester plusieurs mois sans
travailler. Alors, il décide de louer une baita en bois et en pierre « là où les dernières forêts de
conifères cèdent la place aux hauts pâturages » dans une vallée proche de celle
où il a passé son enfance, le Val d’Aoste, à deux mille mètres d’altitude.
Cela dit, pas question de jouer
les super-héros : « L’idée n’était pas de me mettre au
supplice : si je trouvais quelque chose de bon là-haut, je resterais, mais
je pouvais tomber plus bas encore, et dans ce cas, j’étais prêt à tourner les
talons. » Pragmatique, le gars : la tête en haut, les pieds sur
terre !
Un trente avril, il gare sa voiture
au bout d’une route et emprunte le sentier à travers les bois. Il s’installe. L’occupation
ne manque pas: il faut couper du bois, nettoyer le pré, créer un potager, faire
des sillons avec une motobineuse, labourer, sarcler, ratisser ( j’ai soudain une
pensée émue pour mon pauvre potager qui n’en a plus que le nom, pauvre carré de
terre envahi d’herbes folles), il faut, disais-je, construire un banc pour lire
et contempler le paysage, se repérer dans un nouvel espace où finalement, les
traces des hommes sont nombreuses.
En effet, rien n’est naturel là
où les bois ont été coupés pour construire des pistes de
ski : « le paysage qui m’entourait, en apparence si authentique
et sauvage, avec ses arbres, ses pâturages, ses torrents et ses rochers, était
en fait le produit de siècles de labeur, un paysage artificiel au même titre que
celui de la ville. » Déçu ? Non, pas du tout. Ce que recherche le
narrateur est « exclusivement humain ». Pourquoi la baita d’à côté est-elle
orientée de cette façon ? A qui appartenait ce vieux seau en bois
vermoulu ?
Autrefois, le hameau était
habité. Autrefois… il y a bien longtemps… Plongée dans l’enfance.
Les seuls habitants dorénavant
sont les blaireaux et les renards. Dans son isolement, le narrateur s’imagine
jouer le rôle de tous les habitants et s’amuse en se disant : « Je
représentais à la fois l’habitant le plus en vue et l’indigent, le noble
propriétaire et son fidèle gardien, le juge, l’invité, l’ivrogne, l’idiot du
village : j’avais tant de moi dans les jambes qu’il m’arrivait parfois le
soir de devoir sortir et m’en aller dans les bois pour me retrouver un peu
seul. »
De toute façon, jouer les
Robinson, ça n’est pas pour lui : la nuit, il est mort de trouille. Les
bruits de la montagne sont inquiétants. Un soir, il brave courageusement le
danger et décide… de dormir dehors ! « Un genre de traitement de
choc » avoue-t-il, plein d’humour.
Et puis, prendre un café avec
Remigio le proprio n’est pas désagréable surtout quand on découvre qu’il est
aussi grand lecteur !
Plus tard, dans la saison, ce
sont les bergers qui montent avec leurs bêtes, ça fait de la compagnie à l’homme qui constate, faisant preuve, par
là-même, d’une grande lucidité: « Comme ermite, je ne valais pas un
clou : j’étais monté là-haut pour rester seul et n’arrêtais pas de me
chercher des amis. »
Ce Carnet de montagne est le récit d’une expérience : celle d’un
homme qui ne se la joue pas et qui, s’il espère que la montagne va « le
transformer en quelqu’un d’autre », comprendra vite qu’il doit s’accepter
comme il est, avec ses faiblesses, ses fragilités, ses doutes, admettre,
finalement, d’être ce qu’il est.
Un texte d’une grande sensibilité
dans le regard porté sur les autres, sur la nature et d’une grande justesse
dans l’analyse de soi. A cela, s’ajoute l’humour, cette distance indispensable,
la seule capable de nous placer sur le chemin de nous-mêmes.
Une belle et tendre leçon de vie
et de poésie…
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