Éditions Bourgois
traduit de l'anglais par C.Lafferière
Belle métaphore de la mort que ce
« flot sombre » tiré d’un
vers de D.H.Lawrence, flot sombre qui monte chaque jour un peu plus…
Recherches sur Internet :
Margaret Drabble. Tiens, j’aime bien ce visage un peu rond et sa coupe au
carré. 77 ans, diplômée de littérature anglaise à Cambridge. Ah, sa sœur aînée
est Susan Byatt ! Quelle famille ! 18 romans. Je lis sur
Wikipédia : « Ses personnages principaux sont le plus souvent
des femmes. Le réalisme de leur portrait renvoie souvent aux expériences
personnelles de l’auteur. » Un seul livre lu de cette femme et je suis
déjà tentée de confirmer. Spécialiste d’Arnold Bennett et d’Angus Wilson. Le
premier, je connais (enfin, si « connaître » consiste à posséder un
livre non lu dans sa bibliothèque !!) : j’ai donc L’escalier de Riceyman dans ma
bibli. Vu l’avalanche de citations et de
références littéraires contenues dans le livre de Margaret Drabble, j’ai du
pain sur la planche…
Alors, le sujet ?
Son histoire, j’imagine, son
histoire de vieille universitaire anglaise qui sent que la fin est proche, qui
apprend chaque jour la disparition d’un ami, d’un collègue… Le corps qui
fatigue, les enfants qu’on voit rarement, la volonté encore de faire mille
choses tout en sachant que le temps presse, l’envie de lire ce que l’on n’a pas
lu… L’âge du bilan, du regard en arrière.
Il y a beaucoup de nostalgie dans
ce roman qui met en scène quelques universitaires à la retraite dont on fait
connaissance au fil de la lecture.
La plus sympathique, selon moi,
c’est Francesca Stubbs, dite Fran. Toujours sur la route, visitant çà et là,
avec toute l’énergie du cœur (à moins que ce ne soit celui du désespoir…) des
maisons de retraite afin d’améliorer « le
logement des personnes vieillissantes ».
Elle travaille pour la Fondation
Ashley Combe et doit rendre des rapports sur tout ce qui est mal conçu et
pourrait occasionner un accident. Elle-même est bien persuadée qu’elle finira
écrasée contre un platane ou un camion. Mais bon, son petit plaisir, c’est de
traverser les paysages, dormir dans les hôtels Premier Inn et se faire servir
de délicieux œufs au plat au petit-déjeuner.
Elle habite une tour londonienne
dont l’ascenseur est souvent en panne. Mais, de là-haut, les nuages sont
merveilleux. Elle les contemple, un petit verre d’alcool à la main. « Elle supporte les gris couverts et menaçants
de l’hiver, les ciels ternes et monotones de février, et attend le spectacle
inaugural du printemps. Élever, sublimer, transcender, voilà ce que cette vue
dit à Fran. » Hors de question pour elle de se ranger en résidence
pour seniors ! Ça, c’est pour les autres ! Elle traverse
régulièrement Londres pour livrer de délicieuses soupes au poulet à son ex
mari, malade et alité, vivant dans une very, very expensive maison pour seniors
dans le quartier de Kensington. Il semble être heureux, écoute Classic-FM, son
chat Cyrus sur les genoux et plaint tous ceux qui restent coincés dans les
embouteillages alors que lui est bien tranquille loin de toute cette vaine
agitation.
La copine de fac, c’est Joséphine
Drummond dite Jo. Elle vit dans une résidence pour seniors appelée
« Athene Grange », à Cambridge. Jo travaille, quant à elle,
sur… accrochez-vous bien… le personnage de la sœur de l’épouse défunte
dans la littérature : « fascinant
une fois qu’on y est plongé » assure-t-elle. On la croit sur parole !
