Éditions Quai Voltaire
La Table Ronde
Traduit de l'anglais (Irlande) par A. Neuhoff
Je garderai longtemps en mémoire
les images de certaines scènes de ce roman poétique, sensuel, plein de couleurs
délicates, comme une peinture. C’est un texte qui s’attache à décrire les
émotions, même les plus ténues, les petites choses auxquelles on ne prête pas
attention habituellement, la lumière du jour et celle de la nuit, l’odeur
délicate d’une plante ou d’un tissu.
Un texte subtil d’une beauté rare
et d’une grande sensibilité qui touche l’âme et le cœur…
Nous sommes l’été 1969 à Belfast.
George et Katherine Bedford décident d’emmener leurs quatre enfants à la plage.
Tandis que les uns jouent dans le sable et que les autres se baignent, la mère
gagne petit à petit le large. Soudain, c’est la panique absolue : elle se
retrouve nez à nez avec un phoque. Elle est littéralement tétanisée, incapable
de maîtriser sa respiration et de regagner le bord. La panique s’empare de la
jeune femme qui manque de se noyer. Heureusement, son mari - qui ne sait pas
nager – parviendra tout de même à la sortir de l’eau en lui lançant une chemise.
C’est un passage incroyable, vraiment très fort : le face à face entre la
femme et l’animal est terrible, la détresse qui s’empare de Katherine extrêmement
bien rendue.
Evidemment, on s’interroge sur le
sens de cette scène initiale. En fait, cet événement a fonctionné dans l’esprit
de la jeune femme comme « la madeleine de Proust » sur le
narrateur : son passé - symbolisé ici par l’animal - remonte soudainement
à la surface, lui revient brutalement à la mémoire et notamment, une histoire
d’amour qu’elle a vécue avec un jeune
tailleur, Tom McKinley. Cet homme, un véritable artiste dans son domaine, était
chargé de lui confectionner un costume pour un spectacle alors que la jeune
femme se produisait comme chanteuse lyrique amateur et jouait le rôle de Carmen.
Ce costume sera une véritable
déclaration d’amour à moins qu’il ne soit un acte d’amour lui-même…
Ainsi, tout au long de l’œuvre,
se chevauchent deux temporalités : l’année 1969 et l’année 1949 et l’on
passe de l’une à l’autre, ce qui permet de mieux comprendre les personnages, de
découvrir leurs secrets enfouis et leurs souffrances silencieuses.
Jusqu’à la fin du roman, le
lecteur sera tenu en haleine car si Katherine cache un secret à son mari, ce
dernier a lui aussi un poids lourd sur le cœur. Mais un couple peut-il durer
dans le non-dit ? Faut-il au contraire dire la vérité, au risque de
blesser ?
C’est un roman d’amour à l’image
d’une tragédie antique où il convient de faire un choix impossible entre
amour et raison, décision terrible à prendre et dont on portera le fardeau
toute sa vie. C’est aussi un roman sur le compromis, une certaine forme de
renoncement qui, s’il n’est assurément pas l’amour fou, s’apparente à une forme
d’amour tout de même, le temps serrant les liens et créant un attachement
sincère.
Sur fond d’émeutes parfois
proches de la guerre civile entre catholiques et protestants, Michèle Forbes
nous livre un magnifique portrait de femme très complexe et infiniment torturée,
à la fois mère au foyer attentive, dévouée, épouse aimante et cependant
attachée à jamais à un passé définitivement perdu où elle fut une amante
passionnée. Une femme qui, à sa fille adolescente se demandant comment on sait
que l’on est amoureux, répondra dans un souffle : « On flotte et on brûle. », tout en
sachant, au fond d’elle-même, que ces sensations, elle ne les a vécues qu’une
seule fois et qu’elles appartiennent définitivement au passé.
Un texte qui montre la complexité
du sentiment amoureux lorsqu’il se heurte au piège de la moralité, du devoir et
des règles sociales.
Fragile phalène prise au piège…
Magnifique !
Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices ELLE 2017
Un émouvant souvenir de lecture. Bravo pour ton billet.
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