Elle anime aussi un club de
lecture, mais travailler sur Elizabeth Taylor ou Barbara Pym ne l’emballe pas
plus que ça. Elle préfère la poésie ! Elle entraîne Fran au théâtre :
on y joue Oh les beaux jours
de Samuel Beckett… Pas sûr qu’aller voir la vieille Winnie dans son tas de
sable remonte le moral des troupes ! Mais bon…
Tous les jeudis, elle se rend chez son voisin
Owen (ancien prof de littérature anglaise lui aussi), homme délicieux qui
« préfère parler de livres que de
parler de gens ». Lui, il étudie les paysages de nuages chez Gerard
Manley Hopkins, Thomas Hardy et John Cowper Powys. Je peux vous dire que
Margaret Drabble est une sacrée lettrée : les références littéraires
abondent et m’impressionnent, je dois bien l’avouer ! Mais, je vous l’ai
déjà dit ! (Tiens, maintenant, je me répète ! Mauvais signe…)
Que font Jo et Owen… non, non,
pas ce que vous pensez (et puis, ils font ce qu’ils veulent d’ailleurs !)
Eh bien, ils boivent un p’tit apéro : dans le désordre : scotch,
bourbon, whisky de seigle, vodka (rarement, c’est moins bon), Martini dry,
Brandy Alexander… Pas tout à la fois, bien entendu….
Il y a aussi ceux qui sont partis
sur les îles Canaries : Ivors Walters qui veille sur son conjoint de
toujours Bennett Carpenter. Ils prennent le soleil, fréquentent les intellos du
coin, reçoivent de la visite. Ils « ont
brûlé leur vaisseau » et pensent ne jamais repartir sous des cieux
plus ternes.
Après avoir travaillé sur une histoire
de l’Espagne, Bennett avait pensé écrire une vie du général Lyautey mais
finalement, il s’est rabattu sur une Brève
histoire des Canaries. Que de projets… Voilà tout ce petit monde et
j’en oublie bien sûr !
Ils sont touchants dans leur
agitation, leur volonté de continuer comme avant, tout en sachant que tout
n’est plus possible parce que le corps ne suit plus, que la fatigue gagne du
terrain et que la mémoire s’effrite : « C’est étrange, comme on se rappelle des fragments de mots, mais pas toujours les mots eux-mêmes,
constate Fran. Les noms propres
disparaissent en premier (oui, ça j’avais remarqué, merci) puis les noms abstraits, puis les noms, puis
les verbes. »
Difficile d’accepter de se
diriger vers la sortie, de guetter les signes de faiblesses qui apparaissent
plus nombreux chaque jour…
Encore une fois, Quand monte le flot sombre est un
roman empreint de nostalgie, une réflexion sur l’existence et la mort. Un sujet
difficile traité avec beaucoup d’humour, heureusement… Tragique et drôle à la
fois…
Une œuvre sans réelle intrigue, simplement le
plaisir de retrouver les personnages, jour après jour. Quelques longueurs, il
est vrai mais qui ne m’ont pas empêchée de goûter ce tableau très juste des retraités du XXIe
siècle, branchés sur Internet, lisant le journal sur leur Kindle, parcourant le
monde et commençant des thèses sur des sujets capables de les occuper une bonne
dizaine d’années. Mais, me direz-vous, c’est précisément cela qui les fera
vivre… une bonne dizaine d’années et plus (si affinités…)
J’admire d’ailleurs cette énergie
qui les porte à lutter contre le courant.
La passion, paraît-il, rend
immortel… alors pour nous, lecteurs que nous sommes, pas de soucis, on en a
pour un bon bout de temps !
Oh, qu'il me fait envie ! J'ai lu "La sorcière d'Exmoor" et "Un bébé d'or pur" - et je savais qu'elle est la soeur de Byatt mais j'ai cru comprendre qu'elles sont en froid... Merci pour ton billet !
RépondreSupprimerDe Margaret Drabble, j'ai lu "Une journée dans la vie d'une femme souriante",recueil de nouvelles insolites et provocantes,relatant des bribes de vies féminines. J'ai été très sensible à son style et c'est avec grand plaisir que je lirais un de ses romans. Pourquoi pas celui-là ?
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